Agriculteurs, collectivités locales et industriels excellent à convertir leurs déchets en énergie. La région Grand Est est devenue championne de France de la méthanisation.
C’est l’alchimie du XXIe siècle. La méthanisation parvient à transformer des déchets ménagers, des boues d’épuration ou des déjections animales en électricité, en chauffage ou en carburant. Porté par des collectivités pionnières, encouragé par les exemples d’outre-Rhin et favorisé par une polyculture propice à l’épandage, le Grand Est s’impose aujourd’hui comme le premier producteur de France de biométhane. Purifié, ce gaz vert peut remplacer le gaz naturel dans les réseaux de chaleur, servir de carburant ou produire de l’hydrogène.
Les collectivités locales aident au développement de la filière. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a subventionné 78 installations réalisées ou en projet dans les trois anciennes régions (10 en Alsace, 37 en Champagne-Ardenne et 31 en Lorraine), pour une puissance installée de 28 mégawatts. Elle chiffre à environ 200 millions d’euros l’investissement réalisé au cours des cinq dernières années. Ouvert jusqu’à fin juin, son appel à projets Méthanisation 2016 devrait recueillir une trentaine de candidatures.
Une grande majorité de ces projets émanent d’agriculteurs grâce au réseau des chambres d’agricultures, très performant en matière d’accompagnement. Mais le territoire compte également des exemples de méthanisations innovants portés par les collectivités locales.
Christophe Reif, chargé de mission à l’Ademe Lorraine
L’est mosellan a vu naître le « modèle de Forbach », issu de la volonté de l’ancienne commune minière de demeurer une terre d’énergie. Le syndicat mixte de transport et de traitement des déchets de l’Est mosellan (Sydeme) a patiemment organisé la collecte des déchets ménagers fermentescibles dans un bassin de 385 000 habitants, avant de mettre en service la station d’épuration Méthavalor, en 2011. L’installation traite aujourd’hui 40 000 tonnes de déchets produisant 5,5 millions de tonnes de biogaz, 8 000 tonnes de compost et 10 000 tonnes d’engrais liquide.
Porté par la collectivité, l’investissement de 30 millions d’euros vise à réduire la part des déchets voués à l’enfouissement et à instaurer une économie circulaire qui a déjà généré près de 200 emplois. Au début de l’année, le Sydeme s’est engagé dans une démarche industrielle avec le lancement de Méthavos, une unité de méthanisation de déchets verts, à Sarreguemines, détenue pour moitié par le groupe de travaux publics mosellan Lingenheld. Des modules de méthanisation très compacts et un procédé breveté d’agitation de la matière fermentescible assurent une production annuelle de 2 millions de mètres cubes de gaz purifiés sur place par Air liquide, puis réinjectés dans le réseau de GRDF.
Inauguré en septembre 2015, Biovalsan constitue un projet pilote adaptable à toutes les métropoles d’Europe. La station d’épuration de la Wantzenau (Bas-Rhin) méthanise ses boues pour produire 1,6 million de mètres cubes de biométhane injecté dans le réseau de gaz public. Exploité par Réseau GDS et Suez Eau, le projet d’un montant de 7 millions d’euros produit suffisamment de chaleur pour alimenter 5 000 logements à basse consommation. À Faulquemont (Moselle), Suez Environnement a transformé une station de compostage en site de méthanisation. L’installation a mobilisé un investissement de 3,5 millions d’euros et génère 80 000 kilowattheures répartis à parts égales entre énergie thermique et électrique.
Une filière très performante au niveau européen
À Obernai (Bas-Rhin), le lycée agricole traite chaque année 6 000 tonnes de matière organique, dont les deux tiers d’origine agricole, le solde provenant de deux usines agroalimentaires voisines. L’installation, qui a représenté 2,3 millions d’euros, subventionnés à 40 %, vise un retour sur investissement en quatre ans et demi grâce à 2 000 mégawattheures électriques vendus à Gaz de Strasbourg et 900 000 mètres cubes de gaz valorisés sous forme de chaleur. La station fonctionne à pleine puissance tout au long de l’année.
Nous avons conçu et développé notre process avec l’équipementier francilien Naskeo et nous veillons à un respect scrupuleux du programme d’entretien pour éviter les pannes.
Freddy Merkling, le responsable de l’exploitation au lycée agricole d'Obernai
L’industrie de la méthanisation s’appuie sur une filière très performante sur le plan européen, tout particulièrement en Allemagne, où fonctionnent 8 000 installations, contre 150 en France. Les porteurs de projet se tournent donc naturellement vers les motoristes d’outre-Rhin. La France se distingue toutefois par des « recettes » plus sophistiquées qu’en Allemagne, où la méthanisation s’effectue essentiellement à partir de cultures énergétiques telles que le maïs.
Nous fabriquons des pompes, mais aussi des broyeurs et des agitateurs spécifiquement dédiés au marché français. Nous constatons une très forte croissance du marché de la méthanisation.
Pascal Perrache, le directeur général de Börger France à Wittersheim (Bas-Rhin)
Le Grand Est dispose également d’un outil de R & D performant pour affiner la méthanisation à la française. L’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy a implanté une plate-forme de méthanisation dans sa ferme de la Bouzule en 2013. À l’installation classique s’ajoute un pilote d’une capacité d’un mètre cube pour l’étude de petits volumes ou de nouveaux mélanges, ainsi qu’un laboratoire de recherche.
À Troyes (Aube), le cluster national Biogaz Valley, qui regroupe 74 membres, compte implanter dans la communauté de communes de Soulaines (Aube) un démonstrateur préindustriel qui permettra de tester les composantes, valider les processus et certifier les performances. Retenue au printemps dans le cadre des investissements d’avenir, la plate-forme Certhimétha bénéficiera de subventions qui couvriront pour moitié les 4,5 millions d’euros nécessaires. Son modèle économique reposera sur la vente d’énergie, mais aussi sur la location de ses infrastructures aux acteurs de la filière. Un exemple supplémentaire d’une filière qui se structure en associant transition énergétique et réalité économique.
La moitié des installations raccordées en France
La région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine regroupe cinq installations de méthanisation raccordées à GRDF, soit un tiers des sites injectant du gaz dans le réseau national. Cette proportion atteindra bientôt près de la moitié des installations raccordées, puisque GRDF étudie la faisabilité de 37 nouveaux projets dans la région, sur un objectif de 100 sites d’injection en France d’ici à 2018. Le biogaz joue un rôle clé dans la transition énergétique. Selon un scénario volontariste établi par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) à l’horizon 2030, cette énergie renouvelable pourrait représenter 60 térawattheures, l’équivalent d’une quinzaine de réacteurs nucléaires. 40 % de cette énergie serait injectée dans le réseau. Ce n’est pas un hasard si la filière de la méthanisation était présente, les 8 et 9 juin, au parc des expositions de Strasbourg pour le salon Expobiogaz.
28, c’est, en mégawatts, la puissance installée des unités de méthanisation dans le Grand est.
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