Reconnu par la cour de Cassation en 2010, le préjudice d’anxiété reste pour l’heure cantonné aux risques liés à l’amiante et à des catégories précises d’établissements et de salariés. La procédure collective engagée par 750 anciens mineurs de charbon exposés à des contaminations multiples pourrait changer la donne le 7 juillet 2017.
Récente et complexe, la notion de préjudice d’anxiété trouve son origine dans le croisement de deux procédures relevant respectivement du pénal et des prud’hommes. Les premiers plaignants à avoir obtenu réparation sans être tombés malades sont des salariés d’Alstom, exposés sans précaution à un chantier de désamiantage en 1998. L’employeur a été condamné à 10 000 euros de dommages et intérêts par salarié pour mise en danger de la vie d’autrui. Peu après, l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 a défini les conditions d’accès à l’Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata). Le dispositif, qui prévoit le maintien de 65 % du salaire brut, a fait l’objet de contentieux aux prud’hommes pour la perte économique subie. Les deux procédures se sont rejointes dans le cadre de plaintes invoquant à la fois la perte de revenus – pour lesquels les salariés ont été déboutés – et le préjudice lié à la crainte de développer une maladie mortelle. Dans son arrêt du 11 mai 2010, la cour de Cassation statuant sur l’affaire de la papeterie Ahlstrom reconnaît pour la première fois le préjudice d’anxiété.
Cet arrêt constitue une victoire, mais les jurisprudences suivantes ont enfermé le préjudice d’anxiété dans la question de l’amiante, dans une série d’établissements classés et dans des métiers déterminés. Depuis, nous nous battons pour élargir l’indemnisation au-delà de ces limites.
Jean-Paul Teissonnière, avocat au cabinet TTLA
Les arrêts du 25 septembre 2013, puis du 2 avril 2014, reconnaissent le préjudice d’anxiété aux bénéficiaires de l’Acaata et précisent qu’ils n’auront pas à prouver cette angoisse, ni à justifier de suivi médical particulier. Les organisations patronales s’alarment du coût croissant des indemnisations et les jurisprudences se font plus restrictives. Celle du 3 mars 2015 exclut du champ d’indemnisation les salariés exposés à l’amiante dans une entreprise non classée. L’arrêt du 15 décembre 2015 déboute les ex-salariés d’une entreprise liquidée qui, ne pouvant faire valoir le préjudice d’anxiété auprès des AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), invoquent le manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité. L’arrêt du 27 janvier 2016 rejette la requête de dockers ayant travaillé dans un port inscrit à l’arrêté de classement, mais pour le compte d’un sous-traitant n’y figurant pas.
Les mineurs montent au front
Le débat n’est pas clos pour autant. Certaines cours d’Appel accordent aujourd’hui le préjudice d’anxiété à des salariés exposés à l’amiante dans le cadre d’entreprises ne figurant pas sur la liste tandis que d’autres juridictions la refusent, même dans le cas d’installations classées, obligeant les victimes à engager de nouvelles procédures. L’action collective engagée par 834 anciens mineurs de charbon de Lorraine marque un tournant dans ce contexte mouvant. Charbonnages de France (CdF) ne figure pas parmi les établissements relevant de l’Acaata et les risques invoqués excèdent largement le domaine de l’amiante. Les anciens mineurs font état d’une exposition à une vingtaine de substances cancérigènes et dénoncent un manque d’information et de protection. En 2013, ils réclament auprès du conseil des prud’hommes de Forbach 15 000 euros de préjudice d’anxiété et 15 000 euros au titre du manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité. Après avoir constaté une cinquantaine de cas de prescription, le jugement du 30 juin 2016 leur donne partiellement gain de cause. Pour 756 d’entre eux, il reconnaît le manquement aux obligations de sécurité pour deux produits seulement – les poussières nocives et les résines formo-phénoliques – et octroie à chaque demandeur 1 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété. Insatisfaits, 734 anciens mineurs font appel.
Il faut régler cette affaire tant que nous avons encore la capacité militante de le faire. Les mineurs ont encouru des risques hors-normes et développent 144 fois plus de maladies que les salariés du régime général. Qui défendra nos veuves ?
François Dosso, membre de la cellule maladies professionnelles CFDT
En appel, les mineurs ont modifié leur demande. Ils réclament cette fois 15 000 euros d’indemnité de préjudice d’anxiété et 15 000 euros à titre subsidiaire – c’est-à-dire, si leur première requête était déboutée – pour l’exposition fautive par manque de protection individuelle ou collective.
L’objectif de cette procédure est évident. Il consiste à étendre le préjudice d’anxiété aux salariés des établissements ne relevant pas de l’Acaata, et à d’autres risques dont les risques chimiques. Or, la jurisprudence de la cour de Cassation limite le préjudice d’anxiété aux salariés exposés à l’amiante ayant travaillé dans un établissement classé. Une décision qui dérogerait à cette règle serait loin d’être anodine.
Joumana Frangie-Moukanas, avocate associée au sein du cabinet parisien Flichy Grangé Avocats
En mai 2017, l’audience de la chambre sociale de la cour d’appel de Metz a paru réceptive aux arguments des mineurs. Le ministère public a notamment souligné que « le refus de principe d’indemniser les salariés ne figurant pas sur la liste paraît discriminatoire ». De même, il estime que « le refus d’indemniser un salarié exposé à un autre produit cancérigène heurte le principe d’égalité de traitement et de non-discrimination ». Attendu le 7 juillet 2017, le jugement fera date et il sera probablement suivi d’un pourvoi en cassation. Or, pour les anciens mineurs, le temps presse : depuis le début de la procédure, 25 plaignants sont décédés.
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