La Lorraine, qui avait oublié son patrimoine gastronomique, se redécouvre gourmande. Des pépites de l’agro-industrie prospèrent à la faveur d’un nouvel appétit pour les produits locaux.
Trop connue pour un plat qui n’est plus le sien, la Lorraine ne l’est pas assez pour l’originalité de son offre et le dynamisme de son industrie agroalimentaire. La quiche lorraine compte certes parmi les plats favoris des Français, mais sa version industrielle n’est pas produite en région et ne présente qu’une vague ressemblance avec le plat traditionnel. A contrario, la Meuse produit depuis 150 ans le fameux Brie de Meaux dont elle détient l’AOC, mais cette particularité historique reste fort peu connue. De même, le Munster, présenté comme une spécialité alsacienne, provient des Vosges.
En un demi-siècle d’essor industriel, la Lorraine a failli oublier qu’elle fut aussi riche de ses bières, de son vignoble, de ses fromages et de sa charcuterie. Cette industrie renaît aujourd’hui à la faveur d’une aspiration générale aux filières courtes et aux produits de terroir, mais aussi grâce au volontarisme de producteurs décidés à faire renaître un patrimoine gastronomique original et savoureux.
Lorsque j’ai repris Clair de Lorraine en 1998, il ne subsistait plus rien des produits du terroir. Nous avons beaucoup créé, en nous appuyant sur la mémoire des productions locales.
Vincent Ferry, dirigeant de cette PME de 70 salariés pour 11,5 millions d’euros de chiffre d’affaires
Basée à Void-Vacon (Meuse), l’entreprise a relancé la production de perlé – excellent apéritif à base de jus de mirabelles ou de groseilles – et fédéré 70 artisans pour mailler la Lorraine de points de ventes dédiés à la gastronomie régionale. Clair de Lorraine vient d’inaugurer sa 17 ème boutique et propose désormais 700 produits de terroir.
Fruit d’or de la Lorraine, la mirabelle est devenue tendance. En tout début de l’automne, son arrivée sur les étals est désormais attendue jusqu’à Paris. Un quart de la production des 250 producteurs lorrains – qui a atteint 6 500 tonnes cette année – s’écoule durant une courte période de six semaines. Basée à Saint-Nicolas de Port (Meurthe-et-Moselle) la coopérative Vegafruits valorise le reste de la récolte sous forme de fruits congelés et de produits culinaires haut de gamme.
Tandis que certains secteurs voient leur marge se réduire, nous abordons l’avenir avec confiance. La mirabelle est désormais appréciée tant en France qu’à l’export, où nous écoulons 30 % de notre production. Le discours sur les circuits courts est enfin passé et nous voyons arriver de jeunes arboriculteurs qui se proposent de replanter 200 hectares de verger en 5 ans.
Bruno Colin, directeur de Végafruits
La coopérative, qui emploie 11 salariés pour 7 millions d’euros de chiffre d’affaires, achève un investissement de 5 millions d’euros pour implanter une nouvelle ligne de tri et accroître son espace de surgélation.
Jadis couverte de vignoble, la Lorraine renoue avec sa tradition viticole. En l’espace de trois ans, trois routes des vins se sont ouvertes dans le Toulois, autour de Metz et sur les coteaux de Sierck-les-Bains, frontaliers du Luxembourg. AOC depuis 1997, le vignoble toulois regroupe 22 vignerons sur huit communes et produit chaque année un million de bouteilles déclinées en trois cépages, dont 300 000 AOC. En Moselle, où le vignoble était tombé à 5 hectares voici trente ans, une poignée de passionnés a ressuscité une tradition millénaire. Obtenue en 2010, l’AOC Vins de Moselle couvre aujourd’hui 50 hectares exploités par 18 vignerons.
Le vignoble lorrain revient de loin et constitue une filière en devenir. Il n’existe pas encore d’identité viticole commune et il faudra quelques ajustements pour représenter collectivement la filière sur le plan national et à l’export.
Francis Delanchy, expert en communication et en marketing territorial
Naguère célèbre, la bière lorraine revient au goût du jour. Fondée en 1897 dans la commune meurthe-et-mosellane du même nom, la Brasserie Champigneulles demeura longtemps la plus grande brasserie d’Europe. Partenaire du Tour de France dans les années 50, sa marque phare la Grande Blonde de Champigneulles, était leadeur sur le marché français . Lorsqu’ils rachetèrent l’entreprise en 1967, Danone et sa filiale Kronembourg négligèrent cette pépite pour privilégier les grands volumes. En 2006, le retrait du groupe fit craindre la disparition de la dernière brasserie de Lorraine, qui ne comptait plus que 80 salariés. Huit ans plus tard, la Brasserie Champigneulles en emploie 225 et réalise un chiffre d’affaires de 165 millions d’euros. Son repreneur, le brasseur allemand TCB, injecte chaque année 10 à 15 millions d’euros sur le site qui produit 350 millions de litres de bière, dont 90 % à l’export. Relancée, la Grande Blonde ne représente que 300 000 litres d’une production couvrant toute la gamme de bières, mais constitue le produit phare de la brasserie. Toujours en Meurthe-et-Moselle, les Brasseurs de Lorraine, qui emploient sept salariés à Pont-à-Mousson, ont remporté fin septembre la médaille d’or du concours mondial de la bière, le World Beer Awards de Londres, pour sa Duchesse de Lorraine.
La filière agroalimentaire, qui figure parmi les grands axes du Pacte Lorraine conclu l’an dernier, affiche une visibilité nouvelle.
Nous constatons une véritable dynamique relayée par les distributeurs désormais très demandeurs de produits locaux.
Philippe Trévisan, PDG de Berni
Initialement spécialisé dans la charcuterie italienne, l’entreprise verdunoise de 105 salariés pour 24,4 millions d’euros de chiffre d’affaires est devenue leader du chorizo vendu en grande distribution. A Ars-sur-Moselle, près de Metz, Charcupac- les Provinces (135 salariés pour 82 millions d’euros de chiffre d’affaires incluant le négoce) produit chaque année 4 500 tonnes de charcuterie et développe des assortiments haut de gamme de viande de Grisons et de bacon pour le marché de l’export.
A Bulgnéville (Vosges), les Fromages Ermitage, poids lourd du secteur avec 922 salariés pour 348 millions d’euros de chiffre d’affaires, jouent la carte du produit de terroir vosgien et franc-comtois.
Nous sommes favorable à toutes les initiatives qui rapprochent le consommateur du lieu de production.
Daniel Gremillet, président de la coopérative
Le chiffre
1 200 produits affichent le logo « La Lorraine, notre signature ». Soutenue par le conseil régional de Lorraine, la démarche qui vise à renforcer la visibilité des produits régionaux réunit 70 producteurs et 80 distributeurs.
« Une offre gastronomique complète à l’export »
Nous avons réuni des entreprises de taille et de spécialités très différentes pour proposer collectivement une offre complète à l’export. Nos membres sont tous représentatifs du patrimoine gastronomique régional, qu’il s’agisse de bière, de vins fins, de charcuterie ou de fromage. Nous avons veillé à ne pas regrouper d’entreprises concurrentes pour garantir l’entraide et la convivialité. Les plus grandes entreprises aident les petites structures primo-exportatrices. Tous les membres mutualisent leurs réseaux de connaissances et leurs expériences, et échangent notamment des informations précieuses en matière d’agréments et de normes sanitaires. Ils se rendent également des services en matière logistique pour véhiculer des petites commandes ou des palettes de prospection. En mai dernier, neuf de nos membres ont organisé une action en Belgique. Cinq d’entre eux ont remporté des commandes. Nous avons également organisé une prospection dans les pays nordiques. Notre association n’a que deux ans d’existence effective. A terme, nous envisageons deux à trois actions collectives par an dans des pays différents.
Régis Bouillon, président de LorGourmet et PDG des Brasseurs de Lorraine
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