Le grand-duché emploie plus de 70 000 travailleurs lorrains. Soit dix fois plus qu’il y a vingt ans. Rattrapé par la crise, le petit Etat voit poindre chômage partiel et plans sociaux. Mais ses grands projets ne sont pas remis en cause.
C’est l’un des plus importants projets urbanistiques d’Europe ! Le grand-duché du Luxembourg a décidé, fin 2008, d’investir 1 milliard d’euros durant quinze ans pour doter d’une université la ville nouvelle de Belval, située à la frontière française. Belval est emblématique du dynamisme et des ambitions grand-ducales. Les anciennes friches sidérurgiques d’Arbed occupent 637 hectares, dont plus de 500 du côté luxembourgeois. Elles se répartissent sur une dizaine de sites, dont le plus grand, celui de Belval-Ouest, accueillera d’ici à une dizaine d’années 7 000 étudiants et 20 000 emplois répartis dans 1,3 million de mètres carrés de bureaux.
La crise n’a différé aucun projet public ou privé. Nous ouvrirons un programme de 200 millions d’euros au cours des trois à quatre prochaines années.
Robert Kocian, le directeur commercial d'Agora, la filiale de l'Etat luxembourgeois et d'ArcelorMittal en charge de l'aménagement de Belval
Belval-Ouest mobilise d’ores et déjà un investissement de 180 millions d’euros porté par une société commune réunissant le promoteur Multiplan et le néerlandais Bouwfonds. Au printemps prochain, les 350 premiers résidents constitueront les pionniers d’une ville nouvelle de grande qualité urbanistique qui comptera à l’horizon 2020 quelque 5 000 habitants.
La reconversion des friches sidérurgiques prépare la diversification de l’économie luxembourgeoise. Après plusieurs années d’études, le grand-duché a décidé, au début des années 2000, de faire de Belval-Ouest la « priorité des priorités ». Avec un projet phare : une Cité des sciences, de la recherche et de l’innovation. Créations et transferts d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, implantations d’administrations, ouverture d’un Centre national de la culture industrielle autour des deux hauts-fourneaux de l’ancienne usine d’Esch-Belval : Belval-Ouest contribuera à rendre moins dépendante de la finance l’économie du grand-duché.
La Lorraine, qui a longtemps ignoré le projet grand-ducal en gestation à ses portes, place aujourd’hui de grands espoirs dans Belval. D’après les projections du réseau de villes frontalières Lela + (Luxembourg, Esch-Belval, Longwy et Arlon, auxquelles se sont ajoutées Thionville et Metz), le sud du Luxembourg drainera dans dix ans 48 000 frontaliers lorrains en provenance des agglomérations de Longwy et de Thionville. A ce même horizon 2020, tout le pays pourrait accueillir 210 000 frontaliers, dont près de la moitié de franco-belges. Avec 71 981 personnes y travaillant, le nord de la Lorraine est déjà largement tributaire de la croissance du Luxembourg.
Faciliter la mobilité des frontaliers
Cette hausse des flux et la multiplication des sites à desservir ont conduit la région Lorraine, l’Etat français et le ministère luxembourgeois des Transports à lancer un programme d’actions pour faciliter les déplacements des frontaliers. Dévoilé début janvier, le Smot, le nouveau schéma de mobilité transfrontalière, prévoit, dès 2009, un abonnement tout public afin de simplifier les démarches des usagers des TER. Suivront l’intégration des deux billettiques de part et d’autre de la frontière, le lancement de fréquences et de lignes ferroviaires, l’acquisition de rames, la construction de gares (Belval-Université ouvrira à l’été 2010) et de parkings, etc.
La croissance de l’économie luxembourgeoise, qui caracolait à 7 % en 2007, est descendue à 3 % fin 2008 et pourrait être nulle en 2009. Du jamais vu depuis un quart de siècle !
Nous n’échapperons pas à la crise. Pour la première fois, le chômage des résidents atteint 5 % et 7 000 personnes sont touchées par le chômage partiel.
Christian Walter, le responsable de la communication du syndicat chrétien LCGB
L’équipementier Goodyear, le chimiste américain DuPont, les sous-traitants et transporteurs d’ArcelorMittal sollicitent des mesures de chômage partiel. D’aucuns craignent que les intérimaires lorrains ne soient les premiers à faire les frais du ralentissement économique.
Le Luxembourg n’en reste pas moins le marché du travail le plus dynamique d’Europe. Les prévisions de l’institut grand-ducal de statistiques Statec tablent sur une progression de 2,5 % du travail frontalier d’ici à 2010 en dépit de la crise.
Le Luxembourg se caractérise par une grande réactivité. Les décisions se concrétisent rapidement et la faible dette publique confère au pays des marges de manoeuvre.
Arthur Tibesar, chargé d'études au centre de ressources et de documentation de l'Eurès, le portail européen sur la mobilité de l'emploi
Conscient d’être trop tributaire des institutions financières et bancaires, le Luxembourg a amorcé un recentrage. Le gouvernement a engagé l’an dernier un investissement de 140 millions d’euros pour développer un pôle de compétences en médecine moléculaire. Le projet, qui associe deux centres de recherche américains, les centres de recherche luxembourgeois Henri Tudor et Gabriel Lip- mann et l’université, vise à créer une « biobanque ». Cette base d’échantillons biologiques collectés à des fins d’analyse doit faire progresser le diagnostic moléculaire. Elle doit contribuer à donner au Luxembourg une image moins liée à la finance et à ses éventuelles déconvenues.
Le Luxembourg, bastion persistant de l’emploi lorrain
Employant plus de 70 000 travailleurs frontaliers, le Grand Duché fait figure d’Eldorado de proximité pour l’emploi lorrain. Rattrapé par la crise, le petit Etat voit poindre chômage partiel et plans sociaux. Mais ses grands projets ne sont pas remis en cause.
Les lois de financement votées fin 2008 le confirment : le Grand Duché du Luxembourg investira bien bel et bien 1 milliard d’euros sur 15 ans pour doter le pays d’une université articulée autour de cinq centres de recherche à Belval, la ville nouvelle en cours d’édification à la frontière française. Emblématiques du dynamisme et des ambitions grand-ducales, les anciennes friches sidérurgiques de l’Arbed accueilleront d’ici une dizaine d’années 7 000 étudiants et 20 000 emplois répartis sur 1,3 million de m2 de bureaux.
Depuis septembre dernier, la crise n’a différé aucun projet public ou privé. A la prochaine édition du Mipim en mars prochain, ouvrirons un programme de 200 millions d’euros au cours des trois à quatre prochaines années.
Robert Kocian, directeur commercial d’Agora, filiale de l’Etat luxembourgeois et d’ArcelorMittal en charge de l’aménagement de Belval
Comptant parmi les plus gros projets urbanistiques d’Europe, Belval Ouest mobilise d’ores et déjà un investissement de 180 millions d’euros porté en un joint-venture par le promoteur Multiplan et le néerlandais Bouwfonds. Au printemps prochains, les 350 premiers résidents du quartier constitueront les pionniers d’une ville nouvelle de grande qualité urbanistique qui comptera à l’horizon 2020 quelque 5 000 habitants.
La Lorraine, qui a longtemps ignoré le projet grand-ducal en gestation à ses portes, place aujourd’hui de grands espoirs dans la réalisation de Belval. D’après les projections du réseau de villes frontalières Lela + (Luxembourg Esch-Belval, Longwy et Arlon, auxquelles se sont ajoutées Thionville et Metz), le sud du Luxembourg drainera dans 10 ans 48 000 frontaliers lorrains en provenance des agglomérations de Longwy et de Thionville. A ce même horizon 2020, le Luxembourg tout entier pourrait accueillir 210 000 frontaliers, dont près de la moitié de franco-belges. Avec 71 981 personnes travaillant au Luxembourg fin 2008, le nord de la Lorraine est d’ores et déjà largement tributaire de la croissance luxembourgeoise.
En chiffres
483 000 habitants dont 205 900 étrangers vivent au Luxembourg. Les Portugais sont majoritaires (37 %) contre 13 % de Français, 8 % de Belges, 5,5 % d’Allemands, 2,5 % de Britanniques et 14 % de ressortissants de pays extérieurs à la Communauté européenne.
52 % de l’emploi est lié aux activités financières (immobilier, location, services aux entreprises) et autres activités de service, contre 25 % pour le commerce, 11 pour la construction, 11 % pour l’industrie et moins de 2% pour l’agriculture.
71 981 Lorrains travaillent au Luxembourg, contre 7 000 en 1985.
5 477 demandeurs d’emploi ont bénéficié fin décembre d’une indemnisation complète du chômage, soit une augmentation de 13,7% par rapport au mois de décembre 2007. Le chômage se monte à 4,7% en décembre 2008. Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 17,3 % par rapport à décembre 2007.
1 600 euros, le salaire minimum pour les personnels non qualifiés.
Sources : Le travail frontalier franco-Luxembourgeois”, Cahiers transfrontaliers d’Eurès n°1/2009. Notes de conjoncture du Statec – Comité de conjoncture du ministère de l’Economie et du commerce extérieur.
Aurélien Biscaut, chargé des questions économiques transfrontalières à l’Agape, agence d’urbanisme du nord-lorrain.
« Une agglomération comparable à l’Ile-de-France en terme de richesses »
Voici moins d’un an, l’Agape présentait une étude prospective basée sur une hypothèse de croissance luxembourgeoise de 3 %. Selon ce scénario, le nombre de frontaliers passerait à 300 000 personnes en 2050. La crise actuelle vous semble-t-elle de nature à remettre en cause cette évaluation ?
Pas nécessairement. Le Luxembourg présente une croissance annuelle moyenne de 5 % pour la dernière décennie et de 4 % pour les 50 dernières années. Durant cette période, il y a eu des creux à 0 % et des pointes à 10 %. Si la crise actuelle est bien cyclique, comme l’estiment les experts, elle n’est pas de nature à contrarier cette prospective, qui se calcule nécessairement à long terme. Au cours des dernières années, toutes les hypothèses de croissance ont systématiquement été revues à la hausse. Nous avons donc choisi d’arrêter nos calculs à 2020. Dans une hypothèse de croissance à 4 %, nous obtenons 120 000 créations d’emploi au Luxembourg et 90 000 travailleurs frontaliers supplémentaires.
Vos calculs situent d’ores et déjà l’aire urbaine dite Lela + (Luxembourg, Esch-Belval, Longwy, Arlon et les aires urbaines de Thionville et de Metz) parmi les agglomérations françaises les plus riches en emploi, avec un rayonnement comparable à celui de Lille et de Marseille. S’agit-il d’une réalité pérenne ?
Certainement, mais nous manquons d’indicateurs européens pour pouvoir l’affirmer. Les revenus des frontaliers lorrains représentent environ 2,5 milliards d’euros et jouent un rôle majeur dans l’économie résidentielle lorraine. L’impact du Luxembourg sur la zone frontalière belge est à peu près comparable. Mais nous ne disposons pas des revenus moyens luxembourgeois ni de la bande frontalière allemande, qui sont certainement au moins aussi élevés. Nous estimons que l’impact du Grand Duché fait de l’agglomération transfrontalière une région comparable à l’Ile-de-France en termes de richesses.
Cette réalité ne semble pas très perceptible, vue de Lorraine…
Certes, car si l’impact du Grand Duché conforte les ménages, il assèche en revanche les finances des collectivités lorraines. Non seulement les communes frontalières ont été durement affectées par la crise sidérurgique, mais elles n’ont jamais bénéficié de la taxe professionnelle. Exsangues, elles ne sont pas en mesure de fournir des infrastructures en rapport avec les attentes des travailleurs frontaliers.
Taxes professionnelle
Les communes frontalières osent imaginer une compensation
Le paradoxe ne laisse pas de surprendre : alors même que le Grand Duché verse annuellement 1,6 million d’euros à la commune belge d’Aubange au titre de la compensation de la taxe professionnelle, Longwy, qui pourrait prétendre à la même somme, ne perçoit rien.
Les communes frontalières françaises se jusqu’à présent abstenues de solliciter cette compensation, sans doute de peur de d’altérer la manne du travail frontalier. Mais nous avons réuni l’an dernier des données objectives que nous avons transmises au super-préfet Hubert blanc dans le cadre de sa mission d’accompagnement territorial du Nord-Est.
Catherine Cirette, urbaniste et directrice par intérim de l’Agape
Le principe de la compensation fonctionne déjà entre la France et la Suisse. La convention de reversement signée voici une vingtaine d’années assure chaque année aux communes frontalières françaises un reversement de 120millions d’euros.
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