Ce 28 septembre, la rapporteure publique du tribunal administratif de Nancy a démonté les griefs invoqués par le ministère du Travail pour suspendre, puis muter d’office l’inspecteur du travail marnais Anthony Smith au printemps 2020. Réintégré depuis, le fonctionnaire soutient n’avoir fait « que son travail » en demandant des équipements de protection pour les salariées d’une association d’aide à domicile durant le pic de pandémie. La décision, qui pose la question de l’indépendance de l’inspection du travail face au pouvoir disciplinaire du ministère, sera rendue dans trois semaines.
Après deux ans et demi de patience, Anthony Smith, inspecteur du travail en conflit avec le ministère du Travail, vivra sans doute les trois dernières semaines d’attente le cœur plus léger. Annoncée pour ce 28 septembre, la décision du tribunal administratif, qui doit statuer sur les sanctions prises envers le quadragénaire marnais au printemps 2020, sera rendu fin octobre. Mais les conclusions de la rapporteure publique, qui ont mis en pièce la quasi-totalité des arguments de la partie adverse, laissent présager l’annulation des deux sanctions infligées à Anthony Smith – une suspension a effet immédiat le 15 avril 2020, puis une mutation d’office en Seine-et-Marne le 14 août. En mars 2020, en plein confinement, le fonctionnaire avait saisi le tribunal de Reims pour demander la distribution de masques FFP 1 ou FFP2 aux salariés d’une association rémoise d’aide à domicile. Il a été réintégré à l’automne et a obtenu de revenir dans le Grand Est, mais la sanction n’a jamais été officiellement levée.
Ce conflit dépasse ma personne. Je n’aurais jamais imaginé que l’Etat ait pu vouloir m’enfoncer pour avoir défendu les salariés les plus fragiles. Je ne demande qu’une chose, l’annulation de sanctions infondées.
Anthony Smith, par ailleurs responsable syndical au ministère du Travail et représentant des inspecteurs du travail au sein du Conseil National de l'inspection du Travail
Griefs balayés
La procureure publique a commencé ses conclusions par un examen attentif des pouvoirs de sanction du ministère du travail, et juge la forme respectée. La matérialité et la gravité des faits ont fait l’objet d’une exégèse soigneuse. Le ministère du Travail reproche à son inspecteur d’avoir diffusé le 19 mars un courrier-type reprenant un tract de la CGT pour rappeler aux employeurs et aux salariés, ainsi qu’à ses propres collègues, les prescriptions sanitaires en vigueur, au risque « brouiller la stratégie du ministère du Travail ».
Estimant que cette initiative n’apporté aucune perturbation, la rapporteuse publique dédouane l’inspecteur. Elle récuse également les griefs portant sur la « soustraction volontaire au contrôle » qu’aurait commis Anthony Smith en purgeant certains éléments de sa boîte mail, qui frôlait la saturation. De même, elle estime que l’on ne saurait reprocher à l’inspecteur d’avoir émis le souhait d’assister en visio à des CSE d’entreprises basées en-dehors du département : ces entreprises y avaient toutes au moins un site, et la supérieure hiérarchique d’Anthony Smith elle-même ignorait que certaines d’entre elles n’étaient pas domiciliées dans le département. Le ministère public balaie de même un grief portant sur le refus de l’inspecteur d’assister à un entretien professionnel prévu pour lui transférer en intérim une tâche supplémentaire qu’il ne pouvait assurer.
« Un joli moment »
Reste la question cruciale de d’indépendance de l’inspecteur du travail – actée et consacrée par l’Organisation internationale du travail – et le pouvoir disciplinaire de son ministère de tutelle, sur laquelle aucune juridiction ne s’est encore penchée. Faute de jurisprudence, la juriste nancéienne a cherché des parallèles dans la magistrature, dont certains membres, bien qu’indépendants, ont été sanctionnés pour méconnaissance gravement fautive, abus de droit ou atteinte à la déontologie. Mais elle n’a rien vu de tel dans l’attitude d’Anthony Smith, auquel il était reproché d’avoir saisi le tribunal de Reims contre l’avis de sa hiérarchie pour lui demander de statuer sur la question des masques. Là où sa hiérarchie reproche à l’inspecteur d’avoir « contribué à la rupture du dialogue social », La rapporteure ne voit aucun manque d’obéissance. Elle écarte le caractère fautif de la procédure, qu’elle replace de surcroît dans le contexte hors-norme d’une flambée épidémique. Les sanctions prononcées lui semblent donc devoir être annulées.
A l’issue de telle conclusion, il ne restait plus guère à maître Renaud Pagès, avocat au cabinet Dellien et conseil du plaignant, qu’à évoquer « un dossier monté de toute pièce » et « un procès d’intention » à l’encontre d’un militant CGT actifs. Outre la discrimination, l’avocat s’est étonné de l’inertie de la hiérarchie de la Dirrecte Grand Est face à un employeur pratiquant visiblement un délit d’entrave. Aphone, le représentant du ministère du Travail n’a pu que chuchoter qu’il renvoyait le tribunal à ses observations écrites.
Avant même la fin de l’audience, quelque 150 militants réunis devant le tribunal administratif de Nancy ont applaudi son déroulé. En deux ans et demi de mobilisation, la pétition de soutien à Anthony Smith a recueilli 165.000 signatures, auxquelles s’ajoute un courrier collectif signé par 1.300 inspecteurs du travail. Plusieurs orateurs dont les députées France insoumise Mathilde Panot et Caroline Fiat ont salué « un beau moment » et salué un combat d’intérêt général pour la défense de l’inspection du travail.
--Télécharger l'article en PDF --