Les acteurs locaux de la Silver économie se regroupent et tissent des liens avec la Sarre.
L’ambition de créer un territoire de référence en matière d’e-santé et de Silver économie, l’économie au service des personnes âgées, était née en 2013 du Pacte lorraine. Ce dernier entendait rajeunir son économie en lui ouvrant de nouvelles perspectives. Il aurait pu trébucher sur la réforme territoriale. L’unification des trois anciennes régions de l’Est de la France fait au contraire apparaître l’opportunité d’une convergence, voire d’un élargissement aux Länder frontaliers.
En inscrivant la Silver économie parmi ses filières d’excellence et d’avenir, le conseil régional de Lorraine s’appuyait sur la présence à Nancy d’un grand groupe pharmaceutique et technologique, la coopérative Welcoop (1 800 salariés pour 900 millions d’euros de chiffre d’affaires), d’un tissu dense de PME dédiées au médical et d’un vivier de start-ups numériques. Le Pacte, qui prévoyait une aide de 65 millions d’euros pour conforter la Silver économie et l’e-santé, a permis d’identifier une cinquantaine d’acteurs de la future filière, dont une vingtaine d’entreprises, des bailleurs sociaux, des chercheurs de l’Université de Lorraine ou encore, des banques, mutuelles et caisses de retraite.
Sept grands projets de recherche
Le conseil départemental de la Moselle a pour sa part lancé en 2014 la démarche Habitat innovant et solidaire, qui fédère une trentaine d’acteurs sur la thématique de l’habitat connecté. L’Alsace a inscrit le programme « assister l’humain au quotidien avec l’e-santé pour mieux vivre et bien vieillir » dans les objectifs de la Smart Specialisation Strategy – ou 3S – préconisée par l’Europe dans le cadre de ses fonds structurels. La Champagne-Ardenne a également placé la Silver économie au rang de priorité, avec sept grands projets de recherche liés au vieillissement et à la longévité.
La synthèse des réalisations des trois territoires va permettre de constituer un cadre plus structurant en vue d’un cluster régional.
Lilla Merabet, vice-présidente du conseil régional Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine en charge de l’Innovation
Fondé à Metz en octobre 2015 sous l’égide de Laurence Rossignol, alors secrétaire d’Etat chargée des personnes âgées et de l’autonomie, et de Elke Ferner, secrétaire d’Etat auprès du ministre fédéral des personnes âgées en Allemagne, le cluster franco-allemand Silver Economie a élargi le champ de la coopération tout en rapprochant des acteurs économique de poids.
Fabricant d’équipements électriques de dimension mondiale (11 400 salariés pour 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires), Hager Group, basé en Sarre et solidement implanté en Alsace, a trouvé dans ses terres d’origines les ferments d’une reconversion dans la Silver économie. Pour populariser son offre domotique, le groupe s’est intégré au réseau sarrois AAL (Ambient Assisted Living) dédié à l’autonomie des personnes âgées. En Alsace, il s’est impliqué dès 2010, aux côtés du pôle de compétitivité Aménagement de la maison, dans la conception de la Maison Adorha, vitrine de la domotique lancée sous maîtrise d’ouvrage du département du Bas-Rhin.
L’élargissement de la nouvelle région nous convient tout à fait, car Philippe Richert, ancien président du conseil général du Bas-Rhin, puis du conseil régional d’Alsace, fait de l’accompagnement du vieillissement une ambition spécifique de la nouvelle région.
Jean-Michel Hervouët, Silver Economy Manager de Hager Group
Basée à Meisenthal (Moselle), aux confins de l’Alsace, de Lorraine et de la Sarre, la start-up Hakisa (« chien de traîneau », en Inuit) mise sur son positionnement excentré pour synthétiser les expériences pilotes et élargir son « hub social », qui connecte déjà 22 000 personnes âgées.
Notre position nous confère une vision élargie de la Silver économie. La Lorraine aborde la question à travers le prisme de l’habitat intelligent et connecté. L’Alsace se focalise sur les services à la personne. L’approche de la Sarre est plus globale et combine les notions d’AAL, de domotique et de services.
Eric Gehl, co-fondateur de Hakisa
L’entreprise de 7 salariés commercialise trois types d’applications distinctes, Smart Home, Smart Care et Smart Services, auprès de bailleurs sociaux, de collectivités et de grands opérateurs. Invitée en janvier dernier au CES de Las Vegas parmi 15 start-up retenues par la Poste dans le cadre du programme FrenchLot, qui vise à soutenir les entreprises numériques françaises à l’international, Hakisa a constaté un intérêt croissant des industriels pour le marché du Smart Home et remarqué l’excellente réputation des Français en matière d’objets connectés.
L’Est de la France ne manque d’atouts ni sur le plan industriel, ni en matière de recherche sur l’habitat adapté, l’e-santé et l’accompagnement des personnes âgées. En Alsace, la société bas-rhinoise l’Arche du Bois propose du mobilier en Corian aux établissements médico-sociaux pour améliorer l’hygiène tout en allégeant la charge de travail. En Lorraine, Pharmagest a développé l’e-pilulier et la Satebox, un écran tactile permettant un suivi médicalisé à distance dans le cadre du projet de recherche lorrain Satelor. La start-up Stimul’Activ a obtenu les financements du Fonds numérique lorrain pour développer l’application Stibox, qui aide les patients âgés à mobiliser leur mémoire tout en créant un lien avec les aidants. En Champagne-Ardenne, plusieurs Ephad testent le cuivre, connu pour ses vertus antiseptiques, dans certains éléments des chambres des résidents pour prévenir les maladies nosocomiales. Aux confins de l’industrie, des services, de la recherche et du médico-social, la Silver économie constitue plus qu’un simple marché. De sa structuration, mais aussi, des impératifs éthiques qui l’encadreront, dépend l’avenir de générations de séniors.
Le chiffre : 27,7 % de la population de l’Acal aura dépassé l’âge de 65 ans en 2040, soit 11 % de plus qu’en 2011. (source Insee, Projection de population OMPHALE).
Interview
Erwan Salque, directeur de l’innovation et des solutions patients – pôle e-patients et chef du projet « 36 mois de plus » à Pharmagest Interactive
« Un marché protéiforme qui ne connaît pas encore ses propres besoins »
Pourquoi avoir intitulé votre projet « 36 mois de plus » ?
Parce notre intention consiste à doubler la période de 18 mois qui s’écoule en moyenne entre l’apparition des premiers signes de dépendance et le départ de la personne âgée en maison de retraite. Pour intervenir au tout début de la perte d’autonomie, nous allons coupler les outils traditionnels tels les tapis antidérapants, les barres d’appui ou les signaux lumineux, avec les nouvelles technologies. Nous étudions les services qui permettront de traiter les flux d’informations générés par les capteurs. Par exemple, il sera possible de signaler à la conciergerie la présence d’aliments périmés dans le réfrigérateur. Le projet d’un montant de 5 millions d’euros se poursuivra l’an prochain dans une résidence-services que le groupe Welcoop construira en banlieue nancéienne.
Comment abordez-vous le marché de la Silver économie ?
En faisant preuve d’écoute et d’ouverture. Il faut entendre les soignants et les aidants, respecter les personnes âgées, accepter les refus et ne pas voir la concurrence partout. Les acteurs et les financeurs seront multiples et personne ne peut envisager de tout gérer tout seul. La Silver économie est un marché protéiforme qui ne connaît pas encore ses propres besoins. Les réseaux de pharmaciens y joueront un rôle important et il faudra des installateurs de confiance pour intervenir à domicile.
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