Consultant allemand spécialisé dans la coopération transfrontalière, Rainer Stübling a suivi trois générations de fonds Interreg et observé trois décennies d’évolutions politique dans l’espace Sarre-Lor-Lux. Conseiller de collectivités et de groupes privés, il juge insuffisant l’engagement politique en faveur de la coopération.
Le 26 mars dernier, Annegret Kremp-Karrenbauer a été largement réélue à la présidence du Land de Sarre avec 40,7 % des suffrages. La Frankreichstrategie qu’elle a initiée a-t-elle joué un rôle dans ce succès ?
A mon avis, l’incidence de la Frankreichstrategie a été minime. L’argument le plus convaincant de la campagne d’Annegret Kremp-Karrenbauer a plutôt consisté dans l’approche très pragmatique de son ministre de l’Intérieur, Klaus Bouillon, qui a passé trois semaines au centre d’accueil de réfugiés de Lebach et a toujours agi au plus près du terrain pour apporter des réponses pragmatiques aux questions soulevées par l’arrivée des migrants. Le transfrontalier n’a guère été présent dans la campagne, mais les Sarrois sont ouverts à ce qui se passe en France. Ils suivent avec attention – et parfois, avec inquiétude – la vie politique à Forbach et dans la bande frontalière. Ils ont aussi des contacts étroits avec le Luxembourg : de nombreux Sarrois y travaillent, des Luxembourgeois se sont installés en Sarre et le francique rhénan crée un lien supplémentaire. Les liens citoyens sont plus forts que les coopérations transfrontalières institutionnelles. Même lorsque des élus conservateurs sont favorables à la coopération transfrontalière, les dissonances et les obstacles juridiques subsistent et ralentissent les projets.
Dans quels domaines la coopération transfrontalière vous semble-t-elle la mieux engagée ?
Ceux du tourisme et de la protection de l’environnement. Dans ces domaines, il existe des cadres de coopération institutionnels assez récents, qui vont à l’encontre des habitudes centralisatrices de la France et fonctionnent plutôt bien : l’Eurométropole de Strasbourg, la Conférence du Rhin supérieur, l’Eurodistrict SarreMoselle…. Ces structures ont notamment initié des pistes cyclables, des crèches transfrontalières ou des échanges entre apprentis. Sans cadre administratif, ces projets auraient échoué.
Vous vous êtes impliqué dans des projets culturels transfrontaliers impliquant l’Alsace et le Bade-Wurtemberg. Quel bilan en tirez-vous ?
Un bilan plutôt négatif. Lorsqu’une institution bien implantée comme le Théâtre national de Strasbourg cherche à ancrer une manifestation transfrontalière, elle y parvient. Mais lorsque des associations de moindre envergure cherchent des partenaires, elles ont beaucoup plus de difficulté. Les fonds Interreg restent très difficiles d’accès et les difficultés administratives restent de gros obstacles. Ce n’est pas seulement une question de budget, ni d’autorisation. Un feu vert ne suffit pas : c’est un véritable engagement politique qu’il faut, et il fait souvent défaut.
Propos recueillis par Pascale Braun
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