Originaire de Yutz, frontalier d’origine et européen de conviction, Patrick Weiten voit dans la période actuelle une phase de transition entre la génération qui a connu les frontières et celle qui les effacera. Opposé à la notion de repli sur soi, le président du conseil départementale de la Moselle considère Robert Schumann comme le symbole d’une Grande Région élargie. Il livre à Correspondances lorraines une approche volontariste et pragmatique des coopérations transfrontalières à l’échelle de la région Acal.
« La France manque parfois de vision »
La coopération transfrontalière s’accélère depuis les années 90 avec l’ouverture des frontières de l’espace Schengen. Nos concitoyens vivent le fait frontalier depuis 20 ans. Ce phénomène a induit des besoins en transports, en harmonisation des réglementations sociales, en services. Il présente également des incidences sur l’urbanisme et le foncier dans le nord de la Moselle.
Nous devons nous adapter très vite. Or, l’organisation administrative et politique de la France n’est pas un contexte qui facilite les relations transfrontalières. En la matière, la France manque parfois de vision. En Moselle, nous avons développé les coopérations transfrontalières, notamment avec l’ouverture de la Maison du Luxembourg, qui conseille les frontaliers du bassin de Thionville, et celle de la Mosa (Maison ouverte des services pour l’Allemagne) à Forbach cet été. Je regrette que le conseil régional de Lorraine ne s’y soit pas suffisamment impliqué.
Besoin de bienveillance
Les institutions de la Grande Région se sont développées, mais restent éloignées du quotidien. Elles ont néanmoins permis de développer des relations bilatérales. Or, les grands enjeux sont toujours bilatéraux. C’est le cas de l’accord franco-suisse qui permet à certaines communes du Haut-Rhin de bénéficier des retombées fiscales du travail frontalier. Nous n’avons jamais réussi à obtenir la même chose avec le Luxembourg, la Suisse ou la Belgique.
Parmi les grandes tâches qui nous attendent figurent la question de la dépendance. Nous voyons une nouvelle population de frontaliers revenir en France après 25 ou 30 ans de travail au Luxembourg. Les moyens financiers pour leur prise en charge existent, mais ne sont pas adaptés. Le Service des Pensions du Luxembourg prend en charge non seulement la retraite, mais aussi la dépendance et le handicap. Il a d’ores et déjà provisionné des millions d’euros a l’intention des frontaliers et ne manifeste aucune réticence à les débloquer, mais nous ne trouvons pas le véhicule réglementaire qui permettrait de reverser ces fonds au département d’origine des travailleurs. Face à ces besoins émergents, la réglementation européenne doit faire preuve de bienveillance – sinon, nous sombrons dans la stupidité technocratique.
Tutoyer quatre pays
A mon avis, la seule nouvelle région qui aurait eu du sens était la Grande Région. L’Acal représente une région de 5,5 millions d’habitants, aussi grande que le Danemark. Elle côtoie quatre pays différents. La coopération entre Sarre-Lor-Lux était déjà difficile. Il faudra réfléchir très vite dans la cadre d’une plus grande région. Il est impensable que l’on ne puisse pas s’organiser pour pouvoir se parler. Nous devons pouvoir tutoyer quatre pays différents. Ne pas le faire serait tourner le dos au quotidien des citoyens et à la richesse de la région.C’est pourquoi il faut développer les liens sociaux, culturels et sportifs entre les jeunes de la Grande Région et marteler sans relâche la notion de l’Europe.
De la Champagne à la Moselle et de l’Alsace à Trèves – ville natale de Karl Marx qui constitue la ville européenne la plus visitée par les Chinois – nous possédons un atout extraordinaire sur le plan touristique. En réunissant nos richesses territoriales, nous pouvons bâtir une histoire qu’il faudra colporter dans la planète entière.
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