Vice-présidente du conseil régional du Grand Est et adjointe au maire de Sarreguemines, Nicole Muller-Becker milite pour un multilinguisme basé sur les échanges dès le plus jeune âge.
Impliquée dans l’école associative ABCM Zweisprachigkeit, qui mobilise des locuteurs allemands dans 14 classes de Sarreguemines, elle voit dans le platt et l’alsacien des passerelles vers la langue du voisin.
Comment concevez-vous le soutien aux langues régionales dans le Grand Est, où l’alsacien semble prédominer ?
Qu’une Lorraine soit en charge du développement du multilinguisme fait sortir le Grand Est d’une perception où l’alsacien serait la seule langue régionale. L’Alsace détient une longue expérience des conventions quadripartites entre le rectorat, les deux départements et le conseil régional. L’Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace (Olca) s’appuyait sur une équipe d’une demi-douzaine de personnes pour populariser la langue parlée alsacienne.
La Lorraine n’avait pas cette culture du soutien à ses langues régionales. Il existe pourtant dans l’Est mosellan des initiatives qui méritent d’être connues. Il m’a paru important de sensibiliser les élus au travail accompli par la médiathèque de la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences (Casc), aux efforts d’Hervé Atamaniuk, directeur des affaires culturelles de Sarreguemines , pour préserver et valoriser le platt, et au développement de l’école associative ABCM Zweisprachigkeit, qui concerne 350 élèves.
Nous avons invité l’Olca à prendre connaissance des actions menées sur le terrain, notamment à l’occasion du festival francique Mir Redde Platt. L’Olca s’est ensuite élargi pour devenir l’ Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle (Olcam).
Comment cet élargissement se traduit-t-il ?
La Casc a conclu une première convention avec l’Olcam en 2017 pour accompagner les actions en faveur du bilinguisme. Cette année, une deuxième convention prévoit de former 30 formateurs qui seront habilités à intervenir dans les classes de maternelles et de primaires, mais aussi au cours des animations extrascolaires, pour familiariser les enfants au dialecte local. Ce programme constitué de contes, de jeux et d’animations culturelles s’inscrit dans une politique régionale globale qui vise à faire vivre les langues régionales et d’en faire des passerelles vers la langue du voisin.
Le soutien aux langues régionales s’accompagne-il d’un soutien à la création ?
Oui. Nous avons notamment soutenu la version en platt de la Leçon d’Ionesco. Sous-titrée en français et en allemand, cette remarquable production du Lothringer Theater et de Parnass Theater a circulé jusqu’en Sarre. Le conseil régional du Grand Est subventionne également des films, des livres et des pièces de théâtre. Ces productions peu connues sont très liées au territoire. Le platt et l’alsacien font partie de notre identité.
Le Grand Est subventionne les langues régionales à hauteur d’un million d’euros par an. Cette aide sera renouvelée en fin d’année. Nous travaillons par ailleurs avec le rectorat pour ouvrir de nouvelles classes bilingues à Metz, à Nancy et à Reims.
L’apprentissage de l’allemand a globalement régressé depuis la signature du traité de l’Elysée en 1963. Comment expliquez-vous ce recul ?
L’apprentissage de la langue du voisin a été laissé en jachère. Il n’a été ni assez formalisé, ni assez pratiqué. Nous ne sommes pas parvenus à faire la liaison entre l’école et la langue parlée dans la famille. Or, l’apprentissage est favorisé par des immersions dès la toute petite enfance. On n’apprend pas seulement une langue de manière formelle à l’école, mais aussi lors d’échanges sportifs ou sociétaux, par des contacts humains.
Il faudrait un plan Marshall du bilinguisme pour faire comprendre son importance en termes économiques, mais aussi sur le plan de l’ouverture culturelle, qui est l’essence même de l’esprit européen.
L’époque n’est-elle pas plutôt au repli sur soi ?
Sur le terrain, je ne rencontre que des personnes qui partagent un état d’esprit constructif et positif. Je perçois surtout une aspiration à la paix, à la mémoire, à l’amitié entre les peuples. Certes, on avance à petits pas, mais on est dans cet engagement. Le transfrontalier et l’Europe constituent notre porte de sortie. Il manque un contact quotidien qui fera changer les choses.
Propos recueillis par Pascale Braun
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