Auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le jardinage, Pascal Garbe préside de nombreux concours internationaux de paysagistes et d’horticulteurs. Des jardins fruitiers de Laquenexy, site remarquable du département de la Moselle, à Singapour ou à New-York, il observe l’évolution des relations entre les hommes, les villes et les plantes.
Les récentes élections municipales ont donné lieu à une surenchère de propositions visant à développer le végétal en ville. Etes-vous favorable à cette évolution ?
Introduire le végétal en ville est forcément une bonne idée, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un prétexte pour se donner bonne conscience. La question n’est pas de planter 1.000 ou 10.000 arbres, mais de savoir comment on les plante pour apporter une véritable valeur ajoutée à la ville. Avant de mettre en culture, il faut tenir compte du substrat, du climat, de l’exposition, des courants d’air…
Il faut laisser les paysages aux paysagistes et aux jardiniers, et ne pas se contenter des propositions plus ou moins vertes des architectes et des urbanistes. On a trop souvent tendance à considérer que le travail est terminé lorsque les plantations sont en place. Or, à ce stade, il ne fait que commencer. Le végétal n’est pas un catalogue dans lequel on choisit un décor. S’il est mal conçu ou mal entretenu, il vieillira mal.
Elus et promoteurs sont-ils disposés à intégrer cette notion de temps long ?
Dans certains projets urbains d’exception, on prend en compte la valeur ajoutée du végétal à long terme, mais en général, on ne se pose même pas la question Au mieux, les promoteurs raisonnent à l’aune d’une vie d’homme, à 40 à 50 ans, et non en fonction d’une vie d’arbre. Au pire, ils dessinent vaguement un « espace vert », sans intégrer les besoins des espèces, ni la dimension d’entretien, et l’espace en question devient vite innommable. L’objectif des promoteurs est de tirer de leur projet un maximum de profit. Tant que l’économie sera au centre de nos préoccupations, cette constante ne changera pas… sauf si se propage cette espèce de vibration que l’on ressent aujourd’hui dans des pays de petite taille ou dans des projets à petite échelle, où le végétal urbain est pris en considération jusqu’à devenir un art de vivre.
Quelles villes citeriez-vous en exemple ?
En France, la ville de Nantes a pris en compte l’importance du végétal et en tire une forte valeur ajoutée en termes de bien-être, de tourisme et de développement économique. A Milan, le « bosco verticale » conçu par le studio Beri avec des horticulteurs et des botanistes a permis de couvrir de végétation deux tours de de 110 et 76 mètres en tenant compte de la climatologie et de la biodiversité. Les parcs et jardins en Malmö, en Suède, les jardins botaniques de Singapour ou le jardin suspendu de la High Line, dans le Bronx, sont devenus des attractions touristiques internationales.
En règle générale, une végétalisation est bien menée quand les plantations sont bien pensées, bien réalisées et réparties de manière homogène. Un immense parc central ne suffit pas si les autres parties de la ville sont étouffantes. Idéalement, les plantations doivent représenter environ 20 % de la surface urbaine, avec des espèces adaptées au climat. Qu’elles soient locales ou non m’importe peu. Les cerisiers originaires du Japon alignés à Washington produisent un effet spectaculaire au printemps et créent un environnement très agréable en toute saison.
Le végétal demande des moyens. A mon sens, il devrait représenter à peu près 10 % de l’investissement global d’un projet, qu’il soit collectif ou privé. Dans les faits, il excède rarement 3 %. La question du coût ne me paraît pourtant pas centrale. Peut-on chiffrer le prix du bien-être humain ?
L’idée de favoriser l’agriculture en ville semble de plus en plus populaire. Croyez-vous à la permaculture urbaine ?
Je crois qu’il s’agit d’un terme pour journalistes et pour bobos. Il ne suffit pas de planter quelques légumes et de poser trois ruches pour amener de la nourriture en ville. Un arbre fruitier peut répondre aux besoins d’une dizaine de personnes. Combien en faudrait-il pour nourrir une ville ? De même, on peut avoir quelques poules dans un jardin, mais il faudrait en élever 60.000 pour que dans une ville de 10.000 habitants, chacun puisse manger du poulet une fois tous les deux mois.
Dans de grands territoires ou dans certaines circonstances, des espaces résiduels peuvent se prêter à des plantations. En 2011, après le séisme de Christchurch en Nouvelle-Zélande, des collectifs ont spontanément planté des potagers sur l’emplacement des immeubles détruits. L’agriculture urbaine a rendu de grands services à Cuba, mais La Havane ne connaît pas la même pression foncière que Paris ou Tokyo.
Reconnaissez-vous un intérêt pédagogique à l’agriculture urbaine ?
Cet aspect me laisse sceptique. Les plantations pédagogiques pourraient avoir un sens dans les écoles, mais les accumulations de normes et de contraintes sécuritaires interdisent d’y planter ne serait-ce qu’un rosier. A force de se poser des questions ubuesques d’hygiène ou de santé, on peut déjà s’estimer heureux lorsqu’il y a un arbre dans une cour de récréation – et encore, on le coupera s’il y a un risque de tempête ! On en arrive à faire vivre les gamins dans des cours de prison entourées de barreaux. On s’étonne ensuite qu’ils aient perdu la relation avec le végétal ! Ils perdent ainsi le sens des saisons et ne voient rien d’anormal à manger des fraises en hiver. C’est sur ce thème qu’il est urgent d’agir et il est bien dommage que la question ne soit posée que lors des municipales.
La réponse résiderait-elle dans l’agriculture périurbaine ?
Là encore, le terme me semble flou, d’autant que les villes ne cessent de s’étendre. Je suis bien sûr favorable aux circuits courts, dans un rayon compris entre 15 et 50 kilomètres. Est-il si grave d’emmener les enfants un peu loin pour leur faire découvrir les cultures ? Les jardins fruitiers que je dirige à Laquenexy se trouvent à 17 kilomètres de Metz. Les écoliers que nous recevons vivent souvent cette visite comme un voyage initiatique. De même, il me semble plus intéressant d’aller se promener sur les lieux même de la culture que de faire ses achats dans les points de ventes que les producteurs tiennent en centre-ville.
L’urbanisation peut-elle rompre le lien entre l’humain et le végétal ?
Je ne le pense pas. Dans les villes qui subissent les plus grosses pressions foncières du monde, à New-York, à Tokyo ou à Bangkok, je vois s’étendre les bacs fleuris ou les plates-bandes qui tentent de recréer une ambiance rurale. Se couper du végétal serait la pire des erreurs : il est vital, pas seulement pour l’alimentation. Il a toujours fait partie de la vie des hommes. D’ailleurs, même dans les films post-apocalyptiques, il y a toujours une place pour les plantes.
Propos recueillis par Pascale Braun
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