Paul de Montclos, président du Syndicat textile de l’Est et PDG de Garnier-Thiebaut
La filière mise sur le label « Vosges, terre textile » pour contrer la concurrence mondiale. On la croyait disloquée après deux décennies de crise et de faillites. Pourtant, la filière textile vosgienne reste bien vivante, fière d’être encore au complet. Rescapées de la tourmente, 24 entreprises ont même lancé, en 2011, le label « Vosges, terre textile », qui se veut la première appellation d’origine contrôlée (AOC) industrielle représentative d’un savoir-faire technique. Les communes partenaires affichent déjà la signalétique du label, posant les jalons d’une route du textile qui passera par les magasins d’usine des adhérents. Les industriels songent même à présenter les productions textiles locales dans une exposition itinérante…
La vente dans les magasins d’usine fait partie intégrante du modèle économique de nombreux producteurs de textile vosgiens. Nous comptons parmi les rares régions françaises à avoir su préserver une filière entière
Paul de Montclos, le PDG de la société Garnier-Thiebaut et président du Syndicat textile de l'Est, à l'origine du label
Installé à Gerardmer, Garnier-Thiebaut, qui fêtera en 2013 ses 180 ans, commercialise son linge de table haut de gamme auprès de l’industrie hôtelière et dans ses quatre boutiques du département. À la différence du made in France, qui prend en compte la notion ambiguë de valeur ajoutée, le cahier des charges de Vosges, terre textile s’appuie sur une échelle de points fixes attribuant la même valeur aux opérations de filature, de tissage, de tricotage, à l’ennoblissement et à la confection. Contrôlés par le Centre d’essais textiles lorrain (Cetelor), un laboratoire issu de l’Université de Lorraine, les détenteurs du label doivent réaliser les trois quarts de leur fabrication, dont au moins deux opérations majeures, dans une aire géographique incluant le massif des Vosges. Cofinancé par l’État, le conseil général des Vosges et le conseil régional de Lorraine, le label mobilise 600 000 euros sur trois ans pour conforter un tissu plus solide qu’il n’y paraissait. En dépit du raz-de-marée de la fin du XXe siècle, qui vit des pans entiers de l’industrie textile s’effondrer face à la déferlante des importations, le département assure toujours la moitié de la production cotonnière française. Les entreprises ayant survécu ont su faire preuve de ténacité, de réactivité et d’innovation pour surmonter le marasme. 3 000 personnes travaillent pour la filière textile vosgienne, qui comptait 30 000 salariés il y a vingt ans.
Quatre millions de pièces siglées
Nous n’avons jamais cessé d’investir, en dépit des crises successives, et nous proposons aujourd’hui les plus grandes largeurs de tissu de France à des prix comparables à celui du grand export
Séverine Crouvezier-Scotto, présidente de Crouvezier développement qui emploie 54 salariés à Gérardmer
Créée voici 150 ans, au temps des linges blanchis à la Javel et séchés dans les champs, l’entreprise a intégré successivement les compétences de teinturier et de finisseur. L’usine traite quotidiennement quelque 150 000 mètres de tissus provenant d’Asie ou du Maghreb, et est l’un des principaux fournisseurs nationaux de l’hôtellerie et du secteur hospitalier. À Éloyes, Tenthorey, spécialisé depuis plus d’un siècle dans le linge de maison et les tissus à usage technique, s’est diversifié dans les sacs en coton équitable dont il a écoulé plus de 2 millions d’exemplaires. Fondée en 2010 après la fermeture d’Ames Europe, Maille verte des Vosges, qui emploie 20 salariés à Saint-Nabord, a préservé son savoir-faire en tricotage technique pour servir les marchés de l’automobile, de la literie et de l’ameublement. Fabricant de chaussettes, Tricotage des Vosges, qui compte 230 salariés à Vagney, est parvenu à développer en France et à l’export sa marque Bleuforêt, avant de reprendre Olympia il y a deux ans. Les adhérents de Vosges, terre textile ne sont pas tenus de labelliser la totalité de leur production. Ils estimaient, à la fin 2011, avoir vendu quelque quatre millions de pièces siglées, avant de cesser le décompte. Outre la dynamique commerciale, le label a permis aux acteurs de la filière de dépasser l’esprit de vallée et d’affirmer leur modernité. Six entreprises vosgiennes – Tricotage des Vosges, Garnier-Thiebault, Maille verte des Vosges, Innothera (un spécialiste des bas de contention) et François Hans (un fabricant de linge de lit) – se sont ainsi associées à autant de sociétés alsaciennes pour s’engager dans une démarche de lean management visant à améliorer la productivité et à limiter le gaspillage. Mariant culture, tourisme et industrie, Vosges, terre textile a conféré à ses membres une visibilité nouvelle, tant auprès des 200 000 visiteurs annuels des boutiques locales qu’à l’échelle nationale. Le label Vosges, terre textile pourrait être l’une des premières « indications géographiques protégées » concernant des produits manufacturés. Un texte européen pour protéger les savoir-faire locaux est en cours d’élaboration…
Comment le besoin d’un label industriel s’est-il manifesté ?
Surfer sur la clientèle sensible au made in France
Paul de Montclos, président du syndicat textile de l'Est et PDG de Garnier-Thiebaut
Le label est né de la volonté d’industriels, convaincus de la valeur de leur savoir-faire. Les entreprises textiles vosgiennes reviennent de loin. Elles ont combattu seules durant des décennies. Elles surmontent les réticences liées à la concurrence pour valoriser collectivement leur filière. La démarche a créé une logique de réseau. Certains industriels, qui allaient chercher leurs sous-traitants hors du département, se sont aperçu que le même service existait dans l’aire géographique du label. Ce dernier a permis d’intensifier les échanges et d’initier une démarche lean chez plusieurs adhérents ou de mutualiser le savoir-faire dans la maintenance de l’outil.
Le label a-t-il déjà démontré son efficacité commerciale ?
Sur le plan national, Vosges, terre textile permet d’aborder la discussion avec les acheteurs sous un autre angle que celui des prix. Avec ce label, nous surfons sur la part de la clientèle sensible au made in France et exigeante quant à la qualité. Les certifications qu’il représente constituent aussi un atout pour concourir aux appels d’offres qui prennent en compte la notion de développement durable et d’économie locale. À l’international, les acheteurs, notamment allemands et américains, sont sensibles aux valeurs de terroir et de tradition.
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