Un litige banal en Lorraine a conduit le Conseil d’Etat à redéfinir la notion de « zone humide ». Cette jurisprudence ouvre une brèche dans la protection de sites jusqu’alors protégés.
En demandant rétrospectivement la régularisation de la création d’un étang creusé sur sa parcelle boisée, Monsieur B., habitant d’Amenoncourt (99 habitants en Meurthe-et-Moselle), ne s’attendait sans doute pas à jeter un tel pavé dans la mare. Passée inaperçue en Lorraine, la décision du Conseil d’Etat, qui a avalisé, le 22 février dernier, cinq ans de travaux réalisés sans demande d’autorisation ni déclaration préalable, pourrait, selon les professionnels du génie écologique, compromettre la préservation de milliers de zones humides aujourd’hui protégées par la loi sur l’eau.
Destruction d’habitat
Le 28 juin 2012, le préfet de Meurthe-et-Moselle avait rejeté la tardive déclaration de travaux de Monsieur B., invoquant une double infraction au Code de l’environnement, tant par la destruction d’une zone humide que par la destruction de l’habitat d’espèces protégées.
Une première décision du tribunal administratif de Nancy avait ensuite rejeté la demande d’annulation de la décision du préfet, estimant que les travaux avaient bel et bien détruit l’habitat d’espèces protégées, sans statuer sur l’éventuelle destruction de zone humide. Le 9 octobre 2014, la cour administrative de Nancy avait enfin rejeté l’appel, confirmant cette fois l’existence d’une zone humide, sans évoquer la question des espèces protégées.
Présence simultanée
C’est donc sur la définition même d’une zone humide que le Conseil d’Etat a statué. Saisis de cette question inédite, les juges ont estimé qu’une « zone humide ne peut être caractérisée, lorsque la végétation existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d’eau et, pendant au moins une partie de l’année, de plantes hygrophiles ». Or, le plan d’eau d’Amenoncourt a été creusé dans une forêt peuplée de pins sylvestres n’ayant pas besoin de grandes quantités d’eau, et le dossier ne fait pas état de la présence de plantes hygrophiles. L’un des deux critères définissant la zone humide n’est donc pas rempli.
Sites dégradés
Tandis que le tribunal administratif a jugé que ces deux critères étaient alternatifs, un seul d’entre eux suffisant à caractériser une zone humide, la plus haute juridiction administrative française estime qu’ils sont cumulatifs.
Le Conseil d’Etat ne juge pas les faits, mais le droit. Amené à interpréter le Code de l’environnement, il a rendu une décision parfaitement orthodoxe.
Me Louis Boré, spécialisé dans les questions environnementales et défenseur de Monsieur B..
En revanche, l’arrêt fait s’étrangler l’Union professionnelle du génie écologique et l’association Humanité et biodiversité, qui tire la sonnette d’alarme. A ses yeux, il suffira désormais de détruire la végétation hygrophile pour déclasser une zone humide. Les sites dégradés n’abritant plus de végétation seraient également exclus des programmes de protection et de restauration. Les zones humides s’en trouveraient du coup d’autant plus menacées.
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