Maîtres de forges paternalistes, la famille a conjugué durant trois siècles empire industriel et conservatisme politique. Sortie de la sidérurgie en 1978, elle a depuis bâti une puissante société d’investissement, rebaptisée récemment Wendel.
Lorsque nous étions enfants, nous pensions que c’étaient les rois
souvenir d'une Mosellane.
En trois siècles de règne sur le charbon et sur l’acier, la dynastie Wendel a jalonné la Lorraine de places, de monuments, de châteaux et même d’une ville – Stiring-Wendel – à son nom.
L’épopée de la famille débute sous l’Ancien Régime, lorsque Jean-Martin Wendel, fils cadet d’un officier du duc de Lorraine, acquiert en 1704 à Hayange (Moselle) une seigneurie dotée de forges. Anobli en 1727, il construit sur ses terres le premier château de la famille.
Son petit-fils Ignace, ingénieur féru d’innovations, expérimente la coulée de fonte en remplaçant le bois par du coke dans les premiers hauts-fourneaux. Il figure, en 1782, parmi les fondateurs de la fonderie royale et de la ville du Creusot, avec le soutien financier de Florentin Seillière.
Une quinzaine d’années plus tard, la banque Seillière recrutera le jeune Adolphe Schneider. Ces trois familles lorraines n’ont cessé de tisser des liens industriels, financiers et matrimoniaux au cours des trois siècles suivants.
Des deux côtés de la frontière
Au cours de la Révolution, les biens de la famille Wendel sont confisqués et Ignace s’exile en Allemagne. En 1804, son petit-fils François reconstitue le patrimoine familial et applique aux forges lorraines des procédés venus de Grande-Bretagne, tels le puddlage (transformation de la fonte en fer par brassage) et le laminage. À la fois industriel et homme politique, il devient député et conseiller général de la Moselle.
Son fils Charles (1809-1870) fonde la ville et les forges de Stiring-Wendel avec son beau-frère, le baron Théodore de Gargan. La famille acquiert les houillères de Petite-Rosselle et les mines de fer de Briey, contrôlant ainsi les productions complémentaires du charbon, du minerai et de l’acier.
L’annexion qui résulte de la guerre de 1870 place les usines mosellanes en territoire allemand. Les Wendel restent en Lorraine annexée, mais fondent de nouvelles usines à Joeuf, du côté français.
En 1881, la société des petits-fils de François de Wendel achète l’exclusivité du brevet Thomas-Gilchrist pour séparer le phosphore qui, mélangé à la fonte, rendait l’acier cassant. Durant quinze ans, cette innovation confère aux aciéries de Wendel un avantage décisif sur la concurrence. Le brevet tombe ensuite dans le domaine public, favorisant l’émergence de nouveaux sidérurgistes au long des vallées de la Fensch, de la Chiers et de l’Orne. La Lorraine rurale se convertit ainsi en l’une des plus grandes régions d’industrie lourde du monde.
Le XXe siècle commence sous des auspices fastes : avec 134.000 tonnes de fonte par an, la maison Wendel est dans les années 30 la première entreprise sidérurgique française. Sa politique sociale repose sur un catholicisme paternaliste résumé par la devise : « Travaillez et priez. » Les villes ouvrières sont tout entières régies par le patronat qui y instaure des hôpitaux, des églises, des écoles, des magasins coopératifs, des centres d’apprentissage. Le système s’avère précurseur en matière de retraites et d’indemnités en cas de maladie ou d’accident, mais peu conseillé aux militants révolutionnaires.
François de Wendel, deuxième du nom, député de Meurthe-et-Moselle de 1914 à 1933, puis sénateur de 1933 à 1941, incarne le conservatisme des « 200 familles ». Président du comité des maîtres de forges de France, administrateur de la Banque de France, il soutient la ligue nationaliste et paramilitaire les Croix de Feu pour contrer le Front populaire. Mais hostile à l’occupant allemand, l’industriel s’abstient de voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1941 et s’écarte de la vie politique.
Une tradition d’opulente austérité
La Seconde Guerre mondiale n’entame guère les biens de la famille et les nationalisations de 1946, qui englobent ses mines de charbon, lui laissent cependant les usines sidérurgiques. Durant l’après-guerre, la famille Wendel entend rester fidèle à sa tradition d’opulente austérité.
Bien sûr, il y avait des châteaux où l’on vivait confortablement. Mais dans un esprit de devoir, pas de jouissance
Ernest-Antoine Seillière, fils de Renée de Wendel et du baron Jean Seillière, dans une interview à L'Est républicain
L’empire industriel décline pourtant en sourdine. Des investissements mal maîtrisés, une rentabilité réduite par le contrôle des prix, conduisent à une colossale accumulation de dettes. En 1978, le gouvernement de Raymond Barre place la société Wendel et Cie sous le contrôle des banques d’État, au grand dam de Henri de Wendel, dernier maître de forges de Lorraine, qui quitte à tout jamais le château de Hayange.
La nationalisation s’officialise en 1981. La famille aurait pourtant mauvaise grâce à crier à la spoliation. Elle conserve en effet une kyrielle d’affaires hétéroclites qui, regroupées sous le holding Compagnie générale d’industrie et de participation (CGIP), subviendront aux besoins des quelque 800 descendants de François de Wendel (lire encadré).
L’État engloutira pour sa part 100 milliards de francs dans la gestion de la déroute de la sidérurgie lorraine, qui détruira 60.000 emplois. Trente ans plus tard, la catastrophe économique est partiellement surmontée, mais les affaissements miniers empoisonnent toujours le bassin sidérurgique, ravivant le sentiment de gâchis.
Tout au moins cela aura-t-il permis aux descendants des Wendel, les barons du fer, de se tirer à peu de frais d’une aventure qui avait pourtant fait la fortune de plusieurs générations de leurs rejetons
Aurélie Filippetti, fille d'un mineur communiste, dans son livre les Derniers Jours de la classe ouvrière (Stock, 2003)
Élue députée de la 8e circonscription de la Moselle en juin dernier, la jeune romancière socialiste a battu sur le fil Alain Missoffe, époux de la seconde fille d’Antoine-Ernest Seillière.
Jamais je n’aurais imaginé qu’en 2007 on puisse attaquer avec une telle violence un candidat sur son arbre généalogique !
Alain Missoffe
Peut-être les Lorrains ont-ils gardé quelque rancoeur à l’encontre de leurs anciens rois.
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