Ancien professeur de lycée et représentant des salariés CGT au CESER de Champagne-Ardenne, Patrick Tassin a été élu en janvier 2016 président du Conseil économique, social et environnemental du Grand Est.
Depuis, il est allé à la rencontre de plusieurs personnalités de la Grande Région pour prendre la mesure des enjeux transfrontaliers.
Comment percevez-vous la manière dont le Grand Est compose avec sa dimension transfrontalière ?
Les territoires d’Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne ne sont pas au même niveau en matière de coopération transfrontalière. Il existe certes des échanges entre la Champagne-Ardenne et son voisin wallon, mais ils n’ont pas la même dimension que dans le Rhin supérieur ou dans la Grande Région. Dans cet espace, la coopération semble s’être un peu tassée. Je ne jette la pierre à personne, mais le côté français n’est pas à la hauteur des enjeux transfrontaliers. Les questions ne sont pas abordées au bon niveau. On ne peut pas se contenter de constater l’augmentation des flux de travailleurs frontaliers vers le Luxembourg. Il faut mieux prendre en compte la dimension économique de ces échanges et réfléchir en termes d’implantation d’entreprises, de tiers lieux numériques et de télétravail.
Le Grand-Duché ne paraît guère enclin à faire évoluer ses dispositifs sociaux et fiscaux…
Le Grand-Duché ne peut pas rester sur des postures. Il lui est difficile d’envisager de payer plus cher le recours aux travailleurs frontaliers, mais il est limité par la surface de son pays. Confronté à un vrai problème foncier, il a de la chance de disposer d’un pays voisin qui forme et héberge ses travailleurs. Il n’est pas question de viser une homogénéité fiscale et sociale, mais il faut recherche une harmonie. La solution est à chercher dans la création, non pas d’une zone binationale, mais d’une zone tampon entre la Lorraine et le Luxembourg. Pour un pays aussi engorgé que le Luxembourg, c’est un enjeu crucial, mais il aura un coût social.
Les autres pays voisins vous semblent-ils enclins à la coopération ?
Côté suisse, les échanges fonctionnent bien, mais ils n’ont pas la même portée qu’avec l’Allemagne. J’ai rencontré le ministre sarrois des Finances,Stephan Toscani, qui est pleinement conscient de l’intérêt réciproque de la coopération. Ce rapprochement ouvre d’énormes perspectives en termes d’export et de marchés, mais il ne se développera pas si nous ne faisons pas de progrès dans le domaine des langues. La Sarre s’est engagée dans la Frankreichstrategie. A nous de parvenir à former nos jeunes au trilinguisme français, anglais et allemand.
Quel rôle la culture peut-elle jouer dans le rapprochement entre le Grand Est et ses voisins ?
La culture joue un rôle essentiel en termes d’attractivité. Dans ce domaine, nos régions ouvrières accusent désormais du retard, alors même qu’elles étaient plutôt en avance sur l’ouest de la France lors de la grande époque industrielle. Nous avons cessé d’avancer tandis que les autres progressaient. Or, c’est un enjeu essentiel : on n’a pas envie d’aller là où il ne se passe rien, et c’est particulièrement vrai pour les cadres. La culture doit permettre à chaque région d’être plus attractive et aux régions d’être plus attractives les unes envers les autres. Elle permet de mieux se connaître, d’amorcer des échanges linguistiques et de prendre conscience d’une identité commune. Par exemple, la ville de Charleville-Mézières, dans les Ardennes, porte presque seule le Festival mondial des théâtres de marionnettes. Cet événement, qui se tiendra cette année du 16 au 24 septembre, revêt une dimension internationale, mais aussi transfrontalière car une grande partie des spectateurs vient de Wallonie. De même, le festival international des arts de la rue de Chassepierre, qui a lieu l’avant-dernier week-end du mois d’août à Florenville, dans la province du Luxembourg belge, draine un public français. Ces manifestations montrent aux habitants qu’ils font partie d’un même territoire et montrent à quel point l’art peut transfigurer le quotidien.
Propos recueillis par Pascale Braun
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