Quel mode de gouvernance pourrait-il faciliter la mobilité transfrontalière dans le nord lorrain ? Le 17 septembre dernier, les intervenants de la table ronde organisée par l’Agape sur ce thème délicat se sont montrés unanimes : il n’existe ni réponse unique, ni solution définitive, mais un faisceau d’initiatives portées tantôt par les Etats, tantôt par les groupements européens. La formule conjuguant gouvernance stable et mobilité transfrontalière reste à trouver.
Réalisée auprès de 3 558 personnes de novembre 2013 à janvier 2014, l’enquête Déplacements villes moyennes conduite par le Scot Nord meurthe-et-mosellan et la Communauté de communes du Pays-Haut Val d’Alzette a détaillé pas moins de 13 178 déplacements réalisés sur 124 communes péri-urbaines (ici). En scrutant à la loupe la durée, le mode et les motifs de déplacements, l’étude a révélé qu’un travailleur frontalier vivant dans ce territoire effectue en moyenne 77 kilomètres par jour pour un temps de parcours de 118 minutes. La conférence-débat organisée par l’agence d’urbanisme Agape à Villerupt (Meurthe-et-Moselle) le 17 septembre 2015 s’est appuyée sur ce constat pour initier une table-ronde dédiée à la gouvernance de la mobilité transfrontalière.
Avec 175 000 frontaliers travaillant au Luxembourg, dont 82 000 lorrains, le sujet de la mobilité est devenu majeur et a obligé les pays à adapter leur gouvernance. Les schémas de mobilité transfrontalière (Smot) ont permis de développer les transports en commun : ils sont aujourd’hui utilisés par 25 % des frontaliers messins et thionvillois. Mais les habitants sur secteur de l’étude, qui représentent un tiers des frontaliers, ne sont pourtant que 9 % à pouvoir utiliser les transports en commun. Le Pays-Haut serait-il délaissé ?
Aurélien Biscaut, directeur de l’Agape
La piste cyclable mène à la gare
Attachée de Gouvernement, 1ère en rang, chargée de division des Affaires transfrontalières au ministère du développement durable et des infrastructures du Luxembourg, Marie-José Vidal voit dans la stratégie durable pour une mobilité transfrontalière (Modu) du Grand-Duché une réponse à la fois nationale et transfrontalière.
Notre objectif vise à atteindre 25 % de mobilité douce en 2020 contre 13 % aujourd’hui. Le gouvernement a mis en place une cellule spécifique qui aide les communes à mettre en place des pistes cyclables et propose un cofinancement pouvant atteindre 30 % si ces pistes se raccordent aux réseaux.
Marie-José Vidal
Le train constitue l’épine dorsale des futurs transports en commun luxembourgeois. La compagnie ferroviaire CFL cofinance des « mBox », parcs sécurisés permettant aux usagers d’entreposer leur vélo à la journée en toute sérénité.
Le Modu prévoit de rabattre vers le chemin de fer non seulement les pistes cyclables, mais aussi les lignes de bus, dont les liaisons transfrontalières seront densifiées. Un système de Park & Ride se déploie progressivement pour permettre aux usagers de garer leur voiture à proximité des gares routières et ferroviaires, la tarification augmentant au fur et à mesure que le stationnement se rapproche.
Les Smot conclus entre le Luxembourg et ses voisins français, allemands et belges doivent également permettre de coordonner les planifications nationales. Parmi les projets structurants figurent la nouvelle ligne ferroviaire entre Luxembourg et Bettembourg et la mise à deux fois trois voies entre Dudelange et Croix de Gasperich. En revanche, la mise à double voie de la liaison entre Rodange et Luxembourg, qui aurait soulagé les conditions de transport des travailleurs belges d’Athus et de Virton et des Lorrains de Longwy, est repoussée au-delà de 2030.
Liaisons douces et frontalières
Les Groupement européens de coopérations transfrontalières (GECT) ont pu apparaître, lors de leur instauration en 2006 sous l’égide de l’Europe, comme les instruments les mieux adaptés à la gouvernance transfrontalière. Créés pour favoriser les échanges et dotés d’une personnalité juridique propre, les GECT disposent de l’appui de leurs membres et de l’aval des Etats concernés.
Le GECT Alzette-Belval, qui regroupe 12 communes sur 90 000 habitants répartis entre la Lorraine et le Luxembourg, a pour vocation de construire collectivement une agglomération transfrontalière.
La mobilité se trouve au cœur du projet. Le GECT doit accroître la transmission et le partage de l’information qui circule parfois difficilement entre les acteurs français et luxembourgeois. Cette connaissance commune doit nous permettre de construire une mobilité à l’échelle du territoire Alzette-Belval et de trouver des solutions aux problématiques locales. Si nous parvenons à coordonner les réseaux nationaux de part et d’autre de la frontière, nous trouverons une solution.
Dorothée Habay-Le, directrice du GECT Alzette-Belval
La structure pose le postulat de lignes transfrontalières principales desservies par des réseaux de rabattement et travaille sur deux lignes test. Elle étudie également les attentes du territoire pour déployer de nouvelles lignes transfrontalières et travaille à la création d’un réseau de voies douces transfrontalières.
Des frontières poreuses, mais encombrées
Maître de conférences à l’université de Lorraine, Marie-France Gaunard-Anderson dénombre 55 GECT en Europe, généralement dédiés à faciliter les échanges au long de frontières devenues poreuses et perméables.
L’obstacle des langues et les problèmes de compétences perdurent dans toute l’Europe, sans pour autant empêcher la coopération de progresser.
Marie-France Gaunard-Anderson, maître de conférences spécialisée en géographie politique à l’Université de Lorraine
Les coopérations entre l’Italie et la Slovénie et celle entre le Danemark et la Suède figurent parmi les plus abouties, en dépit de la différence de taille et de structure entre les partenaires.
Des échelles trop mobiles
A la frontière franco-luxembourgeoise, les questions d’échelle ne sont pas résolues. La création de la grande région Acal renforcera peut-être les moyens dédiés à la mobilité, à condition de définir des priorités.
La mobilité constitue un facteur d’inégalités, même dans des territoires qui peuvent paraître prospères. Elle dépend en partie de la volonté des pays voisins sur laquelle nous n’avons pas prise. Il faut mettre à profit des structures existantes telles le GECT, le réseau de villes Tonicités ou encore, le Sillon lorrain pour travailler à un projet de territoire et le porter à l’échelle interrégionale.
Jean-Marc Fournel, député-maire de Longwy
Essentielle, mais complexe, la question de la mobilité trouvera peut-être des réponses en conjuguant les solutions locales trouvées dans les espaces interstitiels et une gouvernance « chapeau » à l’échelle d’une Grande Région élargie jusqu’au Rhin supérieur. La réorganisation en marche fera bouger les échelles sur un territoire à géométrie variable en quête de stabilité et de mobilité.
Pascale Braun
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