Pour la cour d’appel de Metz, le préjudice d’anxiété reste strictement réservé aux travailleurs de l’amiante. 755 anciens mineurs lorrains qui avaient obtenu cette reconnaissance devant le conseil des prud’hommes de Forbach ont été déboutés en appel.
Arrivés de l’Est mosellan à bord d’un car affrété par la CFDT, une cinquantaine d’anciens mineurs de Charbonnages de France ont pris connaissance avec consternation du jugement rendu ce vendredi 7 juillet 2017 par la chambre sociale de la cour d’appel de Metz.
Les 755 plaignants qui sollicitaient une indemnisation à la fois pour le préjudice d’anxiété lié à la crainte de développer une maladie mortelle et pour la violation de l’obligation de sécurité de Charbonnages de France (CdF), ont été déboutés de leurs deux demandes.
En première instance, le conseil des prud’hommes de Forbach a jugé l’employeur coupable d’avoir exposé ses salariés sans précautions suffisantes à deux produits cancérogènes – des poussières nocives et des résines formo-phénoliques.
Le jugement du 30 juin 2016 accordait une indemnité de 1 000 euros à 755 plaignants – qui réclamaient initialement 30 000 euros. Une cinquantaine d’entre eux ont été déboutés pour cause de prescription.
Pas de préjudice d’anxiété
Estimant cette indemnisation trop faible et souhaitant une reconnaissance plus large de leur exposition à des substances dangereuses, les mineurs retraités ont interjeté appel, demandant cette fois une indemnisation variant entre 15 200 et 30 000 euros.
En reconnaissant à des mineurs la reconnaissance d’un préjudice réservé aux travailleurs de l’amiante, le jugement des prud’hommes de Forbach semblait avoir ouvert une brèche…. que la cour d’appel de Metz s’est empressée de refermer.
Le jugement du 7 juillet 2017 applique à la lettre l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, qui réserve le bénéfice du préjudice d’anxiété aux salariés bénéficiant de l’Allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata).
Exposition à des produits cancérogènes
Les établissements de CdF n’entrant ni dans ce cadre, ni dans la liste des entreprises et métiers répertoriés dans l’arrêté du 7 juillet 2000, les anciens mineurs, qui attestent pourtant de leur exposition à de multiples produits cancérogènes, sont exclus du préjudice spécifique d’anxiété.
Le tribunal écarte également la demande subsidiaire portant sur le préjudice lié à la violation de l’obligation de sécurité, estimant que les documents génériques fournis par les mineurs ne permettent pas de statuer sur leur cas individuel.
En faisant valoir notre préjudice d’anxiété, nous ne nous référions pas à l’amiante, mais aux cancérogènes auxquels nous avons tous été exposés. Le tribunal botte en touche, mais nous poursuivrons la procédure en cassation, et même devant la Cour européenne de justice s’il le faut.
François Dosso, membre de la cellule maladies professionnelles de la CFDT
Amertume des mineurs
La déception des mineurs est d’autant plus amère qu’au cours de l’audience du 12 mai 2017, le ministère public avait paru réceptif à leurs arguments. La procureure avait notamment indiqué que « le refus d’indemniser un salarié exposé à un autre produit cancérogène que l’amiante heurte le principe de l’égalité de traitement et de non-discrimination résultant de la constitution française et de la Convention européenne des droits de l’Homme ».
La représentante du Parquet avait également souligné que les travailleurs avaient bien été exposés à un risque qui « n’a pas fait l’objet d’une prévention suffisante par l’employeur, ce dont il résulte une menace sérieuse de maladie grave et incurable, sinon mortelle ». De fait, les anciens mineurs, qui ont été exposés, entre autres, à la silice, à l’amiante et à une vingtaine de produits chimiques, développent 144 fois plus de maladies que les salariés du régime général.
Charbonnages de France indemnise les mineurs atteints de maladies professionnelles lorsqu’ils font valoir une faute inexcusable devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Mais le préjudice d’anxiété constitue une création jurisprudentielle limitée à une catégorie bien identifiable de salariés. En matière de manquement à obligation de sécurité, le tribunal a procédé à une stricte application du droit commun en matière de responsabilité civile contractuelle.
Joumana Frangie-Moukanas, avocate associée au sein du cabinet parisien Flichy Grangé Avocats
Risque de jurisprudence
L’enjeu implicite du jugement de Metz dépasse le seul cas des anciens mineurs. En France, des milliers de salariés exposés à des produits cancérogènes ou toxiques autres que l’amiante dans des établissements non classés, ont déposé des demandes d’indemnisation de leur anxiété. En rendant un jugement favorable aux mineurs, les magistrats messins auraient pu se voir reprocher d’ouvrir une boîte de Pandore.
Le syndicat des mineurs CFDT se défend pourtant de chercher à banaliser le préjudice d’anxiété et rappelle que le « risque » d’une jurisprudence paraît exclu, toutes les mines de France ayant fermé.
Risque de préjudice
Les mineurs ont été soumis à des conditions de travail sans équivalent en France. Ils ont travaillé dans une atmosphère saturée de produits toxiques. Reconnaître la gravité et la dangerosité de leur exposition n’ouvrirait pas automatiquement le champ à d’autres demandes.
Cédric de Romanet, membre du cabinet d’avocats TTLA
Le défenseur de la CFDT conteste énergiquement l’un des attendus du jugement messin selon lequel le risque de préjudice n’est pas indemnisable. Cet avis controversé pourrait constituer le point de départ d’un pourvoi en cassation.
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