Guetté par la congestion, le Grand-Duché consacre deux milliards d’euros à ses infrastructures. Epicentre de la croissance économique, Luxembourg-ville met le cap sur les transports publics et les liaisons douces pour tenter d’absorber des flux en constante progression.
Le 10 décembre prochain constituera un jour mémorable pour le Grand-Duché du Luxembourg. Cette date marquera la mise en service en service du premier tronçon du tram de Luxembourg-ville, l’ouverture des deux nouvelles gares ferroviaires Pfaffenthal et de Hohwald et l’entrée en fonction d’un funiculaire qui reliera la gare de Pfaffenthal à l’arrêt de tram Kirchberg-Pfaffenthal. Cette reconfiguration spectaculaire fera gagner 25 minutes aux frontaliers – majoritairement lorrains – qui viennent quotidiennement travailler sur le plateau du Kirchberg, haut lieu des banques et des institutions européennes. Elle résorbera également l’engorgement calamiteux de la gare centrale de Luxembourg-ville, principal point d’accès ferroviaire à la capitale grand-ducale. La mise en service du tram entre le Pont Rouge et Luxexpo permettra en outre de limiter les bouchons de bus qui bloquent la ville aux heures de pointe.
Cette triple inauguration marque un temps fort de la Stratégie pour la mobilité durable (Modu) approuvé par le conseil de gouvernement en février 2012. Le projet mobilisera 2 milliards d’euros en dix ans – dont les deux tiers sont déjà consommés – pour réduire la dépendance du Grand-Duché à l’automobile, relancer les transports en commun et développer la marche et le vélo.
Le Modu constitue un document fondateur dont l’objectif n’est pas d’arrêter une liste définitive de projets, mais d’ancrer les principes de mobilité générale de l’Etat et de Luxembourg-ville. Il fait du train la colonne vertébrale des déplacements et propose une offre de transports publics de qualité au fil de la mise en service des nouvelles infrastructures.
Guy Besch, chargé de direction Planification Mobilité auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures (MDDI)
Durant trois décennies, le Grand-Duché a engrangé les bénéfices de sa reconversion dans la finance et le secteur tertiaire sans guère se soucier de l’incidence de sa croissance insolente (+ 4 % prévus cette année) sur son accessibilité, son développement intérieur et sa qualité de vie. Le pays, désormais classé au premier rang mondial pour son PIB par habitant, a tardivement pris conscience du risque de thrombose. Le pays de 583 000 habitants voit converger chaque jour 176 000 travailleurs frontaliers dont 90 000 Français, 43 000 Allemands et 43 000 Belges, et les projections – jusqu’ici toujours avérées – prévoient le doublement des frontaliers français à l’horizon 2035. Mais l’Etat risque fort de se trouver confronté à l’impossibilité technique d’acheminer cette main d’œuvre étrangère vitale.
Accélérée par l’arrivée au pouvoir, fin 2013, d’une coalition entre le Parti démocratique, le Parti ouvrier socialiste luxembourgeois et Les Verts, cette prise de conscience s’est traduite par un plan d’action pragmatique. Depuis quatre ans, la mobilité se met en place à la manière d’un puzzle dont les pièces principales seraient posées simultanément aux points stratégiques du pays. Aux frontières, le MDDI a déployé un réseau de Park & Ride, vastes parcs relais le plus souvent gratuits connectés aux bus, aux haltes ferroviaires ou aux pistes cyclables. Leur capacité doit passer de 13 000 à 30 000 places au cours des cinq prochaines années. Sous maîtrise d’ouvrage des CFL, la société nationale des chemins de fer, le réseau ferré fait l’objet d’une dizaine de réaménagements majeurs – création d’un nouveau viaduc, doublement des voies à vocation transfrontalières, transformation de la gare centrale de Luxembourg… – pour passer d’une desserte monocentrique polarisée par Luxembourg-ville à une desserte polycentrique reposant sur 11 pôles d’échange disséminés entre la capitale et sa périphérie.
Société anonyme détenue aux deux tiers par l’Etat et pour un tiers, par la Ville de Luxembourg, Luxtram assure pour sa part la conception, la réalisation et l’exploitation de du tramway qui traversera la ville sur un parcours de 16 kilomètres jalonné de 24 stations. Multimodal, le tracé prévoit à chaque arrêt des connexions avec des bornes d’accès à des véhicules électriques ou des MBox, parkings à vélos gratuits et sécurisés. Les bus qui desservaient naguère les grands axes se rabattent progressivement vers des liaisons tangentielles en étoile. Avant même la livraison de la première tranche, François Bausch, ex-cheminot devenu ministre du Développement durable et des infrastructures, pose les jalons d’une extension de la ligne de tram au-delà de 2022.
Ces investissements colossaux – le tram mobilise à lui seul 565 millions d’euros – doivent permettre d’effectuer un quart des déplacements sans voiture d’ici à 2021. Ce « modal split » paraît relever de la gageure : Luxembourg-ville, qui compte 115 000 habitants, concentre chaque jour 1,66 million de déplacements motorisés. Au pays des grosses berlines, 97 % des sujets du Grand-Duc Henri de Luxembourg possèdent une voiture. L’objectif d’un modal split 75/25 figurait déjà dans les objectifs du concept de mobilité intégré « mobil 2020 » présenté en… 2007. Force est de constater que la répartition des modes de transports n’a guère changé depuis, avec 78 % de déplacements motorisés contre 12 % de transports en commun. Le petit Etat détenait en 2010 le record européen des déplacements au volant, ses habitants parcourant en voiture 60 % des déplacements de moins d’un kilomètre.
La municipalité de Luxembourg ne désespère pourtant pas de voir cette tendance s’inverser. En novembre 2016, elle a présenté les résultats d’une enquête Movilux réalisée par enquête TNS Ilres menée auprès de 2 233 résidents, 372 frontaliers et 655 enfants de 3 à 15 ans. La voiture demeure de très loin le premier moyen de transport pour se rendre au travail, mais l’enquête pointe l’émergence de la pratique du vélo, qui assure désormais 4 à 5 % des déplacements.
Ce chiffre est d’autant plus intéressant que la pratique du vélo était inexistante voici 15 ans. Les actions menées depuis 2006 ont démontré une corrélation très nette entre le développement des infrastructures et la pratique du vélo. Au cours des trois dernières années, le chantier du tram a quelque peu ralenti le déploiement des pistes cyclables, mais nous nous apprêtons à mettre en nouveaux axes dédiés.
Sam Tanson, première échevine de la ville de Luxembourg en charge de la mobilité
L’ascenseur de Pfaffenthal, mis en service en été 2016 pour descendre et remonter confortablement les 60 mètres de dénivelé entre la ville haute et le pied de la colline, débouche sur une station de location de vélos qui a déjà généré 450 000 déplacements.
Transports en commun et liaisons douces progressent à Luxembourg-ville, mais restent limités en proche banlieue. L’organisation de planification intercommunale Dici, qui regroupe quatre communes situées au sud-ouest de Luxembourg-ville, a confié au bureau d’études en mobilité néerlandais Ligtermoet & Partners/Timenco une analyse de la « cyclabilité » des 2 360 kilomètres qui composent le réseau routier du territoire. Les associations de cyclistes sont mises à contribution pour tester le parcours actuel d’une quarantaine de kilomètres et classer les tronçons en fonction de leur accessibilité. A terme, les interconnexions entre pistes cyclables et transports en commun doivent inciter les habitants de la petite couronne à venir travailler en vélo. La municipalité de Luxembourg se propose de reconduire son étude mobilité tous les deux ans pour mesurer les progrès accomplis.
La mobilité ne repose pas uniquement sur les infrastructures. L’engorgement de Luxembourg-ville tient non seulement au flux toujours croissant de travailleurs venus de l’extérieur, mais aussi à une structure urbaine complexe. Construite sur plusieurs niveaux à cheval sur deux vallées, la capitale grand-ducale s’est étendue au nord-ouest dans les années 60 en édifiant le plateau du Kirchberg, relié au centre-ville par le Pont Rouge et naguère exclusivement dédié aux activités tertiaires. Le quartier s’est peu à peu résidentialisé et compte aujourd’hui 5 500 habitants pour… 38 500 salariés. Les zones d’activité se sont multipliées, notamment au sud dans le quartier de Gasperich. Cette fois, les urbanistes ont tenté d’intégrer simultanément zones résidentielles, parcs industriels et bureaux, mais le manque de logements reste patent sur l’ensemble de la capitale.
Nous passons progressivement des zones mono-usage aux quartiers mixtes. La meilleure manière de limiter les déplacements consiste à travailler et à habiter en ville, mais les logements sont rares et leurs prix deviennent inaccessible.
Sonja Gengler, directrice à la Direction Architecte de la Ville de Luxembourg
La ville présentera en fin d’année un nouveau Plan d’aménagement général intégrant au mieux le concept de quartiers mixtes. Mais la rareté de l’offre, couplée à une spéculation très active, a fait monter le prix du mètre carré neuf habitable jusqu’à 9 000 euros ! Des initiatives publiques audacieuses, mais limitées, tentent de limiter cette envolée. Le service urbanisme a ainsi lancé en 2011 le concours international « Vivre sans voiture » sur le quartier du Limpertsberg, sur un terrain de 70 ares proposés sous forme de bail emphytéotique. Tracol immobilier SA porte l’investissement de 12 millions d’euros pour bâtir une cinquantaine de logements passifs à des prix relativement modérés (4 000 euros/m2). Réservé aux habitants sans voiture, le quartier, par ailleurs bien desservi et offrant toutes les commodités, ne comporte ni garages, ni places de stationnement. Les logements entrés en chantier au printemps ont déjà tous trouvé preneur. La Ville a également ouvert cet été les premiers ateliers d’habitat participatif – un concept jusqu’alors inconnu au Grand-Duché. Les deux premiers terrains ouverts à l’expérimentation permettraient d’accueillir une quinzaine de logements, soit une goutte d’eau participative dans un océan de besoins.
Trois questions à
Henning Nieboer, cogérant du bureau d’études en urbanisme et en aménagement du territoire Zilmplan
La mise en service du tram vous paraît-il de nature à améliorer la mobilité à Luxembourg ?
Le tram constituerait une bonne solution s’il existait un réseau. Or, il ne propose qu’un axe central jalonné de pôles d’échanges. Cette solution crée un autre problème : il oblige l’utilisateur à changer plusieurs fois de mode de transport. En théorie, c’est possible, mais dans les faits, les voyageurs ne veulent pas changer de mode de déplacement plus d’une fois. Si on leur impose deux ou trois ruptures de charge, ils préféreront la voiture. Je note par ailleurs certaines erreurs stratégiques. Ainsi, le funiculaire reliant la gare de Pfaffenthal à l’arrêt de tram Kirchberg fera gagner une trentaine de minutes aux travailleurs arrivant au nord, mais même pas cinq minutes à ceux qui viendront du sud. Il aurait mieux valu construire une gare dans la vallée et acheminer les voyageurs par un système de tapis roulants.
Le Modu répond-t-il aux besoins de dessertes transfrontalières ?
Pas vraiment. Les frontaliers français habitent souvent en dehors des villes. S’ils doivent prendre la voiture pour aller à la gare, puis descendre du train pour prendre le tram, puis monter à bord d’un bus, la solution de la voiture reste souvent plus rapide, en dépit des bouchons. Leur niveau de rémunération leur permet de financer ces trajets, d’autant que des milliers d’employeurs luxembourgeois mettent à la disposition des frontaliers des voitures de fonction. De plus, le tissu urbain a changé : les lieux de travail ne se concentrent plus uniquement sur la ville haute et sur le plateau du Kirchberg. Les bureaux se disséminent aujourd’hui dans toute la ville et dans la périphérie, où les tarifs sont moins élevés – et ou tous les bâtiments tertiaires proposent des places de parking.
Quelle alternative auriez-vous proposée ?
Il faut mettre en place un plan ou modèle dynamique sur base du concept intégré des transports et du développement spatial pour le Luxembourg (Integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept, 2003) qui prend en compte le développement dynamique du Grand-Duché et montre le besoin d’alternatives en transport public. Il faut réaliser un vrai réseau de tram train sur 40 kilomètres et de créer des zones d’activité plus mixtes de travail et d’habitat. Il manque aujourd’hui un modèle qui prendrait en compte tous les éléments. La vision actuelle répondra peut-être aux besoins jusqu’en 2030, mais certainement pas à ceux de 2050.
Propos recueillis par Pascale Braun
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