Le projet de stockage de CO2 ne sauvera pas les deux derniers hauts-fourneaux lorrains. Même si le gouvernement prépare un nouveau dossier, les obstacles sont encore trop nombreux.
Avec Ulcos, le site de Florange pourrait permettre, en théorie, une économie d’énergie de 10% et une réduction de l’ordre de 25% de charbon à coke. De quoi produire un acier nettement plus compétitif que dans les autres sites sidérurgiques européens. Et ce grâce à une réinjection de certains gaz dans le process de production (1). Quant aux émissions de CO2 (2), elles seraient réduites de 50%, offrant d’importantes économies grâce à la revente de quotas de CO2 excédentaires. Après captage, le dioxyde de carbone serait transporté via un « carboduc » pour être injecté dans des aquifères salins.
Ulcos 1 est mort ! Vive Ulcos 2 ! Le 6 décembre, ArcelorMittal a porté le coup de grâce aux deux hauts-fourneaux de Florange (Moselle) en annonçant son retrait du projet de captage et de stockage de CO2. Le projet Ultra-low carbon dioxide steelmaking (Ulcos) devait pérenniser la filière chaude du site. « Nous ne sommes pas prêts à passer à un démonstrateur industriel. Ce n’est ni faisable techniquement ni raisonnable sur le plan de la sécurité », a justifié Henri Blaffart, le vice-président de la division acier plat carbone pour l’Europe chez ArcelorMittal, dans les colonnes du quotidien « Les Échos ». Il a confirmé la préparation d’un nouveau projet avec le gouvernement. Doté d’un budget de 13 millions d’euros, cet Ulcos 2 sera mis au point par le centre de R et D d’ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz (Moselle).
« Ulcos peut être l’occasion de faire de Florange le premier site sidérurgique de nouvelle génération, mais l’avenir du site ne saurait uniquement dépendre de sa réalisation, compte tenu des incertitudes inhérentes à sa mise en oeuvre », mettait en garde, cet été, Pascal Faure, le vice-président du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, dans son rapport remis à Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif. ArcelorMittal devra mettre les bouchées doubles s’il souhaite réaliser ce projet. Ulcos fera appel à de nouveaux matériaux réfractaires pour les hauts-fourneaux, une nouvelle solution de protection du métal, des systèmes d’injection et de contrôle adaptés… Un calendrier prévisionnel est attendu pour la fin du premier semestre 2013.
Le doute est permis
Cette mouture a-t-elle plus de chance de voir le jour que la précédente ? Rien n’est moins sûr… C’est la Commission européenne, à Bruxelles, qui décide du financement des projets de réduction des émissions de CO2 dans le cadre d’un programme dénommé NER 300. Elle a été échaudée par les dix-huit mois d’atermoiements quant à un hypothétique redémarrage des hauts-fourneaux mosellans. Quand bien même Ulcos s’était retrouvé parmi les derniers projets en lice, rien ne dit que l’Europe aurait accordé une aide de 250 millions d’euros sur un budget total de plus de 600 millions pour un site en péril… Un nouveau projet a-t-il plus de chance de séduire Bruxelles et ArcelorMittal, alors que la production d’acier brut y reste plus incertaine que jamais ?
Peu enclin à investir dans la R et D, ArcelorMittal a imposé au centre de Maizières-lès-Metz de ralentir, depuis plusieurs semaines, la cadence sur le sujet du captage et stockage de CO2. Le montant accordé pour ce programme de recherche semble bien maigre et guère rassurant pour la suite. Le PDG du groupe, Lakshmi Mittal, sait bien que la rentabilité économique d’Ulcos est tributaire du cours de la tonne de CO2. Celui-ci dépasse à peine 6 euros alors que le programme de stockage a été établi sur la base d’un cours près de quatre fois plus élevé ! Un scénario très incertain qui a poussé les porteurs de nombreux autres projets similaires, un peu partout en Europe, à se retirer de la course aux financements au cours de ces derniers mois.
Et c’est sans compter sur un autre obstacle déterminant : les élus et les habitants de la vallée de la Fensch. L’aide accordée par la Commission européenne est subordonnée à des autorisations administratives, qui passent par une série de procédures, d’enquêtes et de débats publics. Au vu de la vive controverse qui accompagne le débat sur une hypothétique exploitation du gaz de schiste, le doute est permis. Le contexte local est bien spécifique. Déjà affectées par les affaissements miniers, les populations de l’ancien bassin ferrifère du nord lorrain pourraient s’opposer à la perspective de conduites par lesquelles du CO2 supercritique serait acheminé sur une centaine de kilomètres. Quant au stockage du gaz, il est envisagé dans des aquifères salins près, de Verdun (Meuse).
Les habitants de la Meuse, département pressenti pour abriter dans ses tréfonds des déchets nucléaires hautement radioactifs, l’accepteront-ils sans rechigner ? Le rapport publié en novembre par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) permet d’en douter. Les experts pointent du doigt le risque d’un phénomène de « remobilisation de métaux lourds en sous-sol » qui pollueraient les nappes phréatiques lors de la phase de stockage. La dissolution du CO2 dans l’eau acidifie le milieu et peut engendrer une dissolution des minéraux. Conséquence : une possible libération dans l’eau, l’air et le sol de métaux toxiques tels que l’arsenic, le plomb, le zinc, le cuivre, l’uranium…
Malgré ce large éventail d’incertitudes, le gouvernement et ArcelorMittal persistent à ériger Ulcos en sauveur des derniers hauts-fourneaux lorrains. L’un des rares à avoir parlé d’un gaspillage d’argent public à propos de ce projet reste Jean-Louis Beffa, l’ancien patron de Saint-Gobain. Seule la reprise du marché européen de l’acier pourrait faire repartir la flamme des hauts-fourneaux mosellans…
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