A Metz, le démantèlement systématique des campements Roms a cédé la place à une politique plus constructive. Installées dans un bidonville d’insertion, une quinzaine de familles vivent en sécurité dans un îlot d’urbanisme pensé pour la grande précarité.
Fuyant la discrimination et la misère dans leur pays d’origine, les Roms d’Europe centrale trouvent en France une situation à peine moins désolante. A Metz, une quinzaine de familles arrivées de Bulgarie et de Roumanie au début de la décennie ont longtemps vécu au rythme des installations précaires et des démantèlements forcés, avant qu’une option pragmatique ne vienne sécuriser leur situation et faciliter leur insertion. Rédigée par la Fondation Abbé Pierre, une Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous) a instauré en lisière du nouveau quartier de l’Amphithéâtre un bidonville d’insertion qui sert de passerelle vers un habitat classique. Depuis sa signature en septembre 2016, cinq familles ont quitté les baraques en bois de l’avenue Louis le Débonnaire – une petite rue quasi déserte longeant un stade de foot et un talus de la SNCF. Les tensions suscitées par les occupations illicites et la mendicité se sont apaisées et l’objectif d’une insertion définitive paraît accessible.
Ce début de solution résulte d’une succession de conflits et d’échecs. En 2015, alors que les familles Roms ont commencé à implanter un campement à Metz nord, La préfecture les déloge sans en référer à la Ville, dans la crainte de voir s’ancrer un habitat précaire, mais d’assez bonne qualité. Se retrouvant à la rue, les 35 personnes expulsées sont mises à l’abri au camping municipal – dont elles ne peuvent pas payer la facture. Investi aux côté des familles, le Collectif mosellan de lutte contre la misère exige un relogement que ni l’Etat, ni le centre communal d’action social n’est enclin à accorder.
Puisque les familles ne voulaient pas partir et que personne ne voulait les accueillir, j’ai proposé au maire de les laisser reconstruire le bidonville, tout en mobilisant les associations pour répondre aux besoins de première nécessité.
Raphaël Pitti, professeur agrégé de médecine d’urgence, formateur et conseiller municipal de Metz en charge de l’humanitaire
Au terme de dissensions internes, le collectif de soutien accepte le principe d’un bidonville sécurisé et se met en quête d’un terrain. Située en zone inondable, mais à proximité d’une station de vigilance des crues de la Moselle, la langue de terrain de l’avenue Louis le Débonnaire semble faire l’affaire. La SNCF accepte de mettre le terrain à disposition, les associations caritatives procurent vêtements et nourriture. La mairie met à disposition des tonnes à eau, deux générateurs et du laitier pour stabiliser le sol. En quelques semaines, la petite communauté est prête à aborder l’hiver dans des conditions soutenables.
Au printemps suivant, la ville fait appel au collectif d’architectes parisien Quatorze, spécialiste de l’architecture sociale et solidaire, pour décliner à Metz la méthodologie « WeCo » développée dans le bidonville de Montreuil. Doté d’un budget de 65 000 euros cofinancé, entre autres par la fondation Somfy – les Petites Pierres et Demathieu Bard initiative, filiale d’un constructeur local, le projet s’intitule « Weco Platz », du nom allemand de la place glané par les Roms au cours de leur passage en Lorraine.
Nous nous concentrons sur les infrastructures communes, que nous réalisons dans le cadre de chantiers participatifs pour ajouter au projet une dimension de formation.
Damien Beslot, cofondateur du collectif Quatorze et enseignant en écoconstruction à l’université Pierre et Marie Curie-Sorbonne
A Metz, une douzaine de résidents du bidonville participent durant quelques jours à des ateliers de charpente et de menuiserie. Souvent ouvriers agricoles ou forestiers dans leurs pays d’origine, ils font preuve d’une maîtrise hors pair de la tronçonneuse.
La phase des plans et maquettes permet aux Roms de s’approprier les futurs équipements et au collectif, de mieux percevoir les affinités sur laquelle s’appuieront la construction et l’entretien des équipements. Quatre groupes engagent la construction d’autant de douches et de toilettes. Une cuisine collective divisée en quatre parties est équipée d’un poêle à bois permettant de chauffer l’eau des douches – sous réserve de disposer d’assez de combustible. Autour de la cuisine, une galerie extérieure ventilée sert de sèche-linge. Un électricien a mis en place des toitures photovoltaïques alimentant un petit réseau pour recharger les téléphones portables et assurer un éclairage minimal dans les baraques. Un deuxième réseau enterré et sécurisé devait permettre d’assurer une alimentation à 220 volts. Mais les cabanes ont été agrandies, déplacées ou détruites, rendant le système inopérant, voire dangereux.
Mieux installés, les Roms peuvent se consacrer d’avantage à l’apprentissage du français et à la recherche d’emploi.
Nous avons pris à contre-pied l’aide sociale classique qui définit des moules en espérant que les gens s’y conformeront. Nous sommes partis du bidonville pour créer les conditions de l’intégration.
Véronique Etienne, directrice de l’agence Grand Est de la fondation Abbé Pierre
Conclue pour une durée de trois ans, la MOUS accompagnement-relogement acte un financement à parts égales entre la Ville, la fondation Abbé Pierre et l’Etat pour un montant global de 150 000 euros. Maître d’oeuvre du projet, l’association lorraine Amitiés Tziganes est chargée de l’accompagnement des familles en matière d’accès au droit, d’éducation, d’alphabétisation, de santé, d’insertion professionnelle et de relogement.
Personnalité reconnue pour son engagement contre les atrocités perpétrées en Syrie, qu’il relate dans un livre récent (1), Raphaël Pitti prône une politique d’intégration définitive des Roms, ressortissants de l’Union européenne qui n’ont pas vocation à retourner dans leur pays d’origine. Choqué par les conditions d’accueil faite aux migrants, il a rendu à Emmanuel Macron son insigne d’officier de la Légion d’honneur. Le bidonville de Metz doit être détruit une fois relogés décemment tous ses habitants, mais l’homme de cœurlui voit une autre vocation.
Mon idée serait de reconstruire de petites habitation en dur d’une ou deux pièces qui permettraient d’héberger temporairement une quinzaine de familles. Il s’agirait de la contribution de Metz à l’insertion de populations en souffrance. Si chaque ville en faisait autant, il n’y aurait plus de bidonville.
Raphaël Pitti
(1) « Va où l’humanité te porte », éditions Taillandier, 2018.
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