Lancée fin janvier 2020, la mission de préfiguration de l’IBA Alzette-Belval contourne les obstacles liés aux confinements à répétition pour faire progresser l’idée d’une exposition architecturale et urbaine au long cours. Les acteurs locaux semblent favorables à une initiative qui ferait avancer d’un cran la coopération transfrontalière franco-luxembourgeoise.
Le 30 janvier 2020 s’est engagée sur l’espace Alzette-Belval, à cheval sur le nord lorrain et le sud du Luxembourg, une mission de préfiguration particulièrement expérimentale. Pour la première fois, l’IBA (Internationale Bau-Ausstellung), un concept allemand de programmation urbanistique au long cours, se proposait d’investiguer un territoire binational. Pilotée par le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) Alzette-Belval, la mission, qui s’achèvera en janvier 2022, a pris un tour plus expérimental encore avec la crise sanitaire. Les explorations sur le terrain ont été limitées et des incertitudes financières nouvelles pèsent sur une initiative qui, si elle est actée, mobilisera au minimum dix personnes pendant une dizaine d’années. Pour autant, l’idée de concentrer la fine fleur des urbanistes et architectes internationaux dans une bande frontalière passée en deux décennies de l’industrie lourde à une effervescence tertiaire continue à séduire.
Friches exceptionnelles
Le projet d’IBA est né de motivations convergentes et d’une volonté partagée d’accélérer la coopération transfrontalière. Dans un contexte d’accroissement de la population, on perçoit une volonté de sortir du cadre de la planification pour passer à une phase d’expérimentation.
Dorothée Habay-Lê, directrice du GECT Alzette-Belval
Côté français, le ministère de la Transition écologique cherchait à prolonger la démarche d’écocité dont la communauté de communes Pays-Haut Val d’Alzette (CCPHVA), inscrite depuis 2009 dans une opération d’intérêt national, était une des pionnières. Le Grand-Duché, qui a vu sa population doubler en quarante ans, envisageait une IBA pour étayer la notion de logement abordable – une question qui préoccupe également le versant français. Le caractère exceptionnel des friches sidérurgiques et minières, qui a valu au sud du Luxembourg la labellisation Unesco « Man & biosphère » en octobre 2020, ouvre de riches perspectives d’aménagement. Enfin, Esch-sur-Alzette et le territoire de la CCPHVA constitueront en 2022 la capitale européenne de la Culture. Placée sous le thème du Remix, Esch2022 consacrera une partie de ses manifestations à la reconversion des territoires.
Structure toute trouvée
L’idée d’une IBA transfrontalière s’est ainsi imposée naturellement, d’autant que le GECT Alzette-Belval est apparu comme structure porteuse toute trouvée. Le comité de pilotage de l’IBA Alzette-Belval réunit quatre financeurs, le ministère de la Transition écologique et la région Grand Est côté français et le ministère de l’Energie et de l’aménagement et celui du Logement côté luxembourgeois. Les deux parties ont abondé à parts quasi-égales un budget de 310.000 euros, qui a permis le recrutement de deux personnes pour une mission de préfiguration prévue sur deux ans. L’Etablissement public d’aménagement du territoire (EPA), l’Université du Luxembourg et de Luca (Luxembourg Center for Architecture) apportent des études et travaux à l’appui de la démarche.
Baukultur
Partir d’une réalité différente de part et d’autre de la frontière constitue en soi une expérience. S’appuyer sur une structure agissant à l’échelle transfrontalière est une véritable innovation.
Daniel Siemsglüβ, responsable de la mission de préfiguration de l'IBA Alzette-Belval
Imprégné de l’esprit de « Baukultur », l’urbaniste allemand se proposait de mettre en œuvre d’entrée de jeu l’un des principes directeurs de l’IBA, qui consiste à impliquer la société civile jusqu’à permettre aux habitants de définir eux-mêmes une partie des projets. Las, le premier confinement a figé deux mois durant promenades et rencontres transfrontalières. Le travail de terrain a repris en mai 2020 pour sonder maires et bourgmestres sur leurs priorités, avant que la crise sanitaire n’impose le retour aux visioconférences. Les thématiques de l’habitat, de l’environnement, des friches et de l’énergie apparaissent comme autant d’éléments fédérateurs, mais la mission se garde bien de les hiérarchiser.
Il faut garder un état d’esprit très ouvert pour offrir au projet de bonnes conditions de départ.
Daniel Siemsglüβ
Le Dogger à découvert
Le périmètre de l’IBA apparaît lui-même un peu flottant, voire abscons. La mission de préfiguration a retenu le thème du Dogger, également connu sous le nom de Jurassique moyen, et s’appuie sur le contour de ses côtes calcaires pour redessiner la frontière franco-luxembourgeoise. Du plateau lorrain qui donne son nom au Pays Haut plateau au pied des côtes luxembourgeoises où le minerai de fer s’exploitait à ciel ouvert, cette couche géologique a créé un corridor écologique sans équivalent en Europe. Peu visible dans le sud du Luxembourg, l’Alzette constitue un cours d’eau symbolique cité dans l’hymne national grand-ducal. A l’ère contemporaine, les pentes boisées et les vallées fluviales urbanisées délimitent un espace englobant plus ou moins précisément Esch-sur-Alzette et le territoire de la CCPHVA, mais aussi d’autres points frontaliers limitrophes tels Dudelange, Volmerange ou Differdange.
Métamorphose
Sous l’impulsion de l’OIN Alzette-Belval côté français et du Fonds Belval côté luxembourgeois, le territoire s’engage depuis le début des années 2000 dans une métamorphose spectaculaire. Les anciens hauts-fourneaux d’Esch-sur-Alzette se sont mués en creusets du savoir technologique et universitaire, tandis qu’un millier de logements neufs s’érigeaient autour des cités ouvrières de l’ancien bassin sidérurgique lorrain. L’avenir du territoire est pourtant loin d’être tracé et les réalisations juxtaposées de part et d’autre d’une frontière invisible manquent encore de liant. L’IBA, qui démontre depuis plus d’un siècle sa capacité de traiter des questions d’aménagement les plus complexes, pourrait disséminer dans l’espace frontalier franco-luxembourgeois les marqueurs d’une identité urbaine commune.
L’IBA représente une chance d’imaginer l’aménagement en partenariat et en mode projet. Son lancement n’est pas encore acté, mais l’idée emporte une forte adhésion de part et d’autre de la frontière.
Hélène Bisaga, responsable développement de l'EPA Alzette-Belval
L’établissement public participe au pilotage de la mission de préfiguration. Parmi les 27 opérations prévues dans le cadre de son projet stratégique et opérationnel, les réalisations programmées au cours des dix prochaines années pourraient constituer un terrain d’expérimentation de choix pour les architectes et urbanistes internationaux. Coté luxembourgeois, Esch2022 a déjà réservé un espace à l’IBA Alzette-Belval, et se propose d’aborder sous un angle artistique et technique la question urgente d’un habitat social, collectif et écologique. L’Université luxembourgeoise, désormais implantée en large part dans le quartier Belval d’Esch-sur-Alzette, accueille une antenne de la mission de préfiguration. Contraintes par la crise sanitaire à plusieurs mois de sur-place, les équipes impliquées espèrent un top départ en fin d’année.
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