Lors de sa création, l’Eurodistrict SaarMoselle espérait fédérer un espace binational de 700 000 habitants autour de grands projets. Six ans plus tard, ces ambitions ont été revues à la baisse, mais la coopération ne s’est pas essoufflée. La jeune assemblée pose patiemment les jalons d’une harmonisation territoriale transfrontalière.
La marche était sans doute trop haute. En 2010, les fondateurs de l’Eurodistrict SarreMoselle se donnaient 15 ans pour transformer un territoire de 1 460 km2 meurtri par les séquelles de l’industrie lourde en îlot binational de prospérité et de modernité. Compromis entre vision d’avenir et feuille de route, un « Leitbild » consignait les grands projets communs dont un site culturel phare sur le modèle du musée Guggenheim de Bilbao, une ligne de tram-train transfrontalière et un parc naturel binational. L’ancienne région sidérurgique et minière se rêvait en pionnière des énergies renouvelables, en creuset du bilinguisme et en place forte de la recherche/développement franco-allemande.
Six ans plus tard, aucun de ces rêves ne s’est concrétisé, sans que ne s’installent pour autant aigreur ou désillusion. La crise de 2008 a renvoyé les membres de la communauté urbaine de Sarrebruck et des sept intercommunalités de l’est-mosellan à la dure réalité des contraintes budgétaires. L’Eurodistrict s’est également heurté à des problèmes liés aux limites de compétences institutionnelles de part et d’autre de la frontière. Mais les 62 délégués de l’assemblée, tous issus des intercommunalités membres, restent convaincus du potentiel de leur territoire et de l’intérêt de la coopération.
L’Eurodistrict a permis de grands progrès, même s’il reste beaucoup de chemin à parcourir. La coopération a donné de bons résultats en matière d’attractivité et de tourisme et doit à présent se recentrer sur le potentiel économique du territoire, qui n’est pas encore suffisamment connu.
Peter Gillo, directeur de la communauté urbaine de Sarrebruck et président de l’Eurodistrict de SaarMoselle de 2014 à fin juin 2016
Une force de proposition appréciée
Représenté par un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT) et alternativement placé sous présidence française et allemande, l’Eurodistrict constitue une force de proposition appréciée qui s’est inscrite dans six projets européens depuis l’ouverture du guichet de candidatures des fonds Interreg V en début d’année 2016. Il intervient en tant que porteur de la deuxième phase de « la Bande bleue, das blaue Band », dont il a assuré la maîtrise d’ouvrage dans le cadre d’Interreg IV. L’opération, qui a mobilisé 5,6 millions d’euros financés pour moitié par les fonds européens, a permis aux communes et intercommunalités de mener à bien 26 chantiers d’embellissement de la rivière dont la réhabilitation du port fluvial de Sarrebruck, la réfection des chemins de halage de Sarreguemines et la création de zones de loisirs dans des villes plus petites, telles Grosbliederstroff (Moselle). Unanimement salué comme une réussite, « la Bande bleue » pourrait entrer dans une deuxième phase qui élargirait son périmètre d’intervention aux affluents de la Sarre de part et d’autre de la frontière et conforterait sa dimension touristique. Toujours en phase de définition, le projet pourrait également intégrer les objectifs de Voies navigables de France, qui compte développer le tourisme fluvial sur la partie française du canal de la Sarre.
Les cinq autres projets Interreg V, dans lesquels l’Eurodistrict intervient en tant que partenaire, témoignent de la volonté d’inscrire le rapprochement sarro-mosellan dans la durée. La structure s’associe ainsi au projet du conseil départemental de la Moselle qui souhaite instaurer un système de billettique transfrontalière, dans l’organisation de stages franco-allemands pour les collégiens et lycéens, dans le développement de la coopération sanitaire à l’échelle de la Grande Région (1) et dans un projet de valorisation du patrimoine dénommé Pierres numériques. D’ici à la fin de l’année, l’Eurodistrict compte participer à deux projets supplémentaires respectivement dédiés au confortement de la Route du feu, qui chemine au long de dix sites majeurs du patrimoine industriel des deux régions, et à l’implantation de crèches transfrontalières.
Marketing commun
L’Eurodistrict a également fixé fin 2015 un programme d’action répertoriant 14 projets retenus parmi 80 propositions.
Nous avons instauré quatre conférences thématiques dédiées au développement économique, au tourisme, à la cohésion sociale et à l’aménagement urbain et territorial. Pour cette nouvelle programmation, nous ne sommes pas repartis sur les mêmes bases. Il fallait clarifier les compétences de l’Eurodistrict et admettre que nous ne pouvons pas tout faire. Nous devons cibler nos actions pour les pérenniser et y impliquer tous nos territoires – ce qui reste une gageure. Plus on s’éloigne de la frontière, plus le degré d’implication a tendance à se distendre. Nous voulons nous focaliser sur des projets auxquels tous nos adhérents puissent participer.
Isabelle Prianon, directrice de l’Eurodistrict depuis sa création
Prioritaire, le développement économique se traduit par un marketing commun de la Sarre et de l’est mosellan dans les salons européens et par l’édition d’un site internet cartographiant les zones industrielles du territoire. Représenté côté mosellan avec la Smart à Sarreguemines et en Sarre, où la filière emploie 80 000 personnes, le secteur automobile pourrait poursuivre son développement. La partie mosellane du territoire bénéficierait alors de ses vastes réserves foncières – mais devrait surmonter ses propres rivalités internes.
Première zone binationale de France lors de sa création voici 20 ans, l’Eurozone de Forbach Nord n’est pas parvenue à faire jouer la synergie transfrontalière tant les obstacles administratifs et fiscaux se sont avéré pesants. La nouvelle zone industrielle binationale prévue entre Creutzwald et Uberherrn, en Sarre, se montre plus prudente et moins ambitieuse dans ses objectifs.
Le tram-train reste sur les rails
Le groupe de travail « développement territorial et urbain », qui avait disparu en 2008 au terme de la première programmation, reprend la notion de « visions d’avenir » figurant dans le Leitbild. L’espoir de créer des boulevards et avenues transfrontalières connectant villes moyennes et bourgades enclavées n’est pas éteint, en dépit de quelques embardées.
Depuis la création de l’Eurodistrict, les ambitions restent les mêmes. Ce sont juste les moyens qui ont changé.
Cédric Kaczynski, urbaniste du syndicat mixte de cohérence du Val de Rosselle
Le tram-train Sarrebruck-Forbach, qui constitue le projet phare de l’Eurodistrict, a failli s’arrêter net en 2013, quand le Land de Sarre s’est retiré des études de faisabilité. Le coup de frein ne tenait pas à un désintérêt politique, mais à des contraintes financières qui avaient égalent conduit le Land le plus endetté d’Allemagne à surseoir à deux autres liaisons ferroviaires internes.
Volontariste, l’Eurodistrict a mandaté le bureau d’études allemand Drees & Sommer pour élaborer de nouvelles pistes de mobilité. Remise fin 2015, l’étude de faisabilité propose deux variantes pour relier les gares de Forbach et de Sarrebruck, distantes de 11 kilomètres. Après un tronc commun partant de la gare de Forbach pour rejoindre l’Allemagne via le poste frontière de la Brème d’Or, le premier tracé franchirait les voies ferrées de l’Arbed et longerait le jardin franco-allemand pour rejoindre la gare de Sarrebruck pour un coût de 14,9 millions d’euros/km. La seconde option, également réalisable en bus à haut niveau de service, consiste à traverser la vieille ville de Sarrebruck et d’emprunter le pont Wilhem-Heinrich pour rejoindre le réseau de transports publics existant, moyennant un investissement de 15,9 millions d’euros/km.
Compris entre 102 et 170 millions d’euros en fonction des options, le coût de l’infrastructure reste relativement modeste au regard des bénéfices escomptés. Le thème de la mobilité revient avec insistance dans la perspective des élections du nouveau parlement sarrois en 2017. Les nouvelles dispositions des fonds européens pourraient également contribuer à relancer le projet.
Route du feu transfrontalière
Le tourisme constitue le domaine de coopération le plus abouti – et peut-être le plus prometteur – de l’agglomération transfrontalière. Riche de deux sites Unesco – les anciennes aciéries de Volklingen et la réserve de biosphère du Bliesgau -, l’Eurodistrict s’appuie sur à la fois sur son histoire et sur ses paysages pour reconstruire son image. La Route du feu témoigne des flamboyances passées des faïenceries de Sarreguemines, de la pérennité de la céramique et des arts verriers et de la puissance de l’industrie lourde avec des aciéries de Volklingen et carreau Wendel à Petite-Rosselle. Ces deux vestiges industriels complémentaires, qui pourraient à eux seuls faire office de site culturel majeur, n’ont pas réellement valorisé leur potentiel transfrontalier.
400 km de pistes cyclables en vis-à-vis
En revanche, la coopération a progressé à vive allure au long du réseau de pistes cyclables Vélo-Visavis. Patiemment édifié par les collectivités mosellanes et sarroises durant plus de dix ans, le parcours représente environ 400 kilomètres équitablement répartis au long des berges de la Sarre, de la Rosselle et de la Blies. Les quatre offices du tourisme de l’Est mosellan et leurs homologues de Sarrebruck et du SaarPfalz – cette instance, équivalente d’un office de tourisme départemental, ne comptant pas parmi les membres de l’Eurodistrict – rééditent une version complétée du réseau de pistes cyclables Vélo-vis-à-vis. L’infrastructure représente aujourd’hui le fer de lance d’un tourisme cyclable de plus en plus prisé.
Avant d’élaborer de nouvelles cartes, les partenaires ont conduit une réflexion commune pour définir 10 circuits phares et trois cibles distinctes, les familles, les sportifs et les amateurs de vélotourisme intéressés par le patrimoine. Cette concertation doit nous permettre de valoriser conjointement notre patrimoine à l’occasion de salons professionnels.
Annick Berner, directrice de l’office de tourisme communautaire de Sarreguemines Confluences
Les collectivités mosellanes se lancent progressivement dans le « Bike ans bed » et dans la location de vélos classiques et électriques.
La coopération sanitaire patine
En pleine expansion dans d’autres zones frontalières dont la frange franco-belge ou franco-luxembourgeoise, la coopération sanitaire patine dans l’Eurodistrict, où aucune avancée n’a été constatée depuis un projet de convention avorté en novembre 2015. Les besoins sont pourtant criants dans l’ancien bassin houiller où se conjuguent vieillissement de la population, pathologies développées par les mineurs retraités et appauvrissement drastique de l’offre médicale. Obsolètes, les anciens hôpitaux des Houillères auraient dû laisser la place au début de cette décennie à un plateau technique unique commun. Les dissensions internes ont fait capoter le projet, obligeant les malades à des déplacements de plus de cent kilomètres pour trouver à Nancy ou à Strasbourg les réponses à certaines pathologies, alors même que Sarrebruck dispose d’équipements complets à quelques minutes de route. Seule une convention franco-sarroise portant sur les urgences cardiovasculaires et les traitements post-AVC estompe une frontière encore tenace. L’ouverture à moyen terme d’un centre d’imagerie médicale à Sarreguemines pourrait rééquilibrer et relancer les échanges.
Cartographie unifiée
La nouvelle programmation de l’Eurodistrict prévoit – un peu tard – le rapprochement entre les Scots mosellans des arrondissements de Sarreguemines et du Val de Rosselle en Moselle et les services d’urbanismes de la Ville de Sarrebruck et du Regionalverband (équivalent du district) de Sarrebruck pour se doter d’outils communs. Une cartographie unifiée constituera pour l’Eurodistrict une appréciable aide à la décision, notamment en matière de densification urbaine. Cette notion, qui progresse difficilement dans un est mosellan encore peu soucieux de préserver son foncier, revêt un caractère prioritaire dans les espaces sarrois plus contraints. La planification urbaine doit également permettre d’éviter la concurrence frontale entre zones d’activité ou commerciales et offrir aux élus une vision plus complète des projets de leurs voisins. L’idée d’une assemblée consultative transfrontalière et populaire relève encore de l’utopie. Au moins l’Eurodistrict se dote-t-il patiemment des outils, pratiques et expériences préalables à une meilleure cohésion.
Roland Roth, président de la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences et vice-président de l’Eurodistrict Saarmoselle
« Un impact territorial important »
L’Eurodistrict intervient-il en complément des compétences respectives de ses membres, en tant que force de proposition ou en tant que pilote ?
Aucune collectivité membre n’a transféré ses compétences à l’Eurodistrict, car c’est administrativement impossible. Nous ne pouvons rien faire sans l’accord de nos membres. Cela ne nous empêche pas d’être pilotes en ouvrant le débat. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il subsiste une grande méconnaissance des fonctionnements et des réalités respectives de part et d’autre de la frontière.
Quels est selon vous le principal acquis de la coopération depuis sa création de l’Eurodistrict ?
C’est certainement le rapprochement qu’il a permis sur un territoire de plus en plus étendu. Née voici une vingtaine d’année sous forme associative, la coopération a fortement progressé. Il existe aujourd’hui une assemblée officielle et un mode de gouvernance qui permet un impact territorial important, comme en témoignent le projet Bande bleue sur l’aménagement des berges de la Sarre ou le parcours cyclable Vélo-Visavis.
Quelle serait à moyen terme la réalisation la plus structurante ?
Il y en aura plusieurs. Nous assisterons certainement à des progrès en matière de développement économique et de coopération sanitaire. Le projet de tram-train Sarrebruck-Forbach ou de bus en site propre dépendra de décisions politiques. L’Eurodistrict n’a un rôle d’accompagnement dans cette réflexion.
Quels souhaits aimeriez-vous exprimer aux instances gouvernementales nationales ?
Il serait souhaitable de mailler le territoire de sites d’information et d’harmonisation. Qu’il s’agisse de dispositifs juridiques ou fiscaux, les frontaliers se trouvent sans cesse confrontés à de petites difficultés exaspérantes qu’il ne serait pas difficile de résorber. Ces clarifications donneraient à l’opinion publique une meilleure opinion de la politique européenne.
--Télécharger l'article en PDF --