La « web-académie » berlinoise Reporterfabrik a tenu à Sarrebruck une rencontre-débat consacrée au journalisme transnational en Europe et en Sarre. Les témoignages de professionnelles des médias dépeignent une collaboration compliquée, mais possible et enrichissante.
Issue du collectif citoyen allemand Correctiv, la Fabrique des reporters de Berlin se présente comme une « web-académie » des médias, mais ne se contente pas de relations virtuelles. Le 7 mars 2018, ses membres sont allés à la rencontre d’une soixantaine de journalistes et d’étudiants à l’invitation du Centre de compétences médiatiques (Landesmedienanstalt) de Sarrebruck pour présenter une vidéo sur les freins et les avancées du journalisme transnational, puis lancer le débat à l’échelle du Land et de l’Europe.
Journalisme et frontières
Le reportage de la Fabrique part d’un exemple regrettable : de part et d’autre de la frontière, les journalistes belges et allemands ont longuement couvert les incidents de la centrale nucléaire de Tihange – sans jamais échanger leur informations ni mutualiser leurs enquêtes. Le prestigieux hebdomadaire allemand Der Spiegel est certes parvenu à lancer un consortium d’investigation international autour des Panama Papers, mais une telle initiative est clairement inaccessible au commun des médias.
S’attendre à des surprises
L’immersion journalistique en pays voisin est pourtant possible. Ancienne correspondante du Saarländischer Rundfunk (SR) à Paris, Lisa Huth, qui couvre aujourd’hui l’actualité du Grand Est et du Luxembourg pour la radio sarroise, apporte un témoignage corrosif et brillant.
Il faut s’attendre à des surprises. Les dossiers de presse communiqués non pas en amont, mais après les conférences. Pour obtenir des informations sur un fait divers auprès d’un commissariat de quartier, il vous faudra appeler la préfecture, qui vous renverra vers le ministère de l’Intérieur, qui vous renverra au point de départ. Et si vous insistez auprès d’EDF pour en savoir plus sur le survol d’une centrale nucléaire par un drone, le service communication vous fera savoir, six mois plus tard, qu’il n’y a peut-être pas eu de drone.
Lisa Huth
Des incursions timides
L’habileté, l’opiniâtreté et la patience et la patience finissent généralement par venir à bout des réticences, mais les incursions médiatiques transfrontalières restent timides. Outre l’intérêt transfrontalier manifesté par la SR, France Bleu Lorraine diffuse quotidiennement une « minute frontalière ». Le Tageblatt, la Saarbrucken Zeitung et le Républicain lorrain publient le supplément trilingue Extra et la chaîne de télévision locale Mosaïk TV produit l’émission mensuelle Grenzenlos. Non exhaustive, mais restreinte, cette liste dénote une coopération ténue entre journalistes frontaliers.
Une méthodologie transfrontalière
Les difficultés ne sont pas moindres à l’échelle européenne. Pionnière de l’investigation journalistique transnationale, la journaliste allemande Brigitte Alfter a débuté sa carrière au Danemark, où elle a joué un rôle de pivot transfrontalier, avant partir à Bruxelles.
La capitale européenne ne pratique pas le culte de la transparence et la journaliste a rapidement saisi l’intérêt d’impulser des recherches collectives pour obtenir et recouper des informations. Cette pratique lui a inspiré un Manuel sur le journalisme transfrontalier (1), une méthodologie basée sur l’expérience de l’auteure, sur des interviews et sur l’analyse de nombreux exemples.
Lorsque les journalistes du nord et du sud de l’Europe enquêtent sur le même sujet, ils ne trouvent pas les mêmes choses, et à partir d’un matériau de recherche identique, ils ne tirent pas du tout le même résultat.
Brigitte Alfter
Règle de base du journalisme anglo-saxo, le fact–checking paraîtrait fort ennuyeux en Roumanie, où l’information s’écrit et se lit comme un polar. Le travail collaboratif est tantôt discret, tantôt ostensiblement affiché lors de la publication de l’enquête pour affirmer la crédibilité du travail et protéger les journalistes travaillant sur des sujets sensibles. La recherche en réseau peut être intense ou occasionnelle, en fonction des thématiques traitées. Le bon sens conduit à ne pas viser immédiatement les sommets d’investigation, mais à créer la confiance par un travail commun dont chaque partie tirera avantage.
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