Sur les hauteurs de Nancy, le plateau de Haye se recompose au coeur de la forêt. Barres et grands ensembles constituent désormais des quartiers historiques que vient compléter un habitat moderne. Invitée à entrer dans la ville, la forêt doit y semer un esprit de naturalité. Les réussites d’un projet urbain sobre et soigné ne suffiront pas à compenser les handicaps d’une partie de ville encore stigmatisée et confrontée à la pauvreté.
Debout face à la baie vitrée du trentième étage de la Tour panoramique, point culminant du plateau de Haye, Alexandre Chemetoff commente les points forts du programme de rénovation urbaine qu’il conduit sur les hauteurs de Nancy. Au loin, en lisière du quartier du Haut-du-Lièvre, la déconstruction de huit entrées de la longue barre du Cèdre bleu a dégagé l’horizon. Au bout de l’édifice se dresse la cheminée d’une nouvelle chaufferie bois collective qui dessert depuis l’an dernier 3 000 logements et équipements publics.
Les quelque 700 logements de la barre du « Tilleul argenté » et les 566 appartements conservés au « Cèdre bleu » gardent leurs façades de grès beige, mais ils arborent des dormants sombres et des ouvrants blancs, témoins de la pose de 4 hectares de double vitrage réalisée en site occupé voici deux ans. Naguère cernées par les parkings, les deux barres, qui constituent la partie historique du Haut-du-Lièvre, disposent à présent d’espaces végétalisés en rez-de-chaussée.
Sur le parc des Carrières, un nouvel ensemble de 180 logements en petit collectifsentoure le jardin botanique forestier de dix hectares en cours de création. En face du quartier historique, des engins de chantier terrassent les abords du futur centre commercial des Ombelles. Dominant le quartier des Aulnes, la tour panoramique offre une vue imprenable sur le centre pénitentiaire de Maxéville. Un canal asséché entoure l’établissement qui semble vide, alors même que quelque 700 détenus l’occupent depuis sa mise en service en juin 2009. La forêt enserre le quartier et y pénètre çà et là. Le programme de restauration a prévu la conservation de nombreux arbres, ainsi que 18.000 nouvelles plantations.
J’ai souhaité mettre en culture différents espaces du Plateau pour édifier une ville plus libre, moins contrainte et plus accessible. Le programme crée du lien, donne du sens au travail intercommunal et corrobore la stratégie de territoire à enjeu voulue par la communauté urbaine.
Alexandre Chemetoff
Maître d’œuvre du projet urbain depuis six ans, l’architecte-urbaniste-paysagiste n’a cessé d’affirmer le caractère exceptionnel du plateau et la richesse de son patrimoine. La géométrie des bâtiments se caractérise par les deux barres de 400 m de long conçues à la fin des années 1950 par lBernard Zehrfuss, et par la tour panoramique de 90 m de hauteur construite une décennie plus tard.
Constitué de quatre quartiers, le Haut-du-Lièvre, Champ-le-Bœuf, les Aulnes et les anciennes carrières Solvay, le Plateau compte 14.400 habitants répartis entre les communes de Laxou, Maxéville et Nancy. Son PRU comporte la réhabilitation, achevée l’an dernier, de 1 261 logements, la création de 150 ha d’espaces publics, la démolition de 1 200 logements et 871 reconstructions en social, dont 300 ont d’ores et déjà été livrés. Engagé sous maîtrise d’ouvrage de la communauté urbaine du Grand Nancy pour un montant de 248 millions d’euros, il couvre l’ensemble du plateau, soit une superficie de 440 ha.
Sobriété
En charge du schéma directeur d’ensemble, de la maîtrise d’œuvre des espaces publics, de l’accompagnement de chaque programme et d’une mission de suivi, le cabinet Alexandre Chemetoff & associés mobilise une dizaine de personnes sur le projet, dont une équipe de quatre personnes basée au Tilleul argenté. Longuement mûri en amont, le programme prévoit une restauration sobre.
Réalisée par deux des bailleurs sociaux du plateau, l’OPH de Nancy et Meurthe-et-Moselle Habitat, l’amélioration des 3 512 logements dans les quartiers historiques du Haut-du-Lièvre et de Champ-le-Bœuf a remporté une adhésion quasi unanime.
Les travaux d’isolation ont apporté un confort notable dès le premier hiver, alors même que les habitants constataient une diminution de leur facture de chauffage.
Yves Pinon, adjoint à la cohésion sociale de Laxou, où se concentrent les 1 660 logements sociaux du Champ-le-Bœuf
Le remplacement des huisseries, la modernisation de la plomberie et les travaux de façade ont été effectués en concertation avec les habitants, invités à visiter des appartements témoins avant le lancement de la rénovation à grande échelle. Leurs souhaits ont également été pris en compte lors de la résidentialisation de 1 600 logements en pied d’immeuble. Naguère cernés par les voitures, le Cèdre bleu et le Tilleul argenté sont désormais entourés d’allées piétonnes égayées de parterres arborés.
Nous nous sommes efforcés de réaliser les travaux demandés dans des délais très brefs pour démontrer aux habitants que leurs propositions étaient bien prises en compte.
Patrick Descadilles, directeur de l’OPH de Nancy
Le programme comporte également 1 200 déconstructions concentrées sur le Haut-du-Lièvre. Engagée fin 2009, la démolition partielle du Cèdre bleu a supprimé 337 logements. Les quelque 32 5000 tonnes de déchets obtenus par écrêtage et grignotage ont été utilisées comme remblai pour des aménagements urbains en cours au centre-ville de Nancy. L’entrée du premier bâtiment abritera l’an prochain la tour des Energies, qui comportera une maison des jardiniers, des ateliers de bricolage, un rucher école et un belvédère vitré. La façade sud du bâtiment se couvrira de 904 m2 de capteurs photovoltaïques, des éoliennes étant prévues en façade. Le Cèdre bleu et le Tilleul argenté doivent également se doter de 2 500 m2 de panneaux photovoltaïques.
Hétéroclites et fiers de l’être
Les démolitions ne seront pas toutes compensées, le programme ne prévoyant que 780 reconstructions de logements, soit une perte de 500 appartements. Les habitants des immeubles détruits sont pour moitié relogés sur le plateau, l’autre moitié étant prioritaire pour l’attribution de logements dans d’autres quartiers Anru de l’agglomération nancéienne. L’OPH a d’ores et déjà livré quelque 400 nouveaux logements répartis en une dizaine de programmes tous conçus par des architectes différents. Hétéroclite, mais performant, le nouveau parc entend rompre avec la traditionnelle monotonie des grands ensembles tout en ouvrant la voie à un parcours résidentiel.
Chaque bâtiment présente sa spécificité. Du T 1 au duplex, les nouvelles habitations, adaptées à des modes de vie différents, trouvent preneur très rapidement. La moitié des occupants viennent d’autres quartiers de la ville, ils trouvent sur le plateau des constructions originales avec terrasses, vérandas ou jardins partagés.
Dominique Herman, adjointe spéciale du Haut-du-Lièvre à la mairie de Nancy
Le square Laverny, édifié sur l’emplacement de l’ancienne barre du Marronnier rouge, accueille ainsi 30 logements de bois regroupés autour d’un jardin partagé ainsi que 15 maisons individuelles labellisées BBC. Les anciennes carrières Solvay abritent d’ores et déjà 302 nouveaux logements répartis en petits collectifs. Elles doivent compter à terme 2 500 appartements, dont 639 sociaux.
Conçu par Alexandre Chemetoff sous maîtrise d’ouvrage de l’OPH, la nouvelle agence postale de l’avenue Pinchard arbore un élégant auvent vitré et des arbres en toiture. Le bâtiment servira de modèle au futur centre commercial des Ombelles, qui regroupera une douzaine de commerces de proximité en face du quartier historique. A Champ-le-Bœuf, l’Epareca(*)
Complémentaires et équitablement répartis d’un bout à l’autre du plateau, les trois centres commerciaux des Ombelles, des Tamaris et de la Cascade inciteront les habitants à se déplacer et à s’approprier l’espace, gommant ainsi les frontières communales.
Laurent Garcia, maire de Laxou
Les habitants eux-mêmes commencent à adopter le terme de plateau, appelé à remplacer les noms bien ancrés de Haut-du-Lièvre et de Champ-le-Bœuf. Si les frontières entre les trois villes s’estompent, une nouvelle césure risque de poindre entre quartier historique et nouveaux collectifs. Des jardins, des commerces et des parkings séparent les barres des premiers immeubles neufs de la rue du Merlon.
Le mur en gabions érigé devant le Cèdre bleu est censé constituer un belvédère, mais on n’y voit pas grand-chose et il coupe les deux parties du quartier.
Paul Tisserat, président de l’atelier de vie du quartier
Des flux s’établiront certes entre la partie historique, qui regroupe les barres, la mairie et les lieux de culte, et le nouvel espace comportant l’agence postale, le futur centre commercial et les petits collectifs récents. La continuité urbaine s’en trouve néanmoins ébréchée.
L’esprit de la forêt
Inscrit dans la démarche Agenda 21 depuis 2007, le Grand Nancy a déployé sur le plateau de Haye des principes d’écologie urbaine inédits, tels l’introduction d’un rucher école, le compostage instauré au pied du Cèdre bleu et du Tilleul argenté ou encore, le projet d’introduire des poissons dans le canal lorsque les problèmes d’étanchéité seront résolus. Géré par une coopérative, un jardin potager collectif d’une soixantaine de parcelles doit prospérer dès l’an prochain sur les fondations des entrées démolies du Cèdre bleu.
Sur les carrières Solvay, un jardin botanique forestier de 10 ha en cours de création en lisière de la forêt de Haye abritera une école forestière et ouvrira aux habitants du plateau un espace de découverte et de pédagogie. Des sentiers ouvrent d’ores et déjà l’accès à la forêt environnante.
Les coteaux boisés et la forêt, qui pouvaient apparaître comme une césure, confortent l’identité du plateau et offrent d’énormes possibilités encore inexploitées. Il se développera dans ce morceau de ville une nouvelle façon de vivre dans un environnement simple et naturel.
André Rossinot, maire de Nancy et président de la communauté urbaine
Maire de Maxéville et vice-président du Grand Nancy, Henri Bégorre tempère cet optimisme.
L’écologie urbaine contribuera à améliorer l’image du quartier, mais elle ne réglera pas tout. L’urbanisation du plateau est en bonne voie, mais la situation sociale ne s’y améliore pas. Il faut constituer un tissu social performant pour accompagner les habitants, notamment en termes de scolarisation et d’emploi.
Henri Bégorre
Pour l’heure, le plateau peine à se démarquer de l’image négative attribuée au Haut-du-Lièvre et à Champ-le-Boeuf. Dans ce quartier pauvre où cohabitent 82 nationalités dont une forte communauté marocaine, le chômage s’est ancré durablement, parfois sur plusieurs générations. La jonction s’opère lentement entre la population et la zone franche urbaine centrale, qui a pourtant créé 1 200 emplois. A Maxéville, le nombre de locataires de logements sociaux est passé de 61 % en 2004 à 65 % aujourd’hui. Les programmes de vente lancés par les bailleurs atténueront cette augmentation.
Le plateau n’en restera pas moins marqué par l’implantation du centre pénitentiaire, qui jouxte une aire d’accueil de gens du voyage aménagée l’an dernier. Aux dires de ses concepteurs, l’établissement se distingue par une intégration paysagère réussie. Le complexe carcéral, qui occupe un quadrilatère de 400 m2, sera néanmoins entouré de huit rangées d’arbres. Situés à 40 mètres de l’accès principal, les petits collectifs s’ouvrent délibérément du côté opposé, en direction du jardin botanique.
Notoire de longue date, l’insalubrité de la maison d’arrêt en cours de démolition au centre de Nancy s’est muée en argument décisif à lorsque s’est dessiné le projet urbain Nancy Grand Cœur, conduit dans le périmètre central par l’architecte Jean-Marie Duthilleul.
L’implantation du centre pénitentiaire sur le plateau de Haye constitue une faute de goût. Eloignée de la gare de Nancy, la prison oblige de surcroît les familles à des déplacements en bus, les TCSP ne desservant pas encore le plateau. Sur un projet de rénovation d’une telle envergure, la moindre des choses eût été de livrer la nouvelle ligne durant l’opération. Or, le financement de la ligne II qui doit desservir le plateau est loin d’être acté.
Pierre Christophe, militant écologiste et observateur des problématiques urbaines locales
Objet d’une DUP, la nouvelle ligne représente un coût de 160 millions d’euros dont les collectivités porteront l’essentiel.
Conforme à un projet intercommunal mûri durant un quart de siècle, la rénovation extension du plateau de Haye aura mis dix ans à se concrétiser. En 2012, la livraison du centre commercial des Cascades, et la démolition des tours Etoiles du Hêtre Pourpre et du Blanc Sycomore, mettront un point final à une opération conforme au projet initial, aux délais prévus et aux prix impartis. Offrant un habitat indiscutablement amélioré et présentant la diversité architecturale qui lui faisait défaut, le plateau de Haye dispose d’atouts nouveaux.
Inventif en matière d’écologie urbaine, le morceau de ville forestière aura en partie gagné son pari si les habitants adhèrent à un mode de vie ouvert aux richesses naturelles. L’arrivée de promoteurs et investisseurs privés, qui commencent à manifester un intérêt, conforterait l’attractivité du quartier. Restera alors à mettre en œuvre une solidarité sans réserve pour que se concrétise l’espoir d’une renaissance par la forêt.
(*) Etablissement public d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.
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