Michel Hirtz, ornithologue, veille depuis trente ans sur les espèces du domaine de Lindre (Moselle) et transmet sa passion aux enfants qui visitent le site.
Debout dans sa barque, immobile et silencieux, l’ornithologue vogue dans son élément. D’avril à juin, les chants qui montent de la roselière le renseignent sur les espèces présentes, l’arrivée des migrateurs et les accouplements. Sillonnant l’étang de Lindre (Moselle) depuis près de trente ans, Michel Hirtz connaît chaque arpent des quelque 2 400 hectares de forêts, de fermes et de plans d’eau composant le domaine. Aucune des 120 espèces nicheuses, ni des 250 espèces observables sur le site ne lui est étrangère. A la fois technicien, scientifique, garde-pêche et pédagogue, Michel Hirtz protège le territoire, assure son entretien, étudie ses mystères et invite chaque année plus d’un millier de scolaires à une découverte respectueuse de l’étang.
Je demande aux enfants de décrire ce qu’ils voient, ce qu’ils sentent, puis ce qu’ils entendent. Peu à peu, ils intègrent les différents éléments du paysage, jusqu’à pouvoir les restituer de mémoire sur une maquette.
Michel Hirtz
Bricoleur à ses heures, l’ornithologue a fabriqué la plupart des supports pédagogiques du site, dont la maquette représentant le très complexe système hydraulique élaboré par les moines fondateurs de l’étang de Lindre au XIIe siècle.
Encyclopédie ornithologique
A l’époque médiévale, l’immense retenue d’eau servait à la fois de vivier pour pallier les 150 jours de jeûne annuels imposés par l’église et d’arme de dissuasion vis-à-vis des assaillants potentiels des riches salines royales voisines. Au fil des ans, le technicien a appris à décrypter les paysages et collabore régulièrement à la revue « Signe des temps », qui retrace l’histoire du site depuis l’époque des Romains. Homme de terrain, Michel Hirtz apporte une contribution essentielle au site internet de l’étang, qui constituera, à terme, une véritable encyclopédie ornithologique.
J’y reporte régulièrement les données de mes comptages hebdomadaires d’anatidés (canards, oies et cygnes), les observations et les recensements mensuels de populations, ainsi que les relevés de niveau, de température et de turbidité de l’eau.
Michel Hirtz, également auteur de plusieurs plaquettes de présentation de l'étang, de sa faune et de sa flore
Mais à la connaissance encyclopédique, il préfère les problématiques inédites telles que celle qu’engendre, depuis quelques années, l’apparition de cormorans dans les étangs de Moselle. Originaires des Pays-Bas et de Scandinavie, ces piscivores voraces résistent à toutes les tentatives d’effarouchement et dévorent 50 % des poissons de l’étang.
Cette année, nous avons expérimenté un système de pontons flottants, qui a permis à plusieurs tonnes de poissons de se mettre à l’abri des prédateurs. Cet automne, nous implanterons sur la surface de l’eau de petits étangs tests, des filets à larges mailles pour empêcher les cormorans de plonger. Nous communiquons nos résultats à la Filière lorraine d’aquaculture continentale (association regroupant les professionnels du secteur), afin d’aider l’ensemble de la profession piscicole à lutter contre ce fléau.
Michel Hirtz
Protéger les cigognes
L’ornithologue anticipe également un événement exceptionnel programmé en 2005. A cette date, le conseil général de la Moselle procédera à un assèchement complet des 620 hectares de l’étang pour faucarder les roselières et découvrir la vase. Le fond de l’étang sera ensuite mis en culture jusqu’à l’année suivante.
L’opération ne pose aucun problème pour les poissons, puisque l’étang est vidé chaque année lors de la grande pêche d’automne. En revanche, il faudra trouver une solution pour les fuligules milouins mâles qui viennent trouver refuge sur l’étang au mois d’août, le temps du plumage d’éclipse.
Michel Hirtz
Venus de Hongrie et de Roumanie, 3 000 à 4 000 de ces canards plongeurs vivent, au cours de leur escale mosellane, une mue complète durant laquelle ils perdent jusqu’à leurs rémiges (grandes plumes rigides des ailes). Alors en 2005, durant cette période ingrate, les mâles devenus grisâtres, fragilisés, incapables de voler, devront trouver refuge dans les 300 hectares de plans d’eau attenants à l’étang principal.
L’étude de cette migration confirme l’intérêt écologique européen de l’étang .
Michel Hirtz
Au début des années 90, Michel Hirtz était la cheville ouvrière du programme de préservation des cigognes blanches élaboré par le conseil général de la Moselle. L’espèce, réintroduite en volières voici une trentaine d’années pour contrer le risque imminent d’extinction, compte aujourd’hui vingt couples nicheurs qui constituent l’attraction majeure de l’étang de Lindre.
La rainette qui gobe l’oiseau
Les anecdotes de Michel Hirtz ont la grâce irisée de gouttelettes au soleil. Ainsi, l’histoire de ce héron immobile sous la pluie battante. L’ornithologue s’avance doucement, s’approche jusqu’à le toucher. Ce n’est qu’en sentant la caresse que le bel oiseau s’envole dans un cri de surprise et d’horreur. Plus surprenante encore, la méprise de cette rainette qui croit gober un gros insecte… et happe un jeune grèbe castagneux, minuscule oiseau plongeur dont elle n’avait vu que le cou. Incroyable également, la présence, un beau matin, d’un pélican posé sur le toit du domaine. De mémoire d’homme, personne n’avait jamais vu ce migrateur africain pousser ses incursions européennes plus à l’ouest que la République tchèque.
un bricoleur pédagogue
Michel Hirtz, que son père destinait à l’imprimerie, s’est passionné dès l’enfance pour les oiseaux sauvages. En 1969, le jeune adhérent d’associations d’ornithologie découvre l’étang de Lindre… et en tombe amoureux. Le site est alors une propriété privée, mise en vente en 1975. Le conseil général de la Moselle s’en porte acquéreur pour éviter la conversion de cette exceptionnelle réserve avicole en base de loisirs nautiques. Michel Hirtz y est embauché en 1976 en tant que technicien chargé du laboratoire de pisciculture. En 1992, le département engage sur l’étang des programmes de préservation des espèces, d’animation et de pédagogie. Cette nouvelle orientation permet à Michel Hirtz de commencer le comptage des oiseaux, dont il n’a jamais cessé l’observation. En 1999, l’instauration des programmes pédagogiques sur l’étang de Lindre lui ouvre la voie de l’ornithologie à temps plein.
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