Inspecteur de l’Education nationale détaché auprès du ministère de la Culture, Sébastien Paci est désormais conseiller pour les territoires et conventions interministérielles du pôle Démocratisation et industries culturelles de la Drac Grand Est (1).
Basé à Metz, il a supervisé jusqu’en 2016 les relations transfrontalières avec la Sarre et le Luxembourg et gère encore plusieurs dossiers de coopération. Epris de culture et d’éducation culturelle, il prône une intervention étatique démocratique et efficace.
L’espace culturel Grande Région organise ce 20 septembre 2018 au château de Bourglinster (Luxembourg) une conférence sur le patrimoine culturel et naturel en Grande Région. Cette initiative traduit-elle de nouvelles ambitions ?
Cette association de droit luxembourgeois (2) est en phase de restructuration. Lorsque j’ai cessé d’y siéger en tant que coordinateur, il y a maintenant deux ans, elle se trouvait dans une période difficile. Créée voici dix ans pour pérenniser les acquis de l’année 2007, durant laquelle Luxembourg et la Grande Région ont été désignés capitale culturelle européenne, elle avait perdu son dynamisme et manquait de lisibilité. L’actuelle présidence luxembourgeoise de la Grande Région a engagé un audit sur ses activités, tout en lui fixant pour mission de valoriser le patrimoine local et de constituer un itinéraire culturel et touristique autour de Robert Schuman.
Comment expliquez-vous les difficultés de cette coopération ?
Dans l’Espace culturel Grande Région, qui s’est élargi à la Sarre, à la Wallonie et à la Rhénanie-Palatinat (1), est apparu “un choc des cultures”. L’approche allemande, qui met sa politique culturelle en pratique dans la vie quotidienne, diffère de la vision du ministère français de la Culture, qui poursuit davantage des visées artistiques. La Wallonie est pour sa part à la recherche de solutions pratiques et opérationnelles. Par ailleurs, chaque territoire attend un retour sur investissement. Lorsqu’une structure qui regroupe six composantes réalise deux projets par an, les autres membres sont forcément mécontents.
Plus généralement, la coopération pâtit souvent d’un manque d’analyse préalable. La politique culturelle comporte beaucoup de diplomatie : tout le monde est toujours d’accord sur tout, parfois avant même que les projets ne soient formulés, mais les choses n’avancent pas. Il vaudrait mieux consacrer plus de temps à la définition des objectifs. Il faut passer du politiquement correct au politiquement efficient.
Esch 2022 sera—t-il l’occasion de concrétiser cette approche ?
Je l’espère. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la phase de mise en place du projet côté luxembourgeois : toutes les capitales européennes de la Culture sont passées par ce stade. Il faut attendre la stabilisation politique qui succédera aux élections et l’arrivée des personnes à leur poste, puis le travail se fera.
Côté français, le conseil régional du Grand Est et la communauté de communes Pays-Haut Val d’Alzette font partie du conseil d’administration d’Esch 2022. Implanté sur la frontière, le pôle culturel de Micheville est en phase d’émergence et à vocation à devenir un établissement phare dans ce contexte. Centré sur le numérique et les arts vivants, mais aussi sur le patrimoine, il aura nécessairement une vocation transfrontalière. Mais il est difficile de mobiliser une énergie citoyenne sur ce territoire en mutation. Par chance, il existe une continuité entre la communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette, les Terres rouges côté luxembourgeois et la Wallonie. Mais il s’agit d’un substrat très particulier. Dans le nord-lorrain, les travailleurs frontaliers présentent un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, mais une pratique culturelle plutôt pauvre. La volonté de réactiver le groupe culture du groupement européen de coopération territoriale Alzette-Belval existe, mais il est difficile d’aller dans le concret.
Comment aider les habitants à s’approprier le territoire ?
Il faut éviter de rester dans l’entre soi et s’adresser au citoyen lambda, qui ne va pas spontanément voir des expositions à Metz ou à Luxembourg, et encore moins à Mons ou à Mayence. Certaines franges de la population sont aujourd’hui ignorées. C’est notamment le cas de la population d’origine portugaise vivant en France et travaillant au Luxembourg. Autant la composante italienne est intégrée depuis fort longtemps, autant la population lusophone reste à l’écart. La politique culturelle transfrontalière doit être participative, répondre à des besoins et ré enchanter le territoire. C’est pourquoi nous avons subventionné les initiatives d’art urbain initiées par la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette à Villerupt. Les subventions ne s’arrêtent pas forcément aux frontières, et vont plus facilement de la France au Luxembourg qu’en sens inverse.
La Drac cofinance entre autres les festivals Perspectives, Loostik, Mir Redde Platt, Primeurs… Sur quelles bases engage-t’elle des coopérations transfrontalières ?
Elle s’engage dans les projets d’éducation artistique et culturelle dans des territoires où la frontière culturelle n’existe pas. Ces cofinancements ne donnent d’ailleurs qu’une vision très parcellaire des coopérations régionales : de nombreux acteurs culturels travaillent spontanément avec le voisin sans en référer à la Drac. Nous soutenons également les projets qui favorisent le vivre ensemble. La proximité recouvre parfois des solitudes juxtaposées. Le voisin y est tout juste toléré, ou vu comme un concurrent. L’action culturelle incite au partage et à la création e liens.
La constitution du Grand Est donne-t-elle plus de poids à la composante française dans la coopération transfrontalière ?
La Drac du Grand Est est encore dans une phase d’harmonisation. Elle se compose de trois antennes implantées dans les anciennes régions pour assurer un rôle de proximité et aller davantage sur le terrain. Lorsque ce travail sera achevé, il faudra trouver un équilibre entre ce qui doit être harmonisé et les spécificités qui doivent être conservées. De cet équilibre naîtra in fine la place de la Drac Grand Est dans le contexte grand-régional.
Propos recueillis par Pascale Braun
(1) La Direction régionale des affaires culturelles se compose d’un pôle Création basée au siège de à Strasbourg, du pôle Patrimoines implanté à Châlons-en-Champagne et du pôle démocratisation et industries culturelles situé à Metz.
(2) L’association Espace culturel Grande Région réunit les administrations publiques culturelles du Grand-Duché du Luxembourg, de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat, de la Région Grand-Est, de la Drac Grand est, de la fédération Wallonie Bruxelles et de la Communauté germanophone de Belgique.
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