Président du conseil départemental de la Moselle, Patrick Weiten a succédé à Anne Grommerch, décédée en avril 2016, à l’Assemblée nationale. Député UDI de la 9ème circonscription de la Moselle, il revient sur les dossiers frontaliers abordés au cours de son mandat.
Quelles thématiques transfrontalières avez-vous portées au Parlement ?
Dès mon premier discours, j’ai rendu hommage à Anne Grommerch, cité Robert Schuman et rappelé la spécificité transfrontalière de la Moselle. En cours de mandat, je suis intervenu sur la question de l’A 31bis, en rappelant qu’il s’agit d’une voie à vocation européenne qui devrait être financée non pas par un péage imposé aux travailleurs frontaliers, mais par l’Europe, l’Etat et les transitaires. J’ai rejoint le groupe d’amitié France-Luxembourg de l’Assemblée nationale et pris part à la cinquième Commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière (CIG) qui s’est tenue en novembre 2016. Outre les sujets de mobilité, j’y ai défendu le développement du coworking, du télétravail et des infrastructures numériques.
Lesquels de ces dossiers vous paraissent-ils avoir progressé ?
Le dossier de l’A31bis avance, même si la question du financement reste ouverte. Le Grand-Duché n’est pas du tout d’accord pour une péréquation fiscale en faveur du nord lorrain sur le modèle du canton de Genève. En revanche, Pierre Gramegna, ministre des Finances luxembourgeois, est disposé à étudier une participation financière aux infrastructures au-delà de ses frontières. Les prochaines élections présidentielles pourraient ouvrir le cadre d’une Europe revisitée dans laquelle nous aurions toute notre place – sauf, bien sûr, si le drame de l’extrême venait à toucher nos territoires.
L’expérimentation législative locale qui autorise une collectivité territoriale à adapter les réglements nationaux aux situations locales, reste peu usitée. Sur quels sujets frontaliers souhaiteriez-vous la mettre en œuvre ?
Je suis favorable à l’expérimentation à la fois institutionnelle et fonctionnelle. Notre Grande Région peut constituer le laboratoire d’une harmonisation fiscale et sociale, par exemple, en progressant sur la question du télétravail transfrontalier. Cette petite Europe peut impulser une démarche fédérale. La Sarre et le Luxembourg sont prêts à s’impliquer dans l’expérimentation transfrontalière.
Côté français, avez-vous perçu une volonté de coopération chez d’autres régions frontalières ?
Le territoire de Belfort s’inscrit dans une relation de proximité avec la Suisse. Au sud de la France, l’engagement transfrontalier est plus fort côté espagnol qu’à la frontière italienne. Vu de Paris, plus on s’éloigne du périphérique, moins on connaît les réalités, et à fortiori les réalités frontalières.
S’il n’y a pas assez d’Europe aujourd’hui, c’est en partie parce que les ministres ne sont pas des gens des frontières. Cette méconnaissance entraîne une non-reconnaissance du fait frontalier, alors même que des Länder comme la Sarre et la Rhénanie-Palatinat aspirent à des relations plus étroites.
La réforme territoriale a-t-elle impulsé de nouvelles coopérations ou a-t-elle compliqué les relations existantes ?
La réforme territoriale a compliqué la conjoncture transfrontalière. Nous avions une Grande Région Sarre-Lorraine-Luxembourg-Rhénanie-Palatinat dont les représentants se réunissaient. Aujourd’hui, ces voisins regardent la région Grand Est région de 5,5 millions d’habitants avec une certaine appréhension. Le paradoxe et la difficulté de notre nouvelle région consiste à faire comprendre que nous sommes aussi proches de l’Allemagne et du Luxembourg que de l’Ile de France. Pour cette tâche, nous n’avons n’avons ni les compétences, ni les moyens suffisants, ni la reconnaissance de la part des pays voisins.
Comment l’ex-stratégie Allemagne de la Lorraine se porte-t-elle ?
Le département de la Moselle pilote le projet européen Sesam’Gr, qui œuvre au rapprochement transfrontalier dans tous les domaines de la vie quotidienne. Le programme s’inscrit dans un cadre interdépartemental, car nous coopérons avec la Meurthe-et-Moselle. Les départements reprennent la main sur la thématique du bilinguisme, et nous disposons désormais de moyens mobilisables rapidement pour développer l’apprentissage professionnel et celui de la langue du voisin.
En mars dernier, je me suis rendu au lycée Schengen de Perl, issu d’une coopération entre le Luxembourg et la Sarre. A cette occasion, j’ai réitéré mon intention de créer des structures de même nature en Moselle. Présente lors de cette visite, Marie Reynier, la rectrice du Grand Est et de l’académie Nancy-Metz, se montre très favorable à cette idée.
Quels autres projets transfrontaliers portez-vous ?
Je crois en la politique des petits pas. Le projet de caserne commune entre Audun-le-Tiche et Villerupt est compliqué par des dissensions interdépartementales. Mais de l’autre côté de la frontière, le Luxembourg, qui remet à plat le fonctionnement de sa sécurité civile, ne voit aucun inconvénient à mutualiser les moyens, le matériel, les formations, voire l’opérationnel à l’échelle transfrontalière.
Par ailleurs, je milite depuis des années pour le développement des circuits courts qui permettrait aux agriculteurs mosellans d’approvisionner les cantines de nos collèges, soit 3,5 millions de repas par an, et celle des Ehpad, qui représentent un million de repas par an. La part des produits locaux est passée de 10 à 25 %, mais les filières de production ne sont pas encore assez organisées. Au Luxembourg, la société familiale La Provencale dispose à Leudelange des capacités de découpe et de transformation qui font défaut côté mosellan. Cette entreprise emploie 50 % de salariés frontaliers et distribue 40 % de produits français. Il y a là matière à une coopération transfrontalière inédite qui ouvrirait de nouveaux débouchés aux agriculteurs mosellans sans aucun obstacle ni social, ni fiscal.
Propos recueillis par Pascale Braun
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