Depuis dix ans, des complexes commerciaux s’installent dans d’ex-bastions industriels ou militaires près des frontières avec l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg. La dynamique ne faiblit pas.
L’herbe est toujours plus verte chez le voisin
Jouant d’un exotisme commercial de proximité, les hypermarchés et les magasins d’usine ont poussé comme des champignons aux portes de la Lorraine jusqu’à occuper, en moins d’une décennie, une surface de vente de quelque 80 000 m2.
Implantés au carrefour stratégique de la France, du Luxembourg, de la Belgique et de l’Allemagne, les acteurs de l’immobilier commercial n’ont pas fini d’exploiter le filon « frontalier ». D’ici à 2011, trois extensions importantes – prévues à Mont-Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle ; à Belval, au Luxembourg ; et à Zweibrücken, dans le Land de Rhénanie-Palatinat -, ainsi que l’ouverture de Grand Fare prévue à Farébersviller, en Moselle, devraient porter cette superficie à près de 180 000 m2, sur une bande frontalière d’une centaine de kilomètres de longueur.
Flux de transfrontaliers
Dans ces anciennes régions sidérurgiques, minières et militaires, la reconversion industrielle a libéré de vastes emprises au coeur de bassins de population encore denses et dotés d’un pouvoir d’achat intéressant. Idéalement située en bordure d’autoroute à 20 km de la frontière française et dotée d’un aéroport, l’ancienne base de l’Otan à Zweibrücken accueille, depuis 2001, le Design Outlet Zenter (Doz), devenu le premier complexe de magasins d’usine d’Allemagne. L’architecture élégante, le panachage des enseignes et la qualité de l’accueil assuré par des vendeurs souvent francophones ont séduit 1,8 million de visiteurs en 2008, dont 17 % de Français.
Repreneuse du complexe pour 110 millions d’euros en février, la société immobilière espagnole Neinver, troisième gérant de centres de magasins d’usine d’Europe, lance une ultime extension.
Déjà prévue par notre prédécesseur, cette quatrième phase nous permettra de monter encore en gamme pour renforcer le rayonnement du Design Outlet Zenter, tant auprès de la clientèle frontalière qu’à l’international.
Juan Carlos Gabas, directeur d'exploitation de Neinver
Aujourd’hui, les lignes low-cost qui desservent l’aéroport attirent des acheteurs venant de Berlin, de Londres ou de Palma de Majorque.
Dans la banlieue de Longwy, le Pôle Europe, à seulement 200 mètres du Luxembourg et à 300 mè-tres de la Belgique, n’a cessé de s’étendre depuis l’arrivée d’Auchan en 2003.
Le site a largement profité du moratoire qui a bloqué l’implantation de toute surface commerciale de plus de 10 000 m2 au Luxembourg jusqu’en 2006. De surcroît, il bénéficie du flux continuel de travail-leurs frontaliers et du soutien de l’ensemble des acteurs économiques du secteur.
Céline Bavois, chargée du développement économique à la communauté de communes de l'agglomération de Longwy
Des résultats probants
Aujourd’hui, Auchan réalise à Mont-Saint-Martin le meilleur chiffre d’affaires de Lorraine, toutes enseignes confondues (hors carburants).
Nous partons de loin. Avant notre implantation sur le Pôle Europe, le bassin de Longwy présentait une infrastructure commerciale faible. Aujourd’hui encore, tous les besoins ne sont pas pourvus, notamment en moyennes surfaces.
Laurent Dierstein, directeur d'Auchan Pôle Europe
Spécialisée dans l’immobilier commercial, la société d’investissement Frey a complété le site en ouvrant, fin 2007, son parc des Trois Frontières – lauréat du prix du plus beau Retail Park de France – sur la friche de l’ancienne usine Daewoo.
Nous avons bénéficié d’une opportunité foncière, mais aussi d’une main-d’oeuvre de qualité qui a conservé de l’époque industrielle la culture du travail. Les enseignes y réalisent de bons résultats, et le site gagnera encore en attractivité grâce aux prochaines extensions.
Antoine Frey, président du directoire
À l’ouverture imminente d’un Conforama en juin, puis à celle d’un Bricoman de 7 000 m2 d’ici à la fin de l’année, doit succéder l’implantation par Immochan d’une quinzaine de nouvelles enseignes. Entrée en chantier au printemps, l’opération est actuellement bloquée par un recours.
À 30 km de Longwy, cette fois du côté luxembourgeois, la société conjointe néerlandaise Multiplan-Bouwfonds engage un investissement de 180 millions d’euros dans le projet Belval Plaza, qui structure la ville nouvelle de Belval en cours d’édification sur d’anciennes friches sidérurgiques. Le centre commercial, dont la première tranche a été inaugurée en octobre 2008, s’intègre dans le concept dénommé « Urban Living », consistant à proposer sur un même site logement, travail, restauration, centre commercial et culture, sans avoir besoin d’utiliser sa voiture.
Développée voici une quinzaine d’années sur d’anciennes friches sidérurgiques en Grande-Bretagne, cette approche reprend les éléments qui caractérisaient les centres-villes du XIXe siècle en les adaptant aux besoins du XXIe siècle.
Monique Vandenberg, directrice du marketing de Multiplan
Le centre commercial vise la clientèle de la ville nouvelle, qui comptera 5 000 habitants à terme, et les 20 000 actifs – dont nombre de frontaliers – prévus à l’horizon 2020.
À chaque région son atout
Dans l’Est mosellan, la société belge Codic, qui projette l’implantation d’un mégapole commercial, Grand Fare, à Farébersviller, affirme ne pas avoir inclus les clients potentiels allemands dans ses études de marché, faute d’outils statistiques satisfaisants.
Pour l’heure, il est impossible de mesurer la réalité des flux transfrontaliers ou de comparer efficacement les prix pratiqués de part et d’autre de la frontière.
Vincent Xolin, directeur du développement de Codic
Pour autant, le futur mégapole commercial ne snobera pas les quelque 200 000 clients potentiels sarrois habitant à ses portes. À la frontière franco-allemande, la grande distribution sait, de longue date, séduire la clientèle du voisin. Les hypermarchés français ont ainsi soigné leur rayon poissonnerie, traditionnellement pauvre en Allemagne, tandis que les centres commerciaux sarrois mettent en valeur les parfums de marques que la législation permet de vendre en libre-service. Le discount, très bien structuré en Allemagne, séduit la clientèle mosellane tant par ses prix que par l’étendue de sa gamme.
À la frontière belgo-luxembourgeoise, le commerce français base son attractivité sur les prix sensiblement inférieurs et sur un savoir-faire apprécié, notamment dans les métiers de bouche.
Nous avons développé un panel « ethnique » particulièrement large pour répondre aux aspirations des clientèles italienne, maghrébine, germanique ou portugaise représentées de part et d’autre de la frontière.
Laurent Dierstein
Le Luxembourg draine, lui, une clientèle lorraine prête à effectuer de longs trajets pour trouver carburants, cigarettes et alcools à des prix imbattables.
Pour l’heure, la distribution installée à proximité des frontières s’appuie sur des méthodes basiques – relevés de plaques d’immatriculation sur les parkings, analyse des moyens de paiement – pour évaluer les flux frontaliers, et sur les relevés de prix pratiqués aux frontières pour mieux cerner la concurrence.
C’est pourquoi la chambre régionale de commerce et d’industrie de Lorraine a clos, le 15 mai, l’appel d’offres d’une étude portant sur le comportement d’achat des ménages en Lorraine et dans l’espace frontalier, assortie d’une base de données, d’un progiciel et de modules cartographiques. Cofinancée par les fonds européens, l’étude doit permettre de mieux comprendre les dynamiques commerciales et le fonctionnement global du territoire. Les consommateurs, quant à eux, n’ont pas attendu ces données chiffrées pour se livrer aux joies du shopping à saute-frontières…
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