Premier président de la région Grand Est, Philippe Richert a défendu tout au long de ses mandats alsaciens la prise en compte par les politiques nationales des spécificités frontalières, la fluidification du marché du travail et l’apprentissage de la langue allemande. Quelques heures avant l’ouverture du sommet franco-allemand du 7 avril à Metz, il a présenté à Correspondances lorraines les perspectives du conseil régional en matière de coopération transfrontalière.
La thématique transfrontalière, très présente durant la campagne des élections régionales, est-elle toujours une priorité pour la région Grand Est ?
Le nouvel exécutif n’existe que depuis trois mois. Dans ce laps de temps, il est impossible de réorganiser l’administration, de définir la politique générale et rénover la coopération transfrontalière.
Dans notre région, il existe la coopération de proximité entre districts et pôles urbains, et celle qui se développe sur deux deux grands territoires : le Rhin supérieur, qui englobe le Palatinat, le pays de Bade et l’Alsace jusqu’au nord-ouest de la Suisse, et la Grande Région Sarre-Lorraine-Luxembourg-Rhénanie-Palatinat-Wallonie. Ces espaces ont coopéré et coopèrent dans de bonnes conditions. Ils échangent et se tiennent informés, notamment pour éviter de s’engager dans des projets concurrents. Mais il ne faut pas idéaliser la coopération transfrontalière. Beaucoup de difficultés subsistent. Les pays demeurent des entités différentes et les frontières engendrent parfois des complexités complémentaires. La coopération se décide au niveau des réunions intergouvernementales et les marges de manœuvre des collectivités sont réduites. Premier vice-président du conseil régional en charge de la coopération transfrontalière, Patrick Weiten voit régulièrement les représentants des pays voisins. Au-delà de ces rencontres, nous allons entrer dans une nouvelle phase : les pays voisins sont très demandeurs et nous parviendrons à faire évoluer les législations nationales.
Espérez-vous obtenir des pays voisins qu’ils contribuent au financement d’infrastructures ou de services dans certaines zones frontalières du Grand Est ?
Les modalités de ce type de relations sont définies par des traités et varient en fonction des pays, des territoires et du contexte. Rien n’est clair d’emblée. Le canton de Genève et la Haute-Savoie ont convenu d’un système de compensation financière en faveur des territoires frontaliers français. Le canton de Bâle n’a jamais accepté ce principe de réversion, mais il a cofinancé la partie française du tramway entre Bâle et Saint-Louis (Haut-Rhin) car il trouvait un intérêt direct à soulager le trafic transfrontalier. Le Luxembourg a participé au financement du TGV Est, mais en règle générale, il est plutôt enclin à ne pas engager de dépenses au-delà de ses obligations. Côté allemand, il n’existe aucun engagement à financer des infrastructures transfrontalières, sauf dans le cadre des fonds Interreg qui obligent à la réciprocité.
Vous souhaitez mettre en place 10 000 formations en alternance supplémentaires sur l’ensemble de la région. Cette ambition inclut-elle le développement des formations transfrontalières ?
Dans les zones frontalières, nous nous trouvons dans une situation paradoxale avec des situations de quasi plein emploi dans le Pays de Bade, d’énormes besoins de main d’œuvre dans les Länder allemands et des taux de chômage souvent très élevés côté français. En tant que président du conseil régional d’Alsace, il m’a paru prioritaire d’augmenter la capacité à trouver un emploi ou une formation en Allemagne. Une fois que l’on a dit cela commencent les difficultés. Nous avons obtenu un accord au niveau des Etats pour harmoniser les diplômes et permettre les formations transfrontalières en alternance. Mais ce dispositif a rencontré un succès relatif, avec seulement quelques dizaines de jeunes par an. En France, l’alternance reste considérée comme la voie de ceux qui ont échoué alors qu’en Allemagne, elle s’inscrit dans un parcours de réussite. Par ailleurs, les jeunes sont tout à fait disposés à partir quelque temps aux Etats-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne, mais sont beaucoup moins enclins à partir en Allemagne. Enfin, le nombre de jeunes parlant allemand a diminué dans la zone frontalière et la pratique dialectale a presque disparu, malgré les efforts très importants de l’Alsace en faveur de l’enseignement à parité du français et de l’allemand.
Nous avons également tenté d’encourager les demandeurs d’emploi à travailler en Allemagne. Nous n’y parvenons pas pour les trois raisons que je viens d’évoquer, mais aussi parce que le Bade-Wurtemberg, qui compte 180 000 postes à pourvoir, a choisi de recruter des Espagnols, des Roumains ou des Polonais – des immigrés à part entière, dont les exigences sont moins élevées que celles des frontaliers.
Reprenez-vous l’ambition de la Stratégie Allemagne de la Lorraine, qui vise à instaurer le trilinguisme français – allemand-anglais au cours des 30 prochaines années ?
L’Alsace développe depuis 25 ans un réseau d’enseignement en allemand à parité horaire qui commence à la maternelle et se poursuit jusqu’au lycée. La nouvelle région a obtenu auprès de la ministre de l’Education et du recteur d’académie la mise en place d’un système expérimental qui permettra d’ouvrir cette possibilité jusqu’en Champagne-Ardenne. Le conseil régional est prêt à participer au financement de cette expérimentation, mais il est délicat d’envisager une généralisation. Embaucher des locuteurs natifs ne suffit pas : il faut aussi disposer des ressources pédagogiques suffisantes. Les statuts sont différents dans les deux pays, les enseignants allemands étant mieux payés. Enfin, le système suscite des réticences quand l’ouverture d’une section bilingue déstabilise les équipes pédagogiques en place.
Propos recueillis par Pascale Braun
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