« Le CE doit pouvoir discuter avec l’échelon décisionnaire réel »
Lorsqu’une multinationale annonce une fermeture de site ou des suppressions de poste, les directions nationales s’exécutent. Ces dernières disposent rarement des marges de manoeuvre pour mettre en oeuvre des propositions alternatives. Les comités d’entreprise se trouvent, de ce fait, privés d’interlocuteurs décisionnaires.
E & C : Vous avez défendu les salariés de groupes internationaux tels Ronal, ArcelorMittal ou Unilever dans des contextes de fermeture totale ou partielle de sites français. Avez-vous trouvé des points communs à ces différentes affaires ?
Ralph Blindauer : Oui. A chaque fois, la direction du groupe se trouve à l’étranger, hors de portée du véritable dialogue social que sont en droit d’attendre les salariés français. Il existe bien un directeur sur place, mais il est désigné pour appliquer une feuille de route et ne dispose d’aucune marge de manoeuvre. Dans son préambule, notre constitution stipule que « les travailleurs participent à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs représentants ». Mais, dans les faits, ils ont de moins en moins de droits, car ils n’ont plus d’interlocuteur. L’exemple de Miko à Saint-Dizier constitue une caricature, puisque le directeur du site a été nommé quelques semaines avant l’annonce du plan social. Dans ces conditions, comment discuter sérieusement de propositions alternatives ? Les salariés devraient au moins avoir la possibilité de poser des questions !
E & C : Quelle stratégie proposez-vous lorsque vous vous trouvez confrontés à cette absence de dialogue ?
R. B. : Il faut forcer les dirigeants à répondre, en actionnant toutes les instances possibles. Dans l’affaire Miko, nous avons obtenu le soutien du maire, François Cornu-Gentil, qui a intercédé auprès du ministre du Travail Xavier Bertrand pour qu’il nous reçoive. Lors de la fermeture de l’usine de jantes mosellane Ronal, en 2004, nous avons découvert deux usines Ronal polonaises flambant neuves, dont le CE ignorait l’existence. Il s’agissait bien d’une délocalisation et non d’une fermeture pour raison économique. Nous avons organisé deux voyages en Pologne, instauré un dialogue entre la CGT et Solidarnosc, médiatisé l’affaire en Allemagne où se trouve la direction du groupe… Or, les Allemands, très légalistes, détestent être poursuivis au pénal, comme nous l’avons fait dans le cas de Ronal.
Unilever est, quant à lui, très attentif à son image. C’est pourquoi nous avons envisagé de tenir une conférence de presse à la Bourse d’Amsterdam. Il faut trouver le défaut de la cuirasse. Les réponses classiques – brûler des pneus, fermer les magasins… – ne servent à rien. Mieux vaut organiser un carnaval festif, comme nous l’avons fait à Saint-Dizier, le 15 février. Non seulement nos actions ont été populaires, mais elles ont porté leurs fruits, puisque Miko, qui affirmait que son plan social était irrévocable et intangible, a consenti de larges concessions qui nous ont conduits à de très notables avancées*. Ce succès me conforte dans ma conviction profonde : les seuls combats perdus d’avance sont ceux que l’on ne mène pas.
E & C : La différence de coûts salariaux entre la France et les pays de l’Europe de l’Est ne rend-elle pas le mouvement de délocalisation inéluctable ?
R. B. : Il n’est pas uniquement question de salaires. Le différentiel de coût salarial est appelé à se réduire entre nos pays et ceux d’Europe de l’Est, mais il existe aussi le différentiel social. On n’évoque jamais les pratiques de la Pologne ou de la Bulgarie en matière de travail de nuit, de jours fériés, de protection sociale, d’accidents… En comparaison, nos conditions de travail constituent un Nirvana ! Il s’agit d’un choix philosophique : faut-il accepter de mettre constamment les peuples en concurrence ? Les conditions de travail appliquées en Chine ne constituent-elles pas une atteinte aux droits de l’homme ? Il me semble que l’édification de barrières douanières serait de nature à rendre service aux travailleurs chinois.
E & C : De quelle marge de manoeuvre les salariés français disposent-ils ?
R. B. : Elle est plus importante qu’ils ne le pensent eux-mêmes. Il faut gagner du temps, mobiliser les acteurs économiques et politiques, alerter la presse, faire jouer tous les leviers, y compris juridiques. Lorsque la direction du groupe se trouve à l’étranger, il faut s’y rendre. Les syndicats ont tout à gagner à s’ouvrir à ce qui se passe en dehors de leurs frontières.
E & C : Quel rôle l’Etat peut-il jouer pour contribuer à la protection des salariés en cas de délocalisation ?
R. B. : Dans l’affaire Miko, nous nous sommes rendus au Parlement européen à Strasbourg pour demander l’élaboration d’une nouvelle directive sur le droit des comités d’entreprise. Si la décision de restructuration émane d’un autre échelon que celui de l’entreprise locale, nous demandons à ce que le plan social puisse être suspendu jusqu’à ce que le comité d’entreprise ait pu discuter avec l’échelon décisionnaire réel. Plus généralement, il faudrait rééquilibrer la législation européenne pour accorder davantage de droits aux travailleurs face aux multinationales.
Parcours
Avocat au barreau de Metz, Ralph Blindauer s’est spécialisé dans le droit social. Les délocalisations constituent, aujourd’hui, son cheval de bataille.
Lectures
- Robespierre : entre vertu et terreur. Les plus beaux discours de Robespierre, Slavoj Zizek, éditions Stock, 2008
- L’Homme, ce roseau pensant, essai sur les racines de la nature humaine, Axel Kahn, Nil édition 2007.
- Un Américain en Picardie, Ted Stanger, éditions Michalon, 2005.
--Télécharger l'article en PDF --