Docteure en littérature générale et comparée, auteure de nombreux ouvrages et chercheuse, Valérie Deshoulières dirige depuis 2008 l’Institut français, à la Villa Europa de Sarrebruck et occupe la chaire Littérature française dans le contexte européen à l’Université de la Sarre.
Cosignataire du manifeste « Pour une Europe migrante et solidaire » publié dans le quotidien Libération à l’automne 2018, elle élargit la notion de coopération transfrontalière à l’accueil des personnes réfugiées et de leurs cultures.
Les Instituts français ont pour vocation de promouvoir la culture et la langue françaises à l’étranger. Comment avez-vous mené à bien cette mission à Sarrebruck ?
Mon équipe, composée de deux collaboratrices, Sandra Fuhrmann et Elise Le Bréquier, et de moi-même bénéficions du merveilleux outil que représente la Villa Europa, mise gracieusement à notre disposition par le Land de Sarre. Ces locaux, que nous partageons avec l’Université de la Grande Région (UniGR) et l’Université franco-allemande (UFA), comportent une rotonde, une bibliothèque, des bureaux et une salle d’exposition et sont parfaitement adaptés aux rencontres culturelles. Nous y avons invité environ 70 auteurs français dont une dizaine de Prix Goncourt qui ont tenu des conférences, animé des ateliers avec des étudiants français et allemands et confié à notre revue Villa Europa, dont le neuvième numéro est sous presse, des textes exclusifs.
A partir de 2013, nous nous sommes pleinement impliqués dans la Frankreichstrategie du Land de Sarre, en partenariat avec l’Université de la Sarre et le Goethe-Institut de Nancy. A partir de 2015, nous avons commencé à réfléchir à la manière dont nous pouvions contribuer à promouvoir la coopération transfrontalière dans les domaines de l’éducation, de la culture ou de l’économie. C’est ainsi, par exemple, que nous avons organisé, en novembre 2018, la rencontre « Apprendre/Entreprendre» en collaboration la Coopérative d’Activités et d’Emplois (CAE) Capentreprendre de Forbach et avec la participation d’étudiants de l’Université de la Sarre et d’élèves du Lycée franco-allemand de Sarrebruck.
Est-ce à partir de la Frankreichstrategie que vous avez choisi d’aller au-delà de la mission initiale de l’Institut ?
Le véritable tournant s’est opéré en 2015. En France, cette année a été marquée par des attentats. En Sarre, elle a vu arriver 5.000 personnes en
situation d’exil, principalement des Syriens, qui ont été accueillis avec beaucoup de générosité. La plupart ont transité par le Centre d’accueil de Lebach, non loin d’ici, géré par la Croix-Rouge allemande et des associations de bénévoles. J’ai pour ma part choisi d’impliquer davantage l’Institut dans le “mieux vivre ensemble” en Grande Région. Dans le cadre de ma chaire universitaire, j’ai alors proposé un séminaire d’initiation à la “recherche-action” pour une coopération transfrontalière et durable. L’objectif était de sensibiliser les étudiants à la vie concrète de la Cité et à la nécessité de partager les connaissances qu’ils pouvaient acquérir à l’université avec le plus grand nombre. Un projet citoyen en somme.
Comment cette initiative se poursuit-elle aujourd’hui ?
Mon effectif étant pour l’heure réduit, suite à des réorganisations internes à l’Université de Sarre, il m’a paru important de continuer à mobiliser les jeunes de la Grande Région, qu’ils soient élèves, apprentis ou étudiants. J’ai ainsi encouragé quelques étudiants à participer à la manifestation « Born to be solidaire ! » lancée par le Secours populaire français à Metz en novembre 2018, qui réunissait des étudiants français et allemands et de jeunes migrants. Je ne distingue pas l’Europe de la Grande Région. Ou, plus justement, je crois que l’Europe peut se construire à partir de la Grande Région. Et pour ce faire, il me paraît fondamental de focaliser notre attention sur l’hospitalité, valeur fondatrice de l’Europe et socle du “vivre ensemble”. L’Institut français soutient à présent une initiative d’anciens élèves du Lycée franco-allemand de Sarrebruck. Ces derniers, après avoir courageusement organisé un “Parlement européen des élèves” au Parlement européen de Strasbourg en mai 2019, souhaiteraient organiser en 2020 un “Parlement européen des étudiants”. Leur objectif consiste à mobiliser la jeunesse de la Grande Région dans la perspective du grand rassemblement EYE 2020 (European Youth Event) qui tous les deux ans rassemble des milliers de jeunes au Parlement européen de Strasbourg. A plus long terme, notre utopie serait d’encourager la jeunesse de chaque pays d’Europe à présenter aux prochaines élections européennes une liste apolitique.
Qu’attendez-vous de l’accès de la Sarre à la présidence du GECT Grande Région ?
C’est une occasion historique que la Sarre ne doit surtout pas rater. Si elle parvient à faire exister la Grande Région au coeur de l’Europe, elle en fera un carrefour des langues et des cultures. J’espère voir prendre corps dans la Grande Région ce que Ghislaine Alajouanine, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, nomme la “convivance” dans le Plaidoyer qu’elle a publié aux éditions Hermann en 2017 : “le partage des capacités de chacun pour le bénéfice de tous en s’appuyant sur un triangle de compétences décliné en Savoir, Savoir-faire et Savoir-être”.
Propos recueilli par Pascale Braun
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