Cadre bancaire brillant mais indocile, secrétaire général de mairie apprécié, mais hors statut, Patrick Luxembourger, trente-six ans, endosse une nouvelle identité douloureuse : celle de maire UMP d’un bastion communiste ruiné.
Elu à Terville (6.200 habitants), en Moselle, en avril 2001, il découvre un endettement abyssal de 18 millions d’euros pour des recettes fiscales annuelles de 4,6 millions d’euros. La précédente municipalité n’a engagé aucune dépense pharaonique, mais s’est laissé piéger par des emprunts successifs auprès de la Caisse d’Epargne de Lorraine Nord, la dette payant la dette. Plutôt que de se défausser sur l’héritage, le jeune élu dépose, en février dernier, une plainte contre X visant explicitement les instances de contrôle et l’organisme bancaire. Lorsqu’en mai dernier Bernard Hagelsteen, préfet de Lorraine, impose à la commune un mandatement d’office de 1,2 million d’euros, le maire se déclare en cessation de paiement et annonce qu’il refusera désormais de réunir son conseil municipal, quitte à encourir la révocation.
Quand j’entends la direction de la Caisse d’Epargne de Lorraine Nord proposer un échelonnement qui endetterait les Tervillois sur trois générations, j’ai envie de grimper au plafond. Et, lorsque l’on me laisse entendre que je tue dans l’oeuf une belle carrière politique, j’ai le sentiment que mes interlocuteurs ne comprennent pas l’enjeu du dossier : je défends une population qui me fait confiance. Les habitants de Terville ont été abusés durant trente ans. Je continuerai à les défendre, jusqu’à ce qu’une solution acceptable soit trouvée », affirme le maire.
Patrick Luxembourger
Celui que ses détracteurs surnomment « le Sanglier » n’en est pas à sa première rupture. Le premier revirement remonte à 1991, lorsque le jeune Thionvillois, diplômé de Sciences po, renonce à l’ENA qui constituait pourtant son ambition première.
J’ai ressenti un certain malaise face à un système confiant à quelques milliers de fonctionnaires le fonctionnement de la France.
Patrick Luxembourger
Embauché à la SNVB en tant qu’attaché de la direction, le jeune homme se signale par une bonne maîtrise technique de la préparation au contrat de plan Etat-région d’un dossier des fonds de pension et de l’emprunt lancé par le conseil régional de Lorraine pour financer le TGV Est. Conflits. Promis à une belle carrière bancaire, il surprend en acceptant, en 1995, le poste de chef de cabinet, puis de directeur général des services de la mairie de Thionville.
Après trente ans de municipalité communiste, le terrain était miné. Il a agi dans la concertation, sans sectarisme, avec un intérêt remarqué pour l’amélioration des conditions de travail. Il s’est heurté au statisme de la fonction publique, mais son départ a laissé des regrets.
un agent thionvillois marqué à gauche
Le statut de contractuel de Patrick Luxembourger à un poste en principe réservé aux cadres territoriaux génère un conflit frontal avec les syndicats, puis le contraint à la démission. Huit mois plus tard, il réapparaît au Luxembourg, en tant que responsable du développement public de l’un des principaux cabinets d’audit du grand duché. Un conflit d’autorité plus tard, et le voilà parti chez un concurrent. Mais, à la veille des élections municipales de mars 2001, le jeune homme s’est fixé un nouveau défi : conquérir Terville, bastion de la gauche où ses détracteurs ne lui voient aucune chance. Il gagne, au cours d’une campagne exaltée, le surnom de « Curé » et emporte la mairie au terme d’une quadrangulaire sans concession.
A la victoire succède immédiatement la bataille des finances communales. Fin technicien des finances publiques, le maire assène à la préfecture des courriers truffés de références au code général des collectivités locales et brûlants de passion justicière. Aux banques, il oppose l’accusation de soutien abusif et les accuse de n’assumer aucun risque puisque, in fine, « c’est le contribuable qui paie ». Son discours a trouvé un écho parmi d’autres maires en situation financière délicate, mais lui vaut fort peu de soutien dans son propre camp. A ses heures perdues, Patrick Luxembourger se ressource dans le jazz, l’étude du chamanisme et la chasse. Ce passionné d’éthologie compte se spécialiser dans l’abattage du grand gibier blessé.
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