Qualifié à son inauguration mi-mai d’emblème de la « nouvelle renaissance lorraine » par Nicolas Sarkozy, le Centre Pompidou-Metz peut commencer par susciter l’éclosion d’une agglomération enfin structurée. Il donne le signal de l’Amphithéâtre, le quartier d’extension de la ville au-delà de sa gare. Ce premier défi en annonce d’autres qui ne trouveront leur réponse qu’à l’échelle intercommunale, en premier lieu la gestion de la restructuration militaire.
Du « chapeau chinois » qui le coiffe désormais, Metz attend beaucoup. Le Centre Pompidou a ouvert le 12 mai dans la capitale lorraine son antenne décentralisée qui accueillera une partie des collections parisiennes et dont la forme dessinée par le tandem Shigeru Ban / Jean de Gastines lui vaut ce surnom. Par le prestige de son contenu, l’objet constitue un formidable booster d’image.
Il n’est pas utopique d’espérer qu’il permette à Metz de reproduire le précédent de Bilbao, autre métropole de vieille tradition industrielle ayant trouvé avec son musée Guggenheim un facteur de décollage au-delà de ses espérances (voir encadré).
D’autres villes attirent à cause de la mer. Eh bien, Pompidou remplacera la mer !
s’exclame, à moitié blagueur seulement Thierry Jean, vice-président au développement économique de la Communauté d’agglomération Metz Métropole (CA2M)
Phare, le Centre Pompidou-Metz entend aussi l’être de l’urbanisation de l’agglomération : ses 11.000 m2 fièrement dressés au sortir de la gare centrale annoncent l’émergence d’un nouveau quartier manifeste de la « mixité verticale » : l’Amphithéâtre, lui-même point nodal d’une série d’extensions urbaines devant faire éclore une agglomération encore embryonnaire. Si tout se passe bien, le nouvel équipement culturel symbolisera l’entrée de Metz dans l’ère TGV, de même que l’Arsenal reconverti par Ricardo Boffil en une très belle salle de concerts a incarné il y a vingt ans la mue du centre-ville marqué par l’architecture militaire.
Depuis une décennie, la salle des Arènes et le parc de Seille rattachent à la ville le no-man’s land qu’était devenu l’ancien amphithéâtre gallo-romain suite à la déshérence de la gare de marchandises. La gestation du nouveau quartier de l’Amphithéâtre a été longue et à rebondissements, au point que le Centre Pompidou qui lui est postérieur de six ans sera sa première réalisation livrée.
Les soubresauts ont d’abord touché la maîtrise d’œuvre. Auteur du premier projet d’aménagement global en 1997, l’allemand KSP Planung a été évincé quelques années plus tard dans un contexte bouleversé par le besoin de reconstruire le palais omnisports Les Arènes victime d’un incendie (concours remporté par Paul Chemetov).
La nouvelle consultation en marché de définition a mis aux prises Bernard Reichen, Paul Chemetov et Nicolas Michelin pour aboutir à la désignation de ce dernier comme rédacteur du schéma directeur en 2002, à un moment où il n’était pas encore question de Pompidou. L’architecte-urbaniste a été chargé d’organiser la partie Ouest de 50 hectares dont 38 opérationnels et 20 d’urbanisation dense.
La partie Est comprend les nouvelles Arènes et le Parc de la Seille, une coulée verte dessinée par Jacques Coulon et Laure Planchais. La maîtrise d’ouvrage de la Zac de l’Amphithéâtre est passée de la Ville à l’agglo (Metz Métropole) en conséquence de la prise en compétence du développement économique, l’aménagement revenant à la locale Saremm.
Mais la principale « originalité » de scénario remonte à 2006 avec la sélection des promoteurs. L’interco alors présidée par Jean-Marie Rausch a choisi de ne pas choisir. Elle a co-désigné les deux équipes en concurrence dans le dernier tour, aboutissant au total impressionnant de sept lauréats : ING RED et Apsys pour les commerces, Lazard et Foncière des Régions – dont Metz constitue le siège- pour les bureaux, Nexity, Eiffage (qui s’est retiré depuis) et Batigère autre poids lourd d’origine locale pour les logements.
Obligés de s’associer, ces opérateurs ont de plus dû gérer les contraintes de la mixité verticale chère à Nicolas Michelin. Son auteur se défend d’avoir conçu une usine à gaz.
C’est compliqué, mais nullement impossible à réaliser, dès lors qu on ne s’obstine pas à créer des cages d’escalier distinctes partout. Pour une raison qui m’échappe, il semble qu’il ne faille pas mélanger les flux des actifs et des résidents.
Nicolas Michelin
Toujours est-il que les promoteurs ont bloqué dans le montage opérationnel, que la crise s’est rajoutée…et que le risque d’un flop commençait à poindre. La nouvelle équipe d’élus de gauche qui a détrôné Jean-Marie Rausch en 2008 a joué le pragmatisme.
Nous avons rendu les projets plus autonomes les uns des autres en laissant les promoteurs gérer la mixité dans leurs îlots respectifs.
Richard Lioger, premier adjoint au maire et vice-président urbanisme de Metz Métropole
Le redécoupage s’est opéré en trois parties. Le vaste projet commercial d’Apsys et ING qui devait lancer le programme est repoussé dans sa dernière phase (îlot B3/C3) il demeurera le socle commun d’un ensemble d’immeubles aux entrées distinctes selon leur fonction : bureaux, logements et désormais résidences-services.
L’îlot B2 revient à une configuration plus classique de commerces en rez-de-chaussée, d’immeubles tertiaires et d’habitat. Et le programme démarre par un îlot A 2, le plus proche de la gare, confié à un nouvel entrant dans le jeu, Nacarat.
La filiale de Rabot-Dutilleul reprend à ING cette halle de 180 mètres de long dans laquelle il installe notamment un hôtel 3 étoiles. Livraison prévue en 2011, le B2 devant suivre un an plus tard puis le troisième îlot en 2014.
Avec une bonne moitié d’immeubles à triple fonction commerces-bureaux-logements et la mutualisation maintenue à l’échelle des îlots, l’essentiel du concept a été préservé.
Nicolas Michelin
De plus, la composition globale du programme n’est pas bouleversée par rapport à sa mouture initiale. La Zac de 169 millions d’euros (dont 78 millions de cession de droits à construire) demeure à 262.000 m2 de Shon, dont 33.000 m2 d’équipements publics, 47.000 m2 de commerces, 56.000 de bureaux et 126.000 d’habitat représentant un potentiel de 1.000 à 1.500 logements.
Les commerces imposent naturellement un défi au centre-ville doté d’une offre de 56.000 m2, tout en ouvrant l’opportunité d’un retour dans la ville du chaland attiré par la puissante zone périphérique d’Actisud.
L’offre nouvelle de bureaux est vécue positivement par BNP Paribas Real Estate et Trimco (réseau CBRE), qui pointaient l’absence de nouveau programme neuf significatif à adresse « centre-ville » depuis dix ans. Le marché messin, caractérisé par son absence d’emballement, est parfaitement en mesure de gérer ces surfaces supplémentaires lissées dans le temps, au regard de ses 30.000 m2 de transactions annuelles, estiment les deux commercialisateurs.
S’il a accouché dans des conditions compliquées, le bébé sera très beau, à n’en pas douter. Nicolas Michelin l’a organisé dans le souci de « raccorder au quartier varié du Sablon (à l’ouest), à Queuleu (à l’est) et d’en former un prolongement du centre-ville » par la rue courbe partant de la place Saint-Louis, avec le bémol de son franchissement compliqué par le piéton. Une passerelle en acier tressé permettra dès l’an prochain aux cyclistes et piétons de franchir la Seille entre le quartier de l’Apmhithéâtre et celui de Queuleu.
La signalétique urbaine va faire l’objet d’une refonte globale sous la houlette d’une pointure européenne en la matière, Rudy Bohr.
Second pôle des équipements publics, la Cité des Congrès est attendu dans quelques années comme « l’outil de valorisation directe » de la ville, par son voisinage immédiat de Pompidou, selon Thierry Jean.
L’étude de dimensionnement par le cabinet Second Axe confirme à 1.200 la capacité de la grande salle. Une autre étude juridico-financière doit démarrer pour déterminer le montage le plus adéquat (PPP ? DSP ? AMO ? Sem ? ) et ce n’est qu’après avoir choisi l’exploitant que l’architecte sera recherché.
Mais les projets urbains ne se résument pas à la sortie de la gare TGV. Les chantiers hospitaliers, celui du Transport commun en site propre (voir encadré) et d’autres s’ajoutent à l’Amphithéâtre pour porter à 1 milliard d’euros le cumul des investissements publics et privés sur la période 2008-18. L’Est de l’agglomération s’affirme comme espace de dynamique.
L’ouverture de la rocade a libéré son potentiel.
Valérie Schwarz, dg de l’agence de développement économique Metz Métropole Développement
Michel Lévy, le dirigeant de Trimco, confirme.
La première opportunité résulte du déménagement en 2012 du Centre hospitalier régional sur l’ancien site militaire de Mercy, un équipement de 260 millions d’euros signé Aart-Farah et confié à Pertuy Construction (groupe Bouygues) en conception-réalisation.
Cette relocalisation donne l’occasion de développer un pôle médical-santé en lien avec le nouveau CHR, d’autant plus que celui-ci sera le terminus du TSCP dont l’autre extrémité est formée par le pôle universitaire de l’île du Saulcy également riche de compétences médicales.
Jacques Metro, directeur du développement et de l’aménagement durable à Metz Métropole
La Zac en cours d’aménagement sous maîtrise d’oeuvre d’Egis Aménagement associé à Atelier Villes & Paysage ajoute un espace commercialisable de 43 ha aux 15 ha du nouvel hôpital et de sa maternité.
A côté, le Technopôle engage son extension. Il forme l’une des belles réussites économiques de la région, fort de 250 entreprises et 4.000 salariés ainsi que 4.500 étudiants qui ont rempli ses 180 hectares en un quart de siècle. D’où l’aménagement de 117 ha supplémentaires (soit 580.000 m2 de Shon potentiels) dont 60 à la suite de la création d’une première Zac fin mars.
Dans l’équipe dont Chaix & Morel est mandataire, le cabinet TVK (Trevelo & Viger-Kohler) est chargé de tirer parti des atouts naturels pour accentuer une image de développement durable qui n’est de loin pas absente de sa première phase.
Son travail structure l’extension autour d’un parc trait d’union, en bordure duquel s’organisera l’urbanisation par îlots.
Jacques Metro
Au Nord-Est cette fois-ci, un autre chantier hospitalier donne l’occasion d’une recomposition territoriale, celui du regroupement à Lauvallières du pôle privé aujourd’hui disséminé dans le centre-ville. Conçu par le spécialiste du genre AIA (Architectes Ingénieurs Associés), il sera effectif fin 2012.
Le centre-ville, pour sa part, recèle quelques dossiers qui perpétuent l’esprit d’écologie urbaine dont Metz a été une pionnière française dès les années 1970. L’écoquartier local se prépare aux Coteaux de Seille. Ce site voisin de l’Amphithéâtre et entouré d’éléments naturels (rivière Seille, parc, zone de loisirs) est appelé à accueillir 4.000 habitants dans 1.600 logements de basse consommation dans une optique de diversité architecturale et de mixité sociale.
Quant à la Place de la République, sa métamorphose achevée à la fin de cet été montre sa nouvelle adaptation au temps présent : symbole de l’appropriation des centres-villes par la voiture, elle la chasse à présent, du moins de sa surface pour l’enfouir dans un parking souterrain qui maintiendra inchangée la capacité de stationnement (2.100 places). L’espace visible sera bien plus esthétique qu’auparavant. La requalification dont Richez conduit l’équipe de maîtrise d’œuvre a combiné minéral et vert non loin des bords la Moselle valorisés de longue date.
La matière ne manque pas pour donner corps à l’agglomération. Mais celle-ci « cherche encore son ADN », reconnaît Henri Hasser, vice-président de la CA2M en charge du projet d’agglomération. Pour le trouver, l’élu compte lui aussi sur Pompidou:
Il peut ajoutant la dimension culturelle à notre tradition multiséculaire de ville d’échanges.
Henri Hasser
La crainte d’hégémonie d’un « Grand Metz » a longtemps inhibé les initiatives intercommunales. La communauté d’agglomération est toute jeune : sa création remonte à janvier 2002 avec 10 communes. Le périmètre s’est depuis élargi à 40, dont seulement deux, hors la ville-centre, dépassent les 10.000 habitants.
Conséquence de ce calendrier, les documents-cadres d’une démarche d’agglo, hormis le PDU, en sont encore au stade de la gestation. Pour le Scot de 370.000 habitants qui associe la comm d’agglo à 10 communautés de communes, « 2010 posera le socle du projet », rappelle Sylvie Chabot, dg de l’agence d’urbanisme, l’Aguram.
Après le diagnostic rendu en avril, les ateliers prospectifs se constituent en vue de rédiger le PADD, étape vers l’approbation espérée en 2013.
Le Scot ne constitue que l’un des 5 espaces de coopération identifiés par l’Aguram, signe que Metz continue à chercher les périmètres pertinents de dialogue avec ses voisines et le degré de coopération qui doit leur correspondre. La discussion n’est pas neuve : le « Sillon lorrain », cette quasi-conurbation qui relie Thionvile, Metz, Nancy et Epinal sur un axe nord-sud traversant toute la région, alimente la réflexion depuis des décennies.
A la méfiance réciproque succède un climat plus favorable depuis les renouvellements municipaux de 2008. Le scénario plus récent qui se dessine, mais pas forcément le définitif, semble dessiner trois espaces de référence.
Vers le nord, un tandem Metz-Thionville, appelé de ses vœux par le nouveau maire Dominique Gros, qui atteindrait 600.000 habitants à condition d’y intégrer les 14 EPCI de l’espace intermédiaire, et dépasserait ainsi le seuil de 450.000 qui peut en faire le tremplin vers une Communauté urbaine.
Vers le nord et le sud, la redynamisation du « Sillon Lorrain » associant Nancy pour un territoire de plus d’1 million visible à l’échelle internationale et légitime à traiter les thématiques métropolitaines par excellence de la santé, des infrastructures, des TIC…
Enfin, dans un esprit comparable, un espace transfrontalier raccordé au minimum au prospère Luxembourg, dont les points d’appui potentiels sont nombreux : le réseau de villes Quattropole (Metz-Sarrebruck, Trèves, Luxembourg) et Lela+ (Longwy, Esch-sur-Alzette, Luxembourg et Arlon, rejoints par Metz et Thionville), l’agglomération transfrontalière de fait qui se dessine autour de la ville nouvelle luxembourgeoise de Belval. Une mission de préfiguration de l’Opération d’intérêt nationale OIN sur cet espace frontalier rendra ses premières conclusions en septembre prochain.
Paradoxalement, mieux valait ne pas se précipiter pour rattraper le retard. Car un événement qualifié selon les uns ou les autres de « choc », de « séisme », vient remettre à plat le projet d’agglomération : la restructuration de l’Armée signifiera pour Metz la perte dans les cinq ans de 5.000 emplois militaires et civils, pouvant causer une hémorragie de population de 12.000 habitants dans une agglomération à laquelle l’INSEE prédit déjà une décrue de 3 % d’ici à quinze ans.
La libération consécutive de plus de 700 hectares est plus un problème qu’un bienfait.
Ces surfaces viennent s’ajouter à des libérations de foncier déjà programmées (friche Altadis, les hôpitaux…) et elles sont tout sauf faciles à reconvertir. Il a fallu 35 ans pour transformer la caserne du boulevard de Trèves (en un complexe mixte de 7.000 m2 à dominante commerciale, Ndlr).
Michel Lévy
L’habitat n’a pas un besoin impérieux de nouvelles surfaces : suffiraient déjà à satisfaire ses besoins à l’horizon 2025 les 948 hectares de réserves foncières qui lui sont vouées selon l’ Observatoire du logement de l’Aguram rédigé avant l’annonce des restructurations. Or dans une première estimation, l’AU avance à au moins 460 hectares les nouvelles friches militaires qui pourraient être dédiées à l’habitat. Et de façon générale, l’heure, à Metz aussi, est à la densification plutôt qu’à l’étalement urbain qui a consommé 120 hectares de terres agricoles par an durant les années 1990.
Parmi le foncier d’origine militaire qu’il faudra traiter, dominent les 70 ha intra muros du 2ème Génie, et un mastodonte à une dizaine de kilomètres au sud : les 385 ha de la base aérienne de Frescaty. Un terrain compliqué de par sa taille, sa configuration (sa piste centrale le coupe en deux de ses 11 ha de béton lourd) et sa localisation, au début de l’ « Espace central » entre Metz et Nancy que plus grand’monde n’espère remplir après des décennies de tentatives infructueuses, malgré l’implantation de l’aéroport régional puis de la gare TGV Lorraine.
Pour prendre date, l’agglomération a soumis cette base à la labellisation EcoCités du Grenelle, qu’elle a obtenu en novembre dernier. Mais avec la pleine conscience qu’elle est encore loin de justifier l’appellation écoquartier en raison de ses caractéristiques et de l’absence de desserte en transports en commun. Quant à son contenu, il reste à la page blanche pour l’instant.
Pour le définir, il nous faudrait un Etat qui sache ce qu’il veut. A Frescaty comme sur l’ensemble des sites militaires qui vont disparaître. Nous attendons de lui une cartographie précise du cessible, du non-cessible.
Henri Hasser, également président de l’Aguram
Le début de réponse se trouvera peut-être dans le « Contrat de redynamisation du site Défense » que l’Etat concocte.
Au moins tout ceci nous oblige, de notre côté, à œuvrer à un développement cohérent de l’agglo. Qui peut se faire en retrouvant notre savoir-faire anticipateur dans l’écologie urbaine.
Henri Hasser
Toujours cette quête d’ADN…
Avec l’aimable autorisation de Christian Robischon
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