Diplômé de Sciences Politiques à l’Université de Potsdam et détenteur d’un master européen à l’Institut d’études politiques de Strasbourg, Mischa Schmelter a d’abord travaillé au sein de la Délégation générale de la Région Rhône-Alpes à Bruxelles, avant d’intégrer le conseil régional d’Alsace, en tant qu’instructeur de projets Interreg Rhin Supérieur. Affecté à la Direction de la Culture, du Patrimoine et de la Mémoire de la Région Grand Est, depuis l’automne 2017, il élabore la politique culturelle transfrontalière et européenne de l’institution.
Comment la coopération culturelle transfrontalière s’est-elle réorganisée depuis la mise en place de la région Grand Est ?
La fusion de trois régions est un moment rare, voire unique, où l’on fait table rase des fonctionnements passés pour reconstruire une nouvelle politique. Nous avons mis en place un conseil consultatif de la culture qui regroupe les différentes structures des anciennes régions par filières. Cette instance de concertation est associée à l’élaboration des politiques publiques. Elle participe à l’effort de structuration. De novembre 2017 à janvier 2018, nous avons lancé une étude auprès des artistes, structures, réseaux et plateformes du Grand Est, pour identifier les acteurs de la culture transfrontalière, leurs pratiques et leurs projets, mais aussi les obstacles auxquels ils sont confrontés. Nous nous sommes appuyés sur les réponses des 250 participants pour organiser les travaux d’ateliers transversaux qui ont contribué à l’élaboration de notre politique culturelle transfrontalière.
Comment comptez-vous poursuivre ce travail ?
Le transfrontalier est l’une des grandes priorités de la région Grand Est. Nous accompagnons nos acteurs culturels au-delà des frontières, par l’élaboration d’outils pratiques, mais également à travers le développement de notre présence sur les grands marchés professionnels. C’est le cas pour la foire internationale IKF à Fribourg, où nous avons soutenu neuf artistes. De même, des auteurs régionaux seront présents mi-février à la foire du livre de Bruxelles dans le cadre de notre politique publique du livre.
Nous allons organiser des rencontres de préfiguration dont l’objectif est de mettre en réseaux les bons interlocuteurs, de mettre en place des dispositifs de mobilité et d’encourager les rencontres professionnelles. Nous lançons également des réflexions et organisons des formations sur les différences en matière de statuts, de sécurité sociale et d’impôts de part et d’autre de nos quatre frontières. Tout le monde ne s’intéresse pas au transfrontalier, mais nous ne manquons pas de sollicitations, et il s’agit de savoir y répondre.
Comment la constitution du Grand Est a-t-elle été perçue à l’extérieur des frontières ?
Cette nouvelle entité a suscité beaucoup de curiosité. Il existe un décalage avec la situation historique, où nos voisins avaient à faire, dans chacun des espaces de coopération, aux seuls interlocuteurs de proximité dans chacune des anciennes régions. Les champs possibles sont aujourd’hui plus larges. Auparavant, il n’allait pas de soi que des structures ardennaises puissent coopérer avec des institutions suisses. Tout le monde n’ira pas partout, mais nous voulons rendre compatible l’ensemble des dispositifs. Il y a un équilibre à trouver pour éviter les écarts dans la considération des acteurs de notre région, tout en tenant compte des différences existantes entre les espaces frontaliers.
Quelles sont les prochaines échéances culturelles transfrontalières ?
Esch 2022, auquel est associée la communauté de communes Pays Haut-Val d’Alzette, conférera aux deux entités une visibilité européenne. Hautement symbolique et en pleine expansion, le site d’Esch est particulièrement dynamique. Il s’agira pour le Grand Est de veiller à ce que ce choix mobilise les acteurs régionaux et contribue ainsi à un développement intégré de toute la région, y compris du côté français. Le pôle culturel de Micheville à Villerupt représente potentiellement un site majeur sur le territoire d’Esch 2022, même si, à ma connaissance, le projet n’est pas encore bouclé.
Sur le plan institutionnel, la Drac du Grand Est prendra la présidence du forum Culture de la Conférence du Rhin supérieur dès ce printemps. La présidence de la Grande Région, jusqu’à présent luxembourgeoise, vient de passer le relais à la Sarre. Elle reviendra à la France en 2020. Chacune de ces transitions se prépare et le dialogue a déjà commencé.
La culture figurera-t-elle explicitement dans les prochains programmes Interreg ?
Dans les futurs programmes Interreg, on ne reviendra sans doute pas sur la tendance européenne qui consiste à fonctionner par grands objectifs plutôt que par une multitude de thèmes spécifiques. Mais la culture peut être présente dans les futurs programmes opérationnels. Il s’agira de trouver la bonne articulation avec les objectifs en question, que ce soit en matière de cohésion sociale, de développement économique ou d’innovation numérique. Le Grand Est est concerné par les fonds Interreg Grande Région, Rhin supérieur et France-Wallonie-Vlaanderen. Nous nous proposons d’accompagner les acteurs culturels qui voudront s’impliquer dans la préparation des futurs programmes, tout comme nous accompagnons aujourd’hui les candidats dans la gymnastique intellectuelle nécessaire pour accéder à ces fonds, qui ont permis de belles réalisations.
Existe-il à votre sens une culture « grand-régionale » commune ?
Certes, je ne suis pas certain qu’une ligne qui va de la Suisse à la Mer du Nord soit propice à une marque de territoire facilement identifiable. Mais les fleuves Meuse et Rhin font, à mes yeux, office de traits d’union dans cet espace. Tout au long de cet arc, il existe un vivier issu de la proximité linguistique et culturelle. En prenant en compte les différences linguistiques de Fribourg à la Belgique, je suis convaincu que ce territoire a du sens.
Je constate par ailleurs que le traité d’Aix-la-Chapelle fait référence à l’art et à la culture. Il fait état d’un espace culturel commun, objectif autour duquel s’articulent également nos axes de travail sur le plan transfrontalier. J’ai noté avec beaucoup d’optimisme cette convergence des objectifs, jusque dans leur terminologie. Le traité coïncide, par ailleurs, avec le projet de règlement européen qui donne la possibilité de dérogations sur les zones frontalières, ce qui peut être intéressant.
Comment percevez-vous les enjeux des prochaines élections européennes en matière de culture ?
Je ressens nettement la crainte que ces élections n’opposent un modèle européen d’ouverture et d’intégration à une majorité qui y serait hostile. La culture constitue un point de cristallisation des débats. Nous en avons eu la preuve durant les premières discussions budgétaires au sujet du fonds Europe Créative, contesté par certains Etats. Le Parlement européen a, jusque-là, défendu ce fonds et l’augmentation de son budget. Ce sera un enjeu immédiat de l’après-élections.
Propos recueillis par Pascale Braun
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