Avec 23.000 visiteurs en 2019, l’exposition d’art contemporain Regionale, qui fête ses 20 ans, apparaît comme le plus grand événement artistique transfrontalier d’Europe. Initiée à Bâle, cette manifestation réunit aujourd’hui 18 lieux d’art de Suisse du Nord-Ouest, Baden du Sud et d’Alsace.
Chercheuse en sciences de la culture, ancienne conservatrice adjointe de la Kunsthalle Basel et membre du conseil d’administration de l’espace d’exposition bâlois Ausstellungsraum Klingental/Rank, Silke Baumann dirige Regionale depuis 2019. Elle retrace les grandes étapes d’une coopération trinationale libre et créative.
La vingtième édition de Regionale a débuté fin novembre et se poursuivra jusqu’en février dans certaines galeries (1). Quels ont été les temps forts de cette célébration ?
Ils ont été nombreux et très diversifiés, car cette célébration exprimait la spécificité de Regionale : regrouper dans un espace trinational des lieux d’art indépendants de taille différente qui fonctionnent de manière autonome. Chacun des 18 partenaires a thématisé cet anniversaire à sa façon. Ainsi, la Kunsthalle Basel a choisi comme curateur PeterPakesch, l’un des fondateurs de Regionale. Ce commissaire a organisé l’exposition « Eine Karte -35/65+ », qui a présenté des œuvres d’artistes âgés de moins de 35 ans et de plus de 65 ans. Cette expérience a permis de montrer que les frontières ne se situaient plus tant dans les générations que dans les thèmes abordés.
Pour cette vingtième édition, nous avons également lancé un appel à candidatures spécifique qui a permis de retenir deux projets : celui de Sanna Reitz, qui a affiché dans l’espace public des images de haies photographiées dans la région tri-rhénane, et celui du collectif marsie, qui a conçu des parcours transfrontaliers. J’ai participé à l’une de ces promenades où des artistes partis, pour les uns, du Nord Théâtre de Saint-Louis, pour les autres, de la Städtische Galerie Stapflehus de Weil am Rhein, sont allés à la rencontre les uns des autres. Je l’ai vécu comme un grand moment de ce vingtième anniversaire.
Quelle est la principale réussite de Regionale depuis sa création ?
Ce qui me semble le plus surprenant est que cette exposition, organisée à titre expérimental fin 1999, se soit répétée sans interruption tous les ans en prenant de plus en plus d‘ampleur. Partie de Bâle, l’initiative s’est rapidement étendue à Weil am Rhein et à Freiburg, puis à Mulhouse, où nous comptons aujourd’hui deux partenaires, la Filature, scène nationale, et la Kunsthalle. Lors de son dixième anniversaire, Regionale a inclus Strasbourg, où le Garage Coop a rejoint cette année les deux autres lieux d’art strasbourgeois, la Chaufferie, dans la galerie de la Haute école des arts du Rhin, et le Centre européen d’actions artistiques contemporaines. La plupart des lieux d’exposition de Regionale sont situés dans la région de Bâle, mais cette continuité transfrontalière est très importante. Regionale n’est pas seulement une vitrine des artistes de l’espace trinational. C’est aussi une vitrine des institutions et des acteurs culturels de ces trois composantes.
Le public est également partie prenante de cette ouverture. Depuis 2003, nous organisons des circuits en bus et des navettes gratuites entre les différents sites. Cette année, nous avons proposé pour la première fois un circuit en bus d’une journée entière qui reliait Strasbourg à Bâle. Plus de 30 personnes ont participé à cette initiative, qui a permis de mieux faire vivre la dimension transfrontalière de l’événement.
Regionale se traduit-il par d’autres coopérations tout au long de l’année ?
L’exposition renforce des liens entre institutions et suscite de l’émulation. Chaque édition de Regionale donne lieu à une demi-douzaine de réunions, durant lesquelles tous les partenaires échangent des idées. Certains de nos membres ont coopéré à l’occasion d’autres projets. Le centre d’art contemporain la Kunsthalle de Mulhouse et le Museum für Neue Kunst de Freibourg ont ainsi organisé en 2018 l’exposition miroir « Mon Nord et ton Sud » et « Your North is my South.
Les artistes eux-mêmes aiment franchir les frontières. Certains d’entre eux viennent s’installer dans le pays voisin. D’autres réussissent des rapprochements virtuels. Cette année, le Syndicat Potentiel basé à Strasbourg et le Ausstellungsraum Klingental/Rank de Bâle ont organisé l’exposition Embed Views sur la base d’une retransmission de travaux artistiques grâce à des caméras implantées dans les ateliers d’artistes.
Qui finance Regionale ?
Notre budget se monte à 65.000 euros. La Suisse est le principal contributeur, grâce au soutien des collectivités de Bâle et des fonds privés. Les villes de Freiburg, de Strasbourg, de Mulhouse et de Saint-Louis contribuent également au financement. Les galeries apportent collectivement 20.000 euros.
Nous n’avons jamais sollicité les grandes institutions dédiées à la coopération transfrontalière, d’abord pour des raisons historiques. A l’origine, Regionale était l’exposition de la région de Bâle et se tenait chaque année à Noël sur un mode très traditionnel. Lorsque les artistes ont décidé de la faire évoluer, ils ont organisé de manière autonome leurs échanges avec le sud du Baden du Sud et l’Alsace. S’ils s’étaient placés sous l’égide d’une grande fondation, Regionale n’aurait pas conservé la même liberté. Elle serait sans doute devenue une grande exposition disposant de plusieurs relais. Il y aurait eu un risque d’uniformisation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, puisque chaque galerie met en œuvre ses propres propositions. Regionale sait surprendre parce qu’elle a conservé sa liberté.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Toutes les institutions que nous regroupons y réfléchissent. Il existe plusieurs pistes de réflexions pour faire évoluer l’exposition. Certaines propositions visent à commander plus d’œuvres créées spécifiquement pour Regionale, ou à renouveler des appels d’offres rassemblant les différents partenaires. La question d’augmenter ou non le nombre de villes fait également débat. Regionale pourrait intégrer plus de sites partenaires, mais trop grossir serait un risque : il serait plus difficile de voir toute l’exposition et l’augmentation du nombre d’acteur nuirait peut-être à la cohésion.
Propos recueillis par Pascale Braun
Jusqu’au 17 janvier 2020 au Kunst Raum Riehen pour la Nuit des musées de Bâle 2020.
Jusqu’au 19 janvier 2020 à la Kunsthalle Basel (Suisse) pour la Nuit des musées de Bâle 2020 et à la Städtische Galerie Stapflehus de Weil am Rhein (Allemagne)
Jusqu’au 16 février 2020 au CEAAC de Strasbourg.
www.regionale.org
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