Le mariage de l’industrie et de l’art a engendré une tradition du luxe méconnue, mais vivace. Les talents épars se regroupent pour briller d’un éclat collectif.
Les vases en cristal monumentaux de Versailles, le canapé du yacht de Steve Jobs et les poêles à frire de Paul Bocuse présentent au moins un point commun – celui d’avoir été fabriqués en Lorraine. La région a conservé de sa riche tradition industrielle un savoir-faire précieux dans les domaines du cristal, de l’orfèvrerie, de l’ébénisterie et des arts de la table.
Aucune autre région ne peut se prévaloir de détenir autant de savoir-faire dans des domaines aussi variés. Le luxe lorrain doit sa survie à des entreprises familiales qui ont lutté durant plusieurs générations pour faire perdurer leurs compétences. Notre ambition consiste à mettre en valeur cette richesse méconnue et à l’imposer sur le plan national et international.
Didier Hildenbrand, qui a relancé l’association Lorraine Terre de Luxe au sein du Pôle lorrain d’ameublement bois (Plab) dont il assure la direction générale
Le Plab, qui regroupe une centaine de PME lorraines initialement spécialisées dans le mobilier, s’est ouvert voici dix ans aux secteurs de la décoration, du luminaire et des accessoires. Pour conforter l’image du luxe lorrain, la structure organise des stands collectifs sur des salons nationaux et internationaux, prospecte les designers et architectes d’intérieur et envisage la création de points de vente collectifs dans les pays émergents et aux Etats-Unis.
L’éclat durable du cristal
Séculaire, l’industrie cristallière reste le meilleur ambassadeur du luxe lorrain. En 2014, à l’occasion de son 250 ème anniversaire, Baccarat a exposé dans sa galerie parisienne 250 chefs d’œuvre tous issus de sa cristallerie meurthe-et-mosellane. Repreneur de la manufacture de Baccarat en 2012, le fonds d’investissement américain Catterton Partners a consacré 10 millions d’euros à la modernisation du site, qui emploie 700 salariés, et fabrique toujours des pièces d’exception. En Moselle, la manufacture royale de Saint-Louis n’a rien perdu de son éclat. Fondée en 1586, la plus ancienne cristallerie d’Europe est devenue l’unique site de production français du groupe Hermes. La manufacture emploie plus de 200 salariés et commercialise via le réseau mondial de boutiques Hermès d’extraordinaires pièces de vaisselle ou de luminaires souvent dorés à l’or fin. Détenue par la Financière Saint-Germain, la cristallerie Daum perpétue depuis plus d’un siècle la tradition de l’Art nouveau. Dix créateurs basés à Nancy réalisent chaque année une vingtaine de collections de pâtes de verre fabriquées à la manufacture de 80 salariés basés à une quarantaine de kilomètres à Vannes-le-Châtel. L’entreprise, qui réalisait en 2014 un chiffre d’affaires de 14 millions d’euros, exporte 70 % de sa production, essentiellement en Russie, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis.
Les grands noms du cristal lorrain – auxquels s’ajoutent la cristallerie de Montbron, en Moselle, et sa voisine alsacienne Lalique, font figure de rescapés d’une industrie cristallière qui employait encore des milliers de salariés au début du siècle dernier. La faïencerie lorraine a quasiment disparu et les Emaux de Longwy, pourtant réputés en France et en Europe, sont en péril.
L’alliance du luxe
Pour convaincre collectivement les grands donneurs d’ordres du luxe contemporain, dix entreprises majoritairement vosgiennes ont fondé l’an dernier l’Alliance des manufactures françaises (voir encadré). Totalisant 500 salariés pour 90 millions d’euros de chiffre d’affaires, cette SAS reflète le dynamisme d’une filière hétérogène, mais unie par une tradition d’excellence. Parmi ses membres figure De Buyer, spécialiste des ustensiles de cuisine haut de gamme depuis 1850. Le groupe luxembourgeois Edify Investment Partner a repris cet été cette entreprise de 140 salariés pour 30 millions d’euros de chiffre d’affaires et compte renforcer l’export, qui représente la moitié de ses débouchés dans 95 pays. Autre actionnaire de l’AMF, la société Collection Pierre Counot-Blandin témoigne de la longue tradition d’ébénisterie du village vosgien de Liffol-le-Grand, qui compte cinq entreprises labellisées Patrimoine vivant pour 2 300 habitants. L’entreprise de 28 salariés pour 1,4 million d’euros de chiffre d’affaires a reconstitué pour la chaîne hôtelière Four Seasons les fauteuils du paquebot Normandie que son fondateur avait créés dans les années 30. Toujours à Liffol-le-Grand, la société Pierre Laval (7,7 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 95 salariés) conjugue les techniques de l’ébénisterie traditionnelle aux métiers connexes du verre et du cristal. Elle compte parmi ses clients le designer Starck, les joailliers Chanel, Dior et Van Cleef & Arpels et le Mobilier national.
Fidèle à la tradition du linge de maison de luxe depuis 182 ans, Garnier-Thiebaut, qui emploie 220 salariés pour 30 millions d’euros de chiffre d’affaires à Gérardmer (Vosges) mise également sur la démarche collective pour capter les tendances du luxe contemporain.
La tradition d’excellence ne suffit pas. Le luxe constitue un secteur exigeant et mouvant, et le collectif a du sens lorsqu’il s’agit de prospecter les designers et les palaces à l’international. L’exemple italien démontre l’utilité de savoir chasser en meute.
Paul de Montclos, président de la société qui fournit la plupart des étoilés du Michelin et réalise 60 % de son chiffre d’affaires à l’export
L’aspiration à l’authenticité s’exprime aussi dans la demande de luxe et la filière lorraine se sent prête à y répondre.
Le chiffre : 217 métiers d’arts sont exercés en Lorraine par 3 500 salariés répartis dans un millier d’ateliers.
Anne Gérard, dirigeante de la société Collection Pierre Counot-Blandin, présidente du Plab et actionnaire de l’Alliance des Manufactures de France (AMF).
« Réaliser une chambre de A à Z »
Sur quelles bases les 10 actionnaires de l’AMF se sont-ils regroupés ?
Ses membres veulent pouvoir répondre collectivement à des demandes auxquelles ils n’auraient pas pu répondre individuellement. Ensemble, nous sommes en mesure de créer une chambre de A à Z, du mobilier jusqu’à la domotique. Cette stratégie a remporté ses premiers succès auprès de chaînes hôtelières : nous prévoyons au moins 600 000 euros de commandes dès la première année.
Comment l’effet de groupe se traduit-il sur le plan industriel ?
La solidarité constitue la base même de l’Alliance. Ainsi, un membre peut de confier une partie de sa commande à un autre partenaire s’il n’est pas en mesure de réaliser un gros volume tout seul. Nous parvenons également à faire venir des donneurs d’ordres en Lorraine pour des visites de sites groupées qui leur permettent de découvrir la richesse et la variété de notre offre.
Pensez-vous pouvoir fédérer le luxe lorrain à une échelle plus large ?
La future grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes nous permettra sans doute de découvrir d’autres entreprises du luxe que nous ne connaissons pas encore et qui enrichiront notre offre. Les industries du luxe de l’Est de la France font des choses formidables qui méritent d’être connues et reconnues.
--Télécharger l'article en PDF --