Docteur en Arts et sciences de l’art et maître de conférences à l’université de Lorraine, Olivier Goetz a initié avec Roxane Martin, professeure en histoire et esthétique du théâtre et directrice du master Arts, le premier master Mise en scène et dramaturgie en Europe.
A la fois expérimentale et professionnalisante, la nouvelle filière s’appuie sur le réseau transfrontalier Total Théâtre, qui associe sept théâtres de la Grande Région.
A quelle demande comptez-vous répondre en créant ce nouveau master ?
L’université n’a pas vocation à former directement des artistes, mais les ministères lui demandent de plus en plus de professionnalisation. Enseignants en arts vivants, nous avons donc choisi de d’apporter à nos étudiants des éléments pédagogiques qu’ils pourront mettre en pratique dans les métiers d’organisateurs de spectacles, de médiateurs ou de programmateurs.
Nous avons l’avantage d’être situés à 50 kilomètres des théâtres d’Allemagne, du Luxembourg et de Belgique. Nous avons voulu saisir cette opportunité pour former des dramaturges et des metteurs en scène capables de travailler dans plusieurs langues et de s’inscrire dans la création scénique européenne. Notre master est unique en France. La première promotion compte une dizaine d’inscrits, et nous en visons le double à moyen terme. Nous souhaitons nous ouvrir à d’autres villes et à d’autres théâtres et accueillant des étudiants des régions frontalières, voire au-delà. Nous visons une visibilité au moins nationale.
Quelles différences percevez-vous entre la mise en scène et la dramaturgie entre la France et l’Allemagne ?
En France, nous sommes imprégnés depuis un siècle d’une vision héroïque, un peu totalitaire, où le metteur en scène est souverain. Or, cette vision se dissout d’elle-même. Au XXIème siècle, la nouvelle dramaturgie post-dramatique porte une vocation plus collective, parfois documentaire, où il ne s’agit plus de faire croire au public à une fiction mimétique, mais qui propose un échange plus honnête.
En Allemagne, le métier de dramaturge est très différent de la définition française du terme – celui qui écrit la pièce de théâtre. Le dramaturge allemand connaît la pièce, son histoire, la manière dont elle a été interprétée par ailleurs. Il nourrit le metteur en scène et les artistes de conseils et d’explications. Son rôle se situe à l’opposé du metteur en scène français tout puissant, qui pourrait voir dans le travail du dramaturge allemand une « police du sens ». L’université peut être précieuse pour explorer ces divergences, casser les fonctionnements ou y introduire une dimension expérimentale.
Il existe également entre les théâtres français et allemands des différences structurelles, voire politiques. En Allemagne, les villes et les Länder ont généralement leur propre théâtre, leur propre troupe et leur propre dramaturge. En France, cette configuration est plutôt rare. Nous sommes plutôt dans une logique itinérante. L’usage veut que le metteur en scène choisisse ses acteurs et que les équipes se reconfigurent pour chaque pièce.
Comment les sept théâtres du réseau Total Théâtre contribuent-ils à votre master ?
D’abord, en garantissant à nos étudiants la possibilité de réaliser des stages intéressants dans leurs établissements, durant au moins deux mois. Les enseignants des théâtres animeront également des cours théoriques et des ateliers pédagogiques. Nous avons voulu solliciter des points de vue étrangers. L’avenir du théâtre est dans la circulation, et ces échanges eux-mêmes préfigurent nouveaux champs de recherche.
Nous vivons dans l’utopie d’une Grande Région mais dans la réalité, peu de gens partagent ce sentiment d’appartenance. Nous y travaillons malgré tout. La culture et l’art échappent au repli identitaire dont nous percevons l’émergence. Dans cette mesure, notre travail est presque militant.
Avez-vous rencontré des obstacles ?
Le premier est celui de la langue, même s’il relève d’une appréhension qui n’est pas vraiment justifiée. Nous avons beaucoup insisté sur la dimension franco-allemande, ce qui a peut-être fait peur aux élèves. Les intervenants parlent tous au moins le français ou l’anglais, et nous comptons parmi nos étudiants des élèves bilingues capables d’assurer les traductions si nécessaire. De plus, dans le théâtre contemporain, le langage du corps, les images ou la vidéo donnent la possibilité de communiquer autrement.
Notre recrutement est plutôt local. Nos étudiants n’ont pas derrière une longue pratique culturelle et ils n’auront peut-être pas les moyens de se rendre dans tous les théâtres du réseau. Peut-être trouverons-nous des partenaires pour faciliter ces échanges. Pour l’heure, nous sommes dans la période d’expérimentation, de frottement. Avec le recul, on s’aperçoit souvent que les premières années des projets ont été les plus riches.
Propos recueillis par Pascale Braun
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