Grande connaisseuse de la scène culturelle luxembourgeoise, Nancy Braun dirige depuis novembre 2018 le projet « Esch2022, capitale européenne de la Culture ». Ancienne coordinatrice générale adjointe de « Luxembourg et Grande Région, capitale européenne de la culture 2007», directrice administrative et financière du Barreau de Luxembourg, puis coordinatrice générale du Demokratesch Partei – DP, elle met ses compétences au service d’un projet phare : Esch2022 doit mettre en lumière la métamorphose d’Esch-sur-Alzette, mais aussi faire rayonner les perspectives d’avenir d’un territoire englobant le sud du Grand-Duché et la bande frontalière du nord lorrain.
A quoi le label « Capital européenne de la culture » peut-il servir ?
Il doit d’abord servir à changer l’image d’Esch-sur-Alzette et à repositionner la région du sud Luxembourg sur le plan national et international. Ce territoire est à l’origine d’une grande partie de la richesse du Luxembourg. Il a connu des hauts et des bas et se trouve aujourd’hui en pleine transformation. L’outil culturel peut contribuer à cette évolution. Belval, son université, ses institutions, constituent un exemple de reconversion formidable et trop peu connu. Le futur du Luxembourg s’y joue.
Le thème « Remix », qui constitue le fil rouge de toute l’année 2022, ne prendra pas fin en 2023. L’année du label servira de point de départ à ce que deviendra Esch-sur-Alzette dans le futur. Il bénéficiera à la ville, mais aussi aux autres communes partenaires, qui n’ont pas toutes les ressources nécessaires pour s’impliquer dans le projet, mais qui bénéficieront de l’aide de la région Sud du Luxembourg.
Esch2022 dispose d’un budget de 56,6 millions d’euros. Comment les recettes et les dépenses seront-elles ventilées ?
Les recettes se composent de 40 millions d’euros apportés par l’Etat, 10,1 millions d’euros apportés par la ville d’Esch-sur-Alzette, 5 millions d’euros abondés par le sponsoring et 1,5 million d’euros obtenus grâce au label européen. Les dépenses se répartiront entre 9,1 millions d’euros pour les ressources humaines et les frais généraux, 10 millions d’euros consacrés à la communication et au marketing et 37,5 millions d’euros affectés à la réalisation ou cofinancements de projets.
Vous succédez à une première équipe dirigée par Andreas Wagner et Janina Strötgen. Que reste-t-il de la première mouture du projet Esch2022 ?
Sur les 20 grands projets initiaux, nous n’avons guère retenu que l’ouverture et la clôture. Il y a eu des pertes de temps, des tâches qui auraient dû être faites avant et beaucoup d’énergie dépensée pour des projets qui ne se réaliseront pas, car ils mobilisaient des budgets faramineux mais ne résistaient pas à l’analyse.
Nous avons repensé le tout et conservé l’essentiel : le thème Remix. Il s’agissait de l’élément le plus important et il n’était pas question de revenir en arrière. Nous avons eu deux ans pour développer les programmes et les stratégies d’Esch2022. En un an, nous avons construit de réelles bases de travail. Maintenant, il faut avancer.
Certains projets sont-ils déjà lancés ?
Oui. Nous avons commencé à travailler sur les quatre projets que nous réaliserons nous-mêmes. Nous préparons une cérémonie d’ouverture et un événement de clôture très ambitieux. Nous commençons également à organiser notre QG qui se tiendra à Belval, dans des lieux existants : l’ancien bâtiment industriel de la « Mölerei », près de la Maison du livre de l’université ; le bâtiment Massenoire ; la halle des poches à fonte ; la salle des soufflantes et le socle de l’ancien haut-fourneau C. Nous réalisons également un parcours pédestre de 60 kilomètres qui reliera les 11 communes du Sud. Prosud et l’ordre des architectes ont lancé un concours d’architectes pour concevoir des gites dans des espaces ou bâtiments vacants mis à disposition par les communes. Nous comptons voir émerger des concepts innovants et surprenants, toujours sur le thème de Remix. La programmation prévue autour de ces gites servira de fil rouge pour mettre les communes en réseau. Nous espérons faire participer les citoyens pour qu’ils s’approprient le parcours et les itinéraires, puis développent et pérennisent ces gites.
Comment organiserez-vous les autres projets ?
Nous avons lancé un premier appel d’offres qui court du 28 février au 31 décembre 2019. Les propositions doivent s’articuler autour de quatre thèmes : Remix Europe pour redécouvrir les valeurs fondamentales de l’Europe, Remix Nature pour valoriser et revaloriser le contexte naturel du territoire, Remix Yourself, sur le thème de l’individu et de la collectivité face au changement, et Remix Art, pour faciliter l’accès de tous à l’art et à la culture tout en conservant un standard de niveau international.
Mi-octobre, nous avions déjà reçu 545 projets, dont 300 ont été soumis au comité d’évaluation. C’est énorme ! Quand nous constatons qu’une une dizaine de propositions portent sur le même thème ou sur des thématiques proches, nous suggérons aux porteurs de se connecter et de coopérer. Nous prônons une approche innovante, participative et intégratrice qui conduit aussi à une nouvelle manière de marier les projets.
Comment la sélection s’effectuera-t’elle ?
Il est important et enrichissant de considérer les projets sous des angles multiples. La commission d’évaluation intègrera des acteurs du secteur de la culture, mais aussi des aussi des représentants des ministères des Finances, des Affaires européennes, d’associations intervenant dans le domaine de l’intégration, ou encore, de structures spécialisées dans les nouvelles technologies comme Luxinnovation ou Digital Luxembourg. Il comptera également un membre français qui sera chargé d’évaluer, aux côtés des autres membres du comité, les projets issus de la partie francophone du territoire Esch2022.
Esch2022 financera à hauteur de 50 % maximum les projets soumis et validés quand les porteurs émanent de son périmètre, soit la ville d’Esch-sur-Alzette, 11 communes luxembourgeoises du Sud du Luxembourg et les communes françaises associées de la communauté de communes Pays-Haut-Val d’Alzette (CCPHVA). Les voisins hors territoire sont également invités à postuler, si le projet est réalisé sur le territoire ou si le porteur se connecte à un projet qui a son assise sur le territoire.
Les dossiers que nous avons reçus sont hétéroclites. Dans certains cas, il s’agit plus d’idées que de véritables projets. D’autres propositions sont très matures. Qu’il s’agisse d’un accord de principe ou d’un refus, nos réponses seront toujours motivées. Nous présenterons les projets retenus le 22 février 2020. Cette date symbolique marquera le lancement de la communication générale et le début des dialogues et es échanges que nous comptons mener.
Sur quels moyens humains vous appuyez-vous pour mettre en œuvre Esch2022 ?
Notre équipe actuelle compte une douzaine de personnes et montera progressivement à 35 personnes. S’y ajouteront l’équivalent d’une à deux personnes mobilisées à temps plein dans chacune des communes partenaires, soit une soixantaine de personnes travaillant à la même mission. Nous nous appuierons aussi sur des consultants externes et sur le tissu culturel et associations existant comme la Rockhal, le musée de la Résistance et le théâtre d’Esch-sur-Alzette, le centre national de l’audiovisuel de Dudelange, la Kulturfabrik, le service culturel de la CCPHVA ou encore, le festival du film italien de Villerupt.
Quelle sera la dimension transfrontalière d’Esch2022 ?
La coopération culturelle transfrontalière existait déjà auparavant. Esch2022 devrait lui donner un nouvel élan. Nous nous réjouissons d’avoir enregistré de nombreux projets français, qui confortent le caractère transfrontalier de notre programme. La Sarre est également prête à s’impliquer et la ville de Trèves compte connecter son hub de visiteurs à Esch2022.
Nous cherchons à stimuler des alliances dans la Grande Région et nous connecter à d’autres régions – notamment celle de Kaunas, la ville lituanienne qui sera l’autre capitale de la Culture européenne en 2022. Le principe même des capitales européennes de la culture, qui consiste à associer deux villes ou deux régions, n’est pas assez mis en avant. Nous voulons montrer que le rapprochement est possible et qu’il peut perdurer.
Nous voulons aussi donner l’exemple en matière d’intégration. Au Luxembourg, nous vivons l’Europe au quotidien. A Esch-sur-Alzette cohabitent 122 nationalités. Nous voulons montrer qu’il est possible de vivre ensemble de manière harmonieuse.
Propos recueillis par Pascale Braun
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