Durant cinq ans, Kufa’s Urban Art a constellé de spectaculaires fresques murales 10 villes du Luxembourg, de France, d’Allemagne et de Belgique. Stoppé dans son élan transfrontalier, le projet se recentre sur sa ville d’origine, Esch-sur-Alzette. Repensé sur un mode participatif, il apportera sa touche à la future capitale européenne 2022 de la Culture.
L’art peut-il changer le monde ? Deuxième ville du Grand-Duché, Esch-sur-Alzette a répondu à ce grand classique du bac philo en ouvrant son espace public à toutes les formes d’art urbain. Les fresques murales, les expositions d’artistes internationaux, les festivals de freestyle et de graffitis, mais aussi les colloques d’urbanistes et les séminaires de pédagogues ont rapidement débordé de la ville, puis des frontières luxembourgeoises. Le projet Kufa’s Urban Art, qui se proposait de créer dans l’espace frontalier le plus grand circuit d’art urbain du monde, a trébuché sur les fourches caudines des fonds européens. Son porteur, le centre culturel Kulturfabrik, n’a pas renoncé pour autant à promouvoir l’art urbain comme moteur de cohésion et source d’inspiration dans la perspective de 2022, lorsque la ville deviendra pour un an la capitale européenne de la culture.
Nous sommes convaincus de la puissance de cet outil pour développer le respect, l’empathie et la créativité collective dont la société a besoin.
Fred Entringer, coordinateur du pôle pédagogique de la « Kufa
L’aventure de Kufa’s Urban Art a débuté par un projet des plus modestes. En 2014, la Kufa, implantée dans un ancien abattoir, souhaite rafraichir ses murs gris qui ne reflètent guère le bouillonnement culturel qui s’y niche. Une triple coïncidence permet à Fred Entringer, alors tout juste embauché, de faire de cette demande anodine le point de départ de Kufa’s Urban Art . A cette période précise, une enseignante de la ville souhaite lancer un workshop inspiré du street art. Des artistes italiens et polonais cherchent à réaliser une intervention murale. Et le centre culturel européen Pierre Werner, basé à Luxembourg, programme un colloque sur l’art urbain. Ainsi s’assemble par hasard le triptyque sensibilisation à l’art urbain – démarche pédagogique – création artistique qui impliquera 125 partenaires institutionnels, 3.500 participants, dix villes et quatre pays au cours des cinq années suivantes.
Organisée en quatre mois, la première édition invite des jeunes en difficultés sociales et scolaires à visiter les sites historique et les vestiges sidérurgiques de la ville, puis à les reproduire sous forme de pochoirs, de graffitis ou de collages sur les murs de la Kufa. Les enseignants se disent impressionnés par l’enthousiasme et la créativité des jeunes jusqu’alors perçus comme difficiles à encadrer. Le public afflue et le succès est tel que la Kufa décide de poursuivre l’aventure. Comme elle n’a plus de murs disponibles, elle sollicite les élus d’Esch-sur-Alzette. D’abord méfiants, ces derniers acceptent de livrer aux bombes de peinture les points stratégiques de la ville. En Lorraine, la commune frontalière de Villerupt sollicite les artistes pour dédier un mur à son célèbre festival du film italien. Invités à visiter ce circuit transfrontalier des fresques, les journalistes s’enthousiasment. La médiatisation suscite l’intérêt de nouvelles communes dont Etelbruck, Niederanven et Wiltz au Luxembourg, Trèves en Rhénanie-Palatinat, Thil et Longwy en Meurthe-et-Moselle et Herserange en Belgique. L’édition de 2017 marque une apothéose avec un budget de 250.000 euros, dix villes participantes et une myriade de ministères, d’associations et de réseaux d’experts. Les réunions de travail se tiennent dans la salle de concerts de la Kufa, le programme prend la dimension d’un livre et une vingtaine de villes se bousculent au portillon.
Débordée, la Kufa, qui mobilise alors quatre personnes à temps plein sur Kufa’s Urban Art, propose de piloter un projet Interreg V A Grande Région qui permettrait de formaliser la coopération sous forme de parcours européen de fresques. Cette dynamique développerait simultanément l’art, l’enseignement et le tourisme dans l’espace frontalier des quatre pays. Mais elle essuie un échec, la commission estimant en substance que le projet n’a pas besoin d’être aidé.
La déception a été immense pour les participants. Mais les mois de travail préparatoire nous ont servi à reformuler Urban art sur un mode plus inclusif, plus participatif et plus utilitaire.
Fred Entringer
Dans l’intervalle, Esch-sur-Alzette est désignée début 2018 pour devenir la capitale culturelle de l’Europe en 2022. La ville compte capitaliser sur le succès de Kufa’s Urban Art pour relever le défi.
La Kufa fait appel au studio luxembourgeois Socialmatter, spécialisé dans les outils méthodologiques venant à l’appui des services et produits à impact social, pour sonder riverains et passants en amont de la création. Les citoyens, qui se trouvaient jusqu’à présent placés devant l’œuvre accomplie, ont été invités à échanger entre eux et avec les artistes à l’occasion de « Urban talks » dans quatre cafés de la ville. Socialmatter a également recueilli 150 contributions d’habitants de tous âges sur ce qu’ils apprécient dans leur ville et ce qu’ils voudraient voir changer.
Esch-sur-Alzette est confronté à un challenge identitaire pour améliorer son image dans la perspective de 2022. Il ne faut pas attendre cette échéance pour lancer ce laboratoire d’art urbain qui la transformera de l’intérieur.
Giacomo Piovan, Projet manager de Socialmatter
Kufa’s Urban Art compte également développer une approche plus fonctionnelle. La première commande de la ville a porté sur les canisettes de la pelouse de la place de Brill, si discrètes que ni les maîtres ni leurs chiens n’en empruntaient l’entrée. Elle est désormais signalée par une enseigne lumineuse inratable représentant un chien dans une position sans équivoque. Des pictogrammes de même type pourraient à l’avenir rendre plus attractifs des tunnels mal éclairés ou des placettes délaissées.
Plus participatifs, les projets ne s’adresseront plus seulement à des lycéens, mais aussi, à des personnes âgées ou handicapées, à des demandeurs d’asile et à des lycéens de filières ordinaires. Les enfants deviendront également acteurs de l’art urbain. Les 40 fresques qui constellent la ville et retracent en partie son passé serviront de support pédagogique tant pour faciliter l’apprentissage e la géométrie que pour apprendre l’histoire locale. Elles seront consignées dans un guide touristique présenté sous forme sous la forme d’un cahier de coloriage distribué gratuitement à tous les enfants de primaire pour renforcer leur connexion à la ville.
En montant notre dossier de candidature pour 2022, nous nous sommes aperçus qu’il ne nous manquait que des connexions pour devenir une place culturelle de référence au Luxembourg et en Europe. Kufa’s Urban Art contribue largement à créer ces réseaux dans la perspective d’Esch 2022, mais aussi au-delà. C’est une véritable sculpture sociale que la Kufa réalise avec ce projet.
Ralph Waltmans, chef du service culture et coordinateur culturel d’Esh-sur-Alzette
Ville pilote de l’agenda culturel 21, la cité grand-ducale a obtenu début février le Best Practice Award décerné à Mexico City pour son implication dans l’art urbain.
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