Le 18ème dialogue franco-allemand organisé par l’Académie européenne d’Otzenhausen a réuni une centaine de participants sur le thème « Multilinguisme dans les régions frontalières : analyse, politique, pratiques ». Organisée le 24 juin 2016, au lendemain du Brexit, la restitution du séminaire a témoigné d’un désir sincère de rapprochement entre composantes de la Grande Région.
En arrivant à Nonnweiler, commune sarroise située à cinquantaine de kilomètres de Sarrebruck au matin du 24 juin 2016, les participants au 18ème dialogue franco-allemand de l’Académie européenne d’Otzenhausen (EAO) ne cachaient pas leur déception. Dans ce haut lieu de formation à la citoyenneté européenne, l’annonce toute fraîche du Brexit prenait une résonance particulière.
Il ne fallait pas se contenter de dire ce que l’on aurait pu faire. Nous payons aujourd’hui dix ans de vaines paroles. Lorsque j’entends que l’Europe est allée trop vite, je pense au contraire que nous sommes allés trop lentement.
Klaus Peter Beck, président du comité des sociétaires de l’AEO et président du conseil d’administration de la fondation Asko Europa
En introduisant la restitution de deux jours de séminaire sur le thème du multilinguisme dans les régions frontalières, l’orateur n’a pas manqué de rappeler le soin avec lequel il convient d’entretenir l’amitié entre voisins.
Lost in translation
Le travail mené par des experts, chercheurs et pédagogues, a mis en exergue la persistance de barrières mentales et le recul de l’apprentissage et de la pratique dialectale. L’idée d’une double langue vivante tient de l’utopie et ne lève pas les freins linguistiques. La concurrence persiste entre l’apprentissage de la langue du voisin et celle de l’anglais ou de l’espagnol.
On ne peut nier la rupture entre la volonté politique de favoriser le multilinguisme et la perception des habitants qui ne voient pas la concrétisation des projets. L’apprentissage des langues est souvent perçu comme utilitaire. Or, l’essentiel est de construire un espace de vie commun. Si on se contente d’une vision à court terme, pour peu que la conjoncture se retourne, il ne reste plus rien.
Stéphanie Bruel, organisatrice de la conférence de l’EAO
« Warum französich ? »
Longtemps présentée comme la langue des diplomates, le français éveille chez nombre de Sarrois le souvenir d’un apprentissage douloureux à l’utilité incertaine.
La langue du voisin doit être perçue comme un moyen et non comme une fin en soi. Son apprentissage constitue une expérience émotionnelle. Pour développer les compétences en communication, il faut montrer des perspectives, donner des motivations, présenter la richesse de l’offre culturelle. La force de la Grande Région, c’est la proximité.
Daniel Horst, directeur de la conférence à l’EAO
Contacts en continu
Dans le sillage de la Frankreichstrategie de la Sarre et de la stratégie Allemagne de la Lorraine, l’académie Nancy-Metz promet de renforcer l’offre de de parcours et de contacts franco-allemands.
Nous nous engageons à faire preuve de créativité et de continuité en développant l’apprentissage de l’allemand dès les classes de maternelles et jusqu’à l’enseignement supérieur. Cela suppose la mobilité des élèves, des enseignants, du personnel d’encadrement et de l’ensemble des acteurs concernés.
Patrick Jouin, délégué académique au transfrontalier et à l’allemand au rectorat Metz-Nancy
Successivement enseignant, formateur et responsable d’ingénierie culturelle, l’ex-proviseur du lycée de Sarreguemines voit dans l’apprentissage de l’allemand, langue de haute civilisation, la poursuite d’un dialogue interculturel séculaire.
Une Stratégie germanophone
Le multilinguisme est également devenu un enjeu régional dans le cadre de la Stratégie Allemagne du Grand Est.
Limiter les échanges à la zone immédiatement frontalière serait une erreur fondamentale. L’apprentissage de l’anglais et de l’allemand a constitué l’ambition commune à la Lorraine, puis aux régions voisines. Le Grand Est est la région la plus ouverte de France et la mieux positionnée pour répondre à cet objectif. Les Lorrains comme leurs voisins ont compris la chance que constitue la proximité d’autres pays. Il faut donc agir pour continuer à construire au quotidien un espace plus intégré.
Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle
L’ambassadeur du trilinguisme dans le Grand Est prône également le développement d’une Stratégie germanophone qui engagerait l’Etat et les collectivités à développer dès le plus jeune âge des échanges avec les zones frontalières d’Allemagne, du Luxembourg et de Belgique.
Un labo de langues vivantes
La Grande Région apparaît comme un laboratoire des langues, grâce à de riches échanges académiques et universitaires. Auteure de plusieurs ouvrages dont « Perspectives du français en Sarre – comment sensibiliser les professeurs de langue au plurilinguisme », Claudia Polzin-Haumann prône une réforme de la formation des enseignants pour aider les élèves à trouver plus de plaisir à l’apprentissage des langues.
On peut comprendre une langue sans savoir l’écrire ou l’écrire sans savoir la parler. L’essentiel est la flexibilité. Les langues romanes sont imbriquées : l’apprentissage de l’une d’entre elles augmente la capacité à comprendre toutes les autres et renforce la compréhension de sa propre langue maternelle. Plutôt que de mesurer les vides et ce qui reste à apprendre, il faut insister sur les acquis des élèves à chaque étape et sur l’usage qu’ils en auront.
Claudia Polzin-Haumann, titulaire de la chaire de linguistique romane et directrice du Pôle France à l’université de la Sarre
Spécialiste des applications numériques destinées au transport, l’entreprise ZWF, qui emploie 150 salariés dont 100 en Sarre et 18 à Forbach, témoigne de l’importance de la connaissance réciproque de la langue du voisin pour développer l’espace économique transfrontalier
Dans le domaine des technologies de la signalisation, nous utilisons un vocabulaire technique extrêmement précis. Nous n’avons pas le droit à l’erreur et notre personnel doit posséder à la fois une haute qualification et une parfaite connaissance de la langue. Il faut une coopération étroite entre les entreprises et les autorités pour y parvenir.
Ernst Riedl, DRH de la société ZWF
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