Pôle emploi est confronté à des conflits traduisant une nette détérioration des relations sociales. La convention collective que la direction souhaite présenter ne lèvera pas toutes les difficultés.
Convention collective menée à marche forcée, remise en cause des qualifications, mobilités non choisies et conditions de travail détériorées… Dix mois après la fusion de l’ANPE et de l’Unedic, les griefs des salariés à l’encontre de leur nouvel employeur Pôle emploi se multiplient et prennent une tournure critique.
« Nous refusons d’être les prochains France Télécom », proclamaient les agents corses, lors de la journée d’action organisée à Ajaccio, le 5 octobre. Les organisations syndicales ne récusent pas cette formule choc et dénoncent des relations sociales de plus en plus tendues.
Depuis décembre 2008, nous avons enregistré huit suicides ou tentatives de suicide en France, dont beaucoup sur le lieu de travail. Le cas France Télécom, on est en plein dedans
Jean-Marc Cavagnara, délégué CFDT Pôle emploi de la région Paca
Nouvelle convention collective nationale commune
En regroupant les 28 000 agents de l’ANPE, ex-établissement national, et les 15 000 salariés de l’Assedic, ex-organisme paritaire de droit privé, au sein de la nouvelle institution nationale Pôle emploi, le gouvernement a ouvert un chantier statutaire et social d’une redoutable complexité. Dans une allocution vidéo, datée du 30 septembre, Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi, a présenté à l’ensemble du personnel les grandes lignes d’une nouvelle convention collective nationale (CCN) commune.
Initialement fixée à juin 2010, l’échéance de la CCN s’est nettement raccourcie : la direction espère soumettre le texte aux sept organisations syndicales représentatives fin octobre. La convention collective doit s’appliquer, à compter du 1er janvier prochain, aux personnels de droit privé, aux nouveaux embauchés et aux personnels de l’Afpa qui rejoindront Pôle emploi au 1er avril prochain. Les agents de l’ex-ANPE auront un an pour choisir entre cette nouvelle CCN et leur statut public actuel.
Il s’agit d’une option à un coup. Les agents qui auront adhéré à la nouvelle convention ne pourront plus revenir en arrière, alors même qu’elle risque d’être dénoncée au cours des trois prochaines années. Dans ce cas, les nouvelles négociations repartiraient sur la base du Code du travail
Régis Dauxois, délégué général FO de Pôle emploi
Des points majeurs débattus courant 2010
Le texte prévoit des recrutements de droit privé, tout en posant le principe de l’égalité d’accès, de neutralité et d’indépendance des personnels du service public de l’emploi. Les ex-ANPE, qui perçoivent une rémunération moyenne de 2 176 euros, contre 2 632 euros pour les anciens Assedic, se voient promettre une rémunération sur 14,8 mois, contre 12 actuellement, s’ils optent pour la nouvelle convention.
Les possibilités de mobilité s’ouvrent à l’ensemble des postes disponibles dans la structure. Mais des points majeurs tels que le régime de complémentaire retraite, l’affiliation ou non à l’assurance chômage, la reclassification des personnels dans une nouvelle grille de concordance, ou encore, les activités culturelles et sociales ne figureront pas dans la CCN et seront débattus courant 2010.
Vider Pôle emploi de ses fonctionnaires
Elaborée à un rythme imposé par le gouvernement, cette convention constitue un squelette auquel il manque les membres. Elle prétend représenter un saut qualitatif pour les ex-salariés de l’Assedic, qui n’ont pas le choix, mais le compte n’y est pas. Nous percevons dans les incitations des anciens agents de l’ANPE à quitter leur statut la volonté de vider Pôle emploi de ses fonctionnaires
Jean-Charles Steyger, conseiller emploi et membre du bureau national du SNU Pôle emploi
La direction générale veut convaincre le personnel public d’opter pour la nouvelle convention en mettant en avant des bénéfices financiers de l’ordre de 150 euros par mois. Mais nous ne troquerons pas la dégradation des conditions de travail et d’exercice contre quelques euros
Rubens Bardaji, secrétaire général de la CGT ANPE Pôle emploi
Stress croissant
Sur le terrain, la fusion se concrétise à grande allure. Pôle emploi s’était donné jusqu’à la fin de l’année pour remplacer les 1 442 implantations d’Assedic et d’ANPE par 956 sites mixtes. En septembre dernier, 426 sites mixtes avaient été ouverts et la direction maintenait son objectif initial – avec, selon la CGT, de fortes primes pour les directeurs régionaux ayant tenu les délais. Les syndicats dénoncent une mobilité forcée et pointent un stress croissant dans des antennes regroupant jusqu’à 150 agents, contre une trentaine en moyenne auparavant.
A Paris, en Paca et dans le Centre, les syndicats ont choisi le terrain juridique pour bloquer la fusion. Dans le Limousin, le juge, saisi en référé, a considéré que la direction avait enfreint son obligation d’information-consultation du comité d’entreprise. Résultat : une suspension du plan de déploiement des sites mixtes, assortie d’une condamnation aux dépens d’un montant de 1 500 euros.
Hausse des inscriptions au chômage
La progression spectaculaire du chômage, qui s’est traduite par 625 000 nouvelles inscriptions en l’espace d’un an, constitue une difficulté supplémentaire. Le recrutement de 1 840 agents et de 500 CDD n’a pas suffi à endiguer le recours aux heures supplémentaires, qui restent de mise le samedi, et parfois même le dimanche. En dépit des objectifs affichés de polyvalence, les agents restent fidèles à leur métier.
La direction n’a pu mettre en œuvre ni la formation de sept jours qui aurait permis de former les ex-Assedic au placement, ni le stage de quatre jours pour initier les ex-ANPE aux techniques de liquidation des prestations.
Le service public de l’emploi fonctionne néanmoins. Secrétaire d’Etat à l’Emploi, Laurent Wauquiez, très présent sur ce dossier éminemment politique, souligne sur son blog l’absence de retard dans l’indemnisation et de file d’attente devant les agences de Pôle emploi. Au cours de la demi-douzaine de journées d’action enregistrées au cours du dernier trimestre, les intersyndicales dénonçaient, pour leur part, une remise en cause des compétences des agents, conduisant, selon eux, à n’offrir aux demandeurs d’emploi qu’un service a minima – d’où une multiplication des altercations, voire des agressions.
Identifier les sources du malaise
Face à ces indicateurs qui virent au rouge, le département des conditions de travail et de la santé au travail (DCTST) a confié, cet été, au cabinet spécialisé Isast l’élaboration d’un questionnaire qui servira de socle à un plan de prévention des risques psychosociaux. Le questionnaire sera soumis aux 45 000 agents de Pôle emploi, du 5 au 20 novembre prochain.
Cette démarche à long terme, qui associe la direction, les directions régionales et les partenaires sociaux, complète les mesures d’urgence existantes, et doit permettre d’identifier les sources du malaise
Martine Arakilian, chef du DCTST
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