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Vincent Goulet, sociologue

« Pour les jeunes, les freins au travail frontalier sont avant tout psychologiques »

Sociologue au CNRS et à l’université de Strasbourg, Vincent Goulet a interrogé 250 jeunes demandeurs d’emploi du Sud de l’Alsace sur leur prédisposition à devenir travailleurs frontaliers.

Présentés lors d’une conférence à l’université de Haute-Alsace de Mulhouse par l’instance de coopération transfrontalière Regio du Haut-Rhin et le centre transfrontalier NovaTris pour le développement des compétences interculturelles, ses travaux dénotent de la part des jeunes un comportement plutôt casanier.

Votre étude souligne, statistiques de l’Insee à l’appui, que les moins de 30 ans ne représentent que 3 % des 39 000 travailleurs frontaliers du Haut-Rhin. Au regard des interviews que vous avez menées, comment expliquer cette si faible proportion ?

Vincent-GouletCes jeunes expriment des freins à s’engager dans le travail frontalier, et ces freins se situent d’abord dans les têtes. Pour eux, la mobilité transfrontalière ne va pas de soi. Ils développent un comportement somme toute plutôt casanier qui se retrouve dans la recherche d’emploi : celle-ci s’effectue avant tout au plus près de chez eux. Franchir la frontière représente pour eux une prise de risque  supplémentaire qu’ils ne sont souvent prêts à prendre qu’en dernier recours : dans un contexte de conflit avec les parents, d’absence de perspective professionnelle dans leur qualification en France, ou parce qu’ils ont le sentiment qu’il n’y a plus d’avenir en France.

Les jeunes craignent aussi de ne pas maîtriser suffisamment la langue allemande. Le critère peut être surestimé, mais il leur paraît de plus en plus important au fur et à mesure que le niveau de qualification s’élève. Certains nourrissent un vrai complexe face à l’allemand, qui leur apparaît rébarbatif ou évoque le souvenir d’un apprentissage douloureux en classe.

Neuf jeunes frontaliers haut-rhinois sur dix travaillent en Suisse, un score encore supérieur à la moyenne tous âges confondus. Pourquoi cette attirance particulière pour la Suisse ?

Le niveau de rémunération constitue le facteur premier, voire la motivation exclusive au travail frontalier. Par ailleurs, de façon objective, il convient de souligner que les liaisons en transports en commun sont plus aisées vers la Suisse que vers l’Allemagne. Se rendre autrement qu’en voiture de Mulhouse au Gewerbepark d’Eschbach (1) est tout sauf simple…

Quelle connaissance les jeunes ont-ils de la réalité du marché du travail en Allemagne ?

Elle est quasi-inexistante, c’est frappant. Paradoxalement, la génération Y qui manie sites web et réseaux sociaux à longueur de journée n’utilise guère ces médias pour s’informer sur les aspects professionnels de l’autre côté du Rhin. Elle ne connaît pas davantage les nombreuses mesures des pouvoirs publics en Alsace pour stimuler la formation en Allemagne.

Pourtant, l’entreprise allemande suscite spontanément une bonne image : elle relève le degré technologique, la sensibilité à l’écologie, le côté « pays d’artisan » soucieux d’un travail de qualité.

Ces jeunes développent une familiarité avec le Pays de Bade, mais sur d’autres points : shopping, piscine, sorties en boîte… En somme, leur fréquentation du territoire voisin demeure superficielle. Il leur est difficile de dépasser la « peur de se jeter à l’eau » que les Allemands désignent par la jolie expression de Schwellenangst.

 (1) Commune faisant face à Fessenheim


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Pascale Braun

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