De 2011 à 2013, les ateliers de la Fabrique ont impliqué riverains, usagers et associations dans la conception de l’écoquartier Nancy Grand Cœur. Orchestrée par l’Université de Lorraine, cette participation citoyenne a enrichi le projet des urbanistes et contribué à définir une méthodologie de la concertation.
Escompté en Lorraine dès les années 90, le TGV n’est arrivé dans les gares de Lorraine qu’en 2007. Cette très longue attente a peut-être eu du bon : traversé en son centre par 1,2 kilomètre de friches ferroviaires, Nancy a mis ce délai à profit pour concevoir le vaste programme d’urbanisation Nancy Grand Cœur. Lancée en 2007 sous maîtrise d’ouvrage de la communauté urbaine désormais métropole, la Zac, qui prévoit la construction de 165 000 mètres carrés, couvre 12 hectares et se propose d’accueillir 800 à 900 logements, 50 000 mètres carrés de bureaux, 32 000 mètres carrés d’équipements et 3 000 mètres carrés de commerces.
Il n’était pas concevable de combler un tel espace sans concertation. Or, ni le Grand Nancy, ni le groupement pluridisciplinaire Arep retenu en 2006 ne disposaient des compétences nécessaires pour sonder un public disparate constitué d’usagers des transports, de résidents et de commerçants sur un projet qui n’en était alors qu’à sa genèse. La collectivité a peu à peu développé une culture de l’urbanisme participatif en organisant des réunions d’information, puis des conseils citoyens. Directrice de l’Ecole nationale supérieure en génie des systèmes industriels jusqu’en 2011 et conseillère communautaire en charge de la concertation jusqu’en 2014, Claudine Guidat a acté le rapprochement entre l’université et la collectivité en initiant les ateliers de la Fabrique, espace de dialogue et de concertation jusqu’alors inédit.
La collectivité portait un gros risque politique et financier sur projet complexe qui allait demander au minimum quinze ans d’aménagement. Nous nous sommes appuyés sur l’université de Lorraine pour appréhender les dimensions économiques, urbaines et sociologiques de Nancy Grand Cœur. Les élus ont accepté le principe d’une démarche participative dès lors qu’il y avait une garantie méthodologique.
Rémy Beschaux, directeur général adjoint de la métropole du Grand Nancy en charge des grands projets
En parallèle de la Fabrique, la collectivité a instauré un conseil de gouvernance d’une centaine de membres dont Gares et connexions, SNCF Réseau et l’ensemble des opérateurs de transport. Devenu un démonstrateur national des bonnes pratiques ferroviaires, l’agglomération a présenté Nancy Grand Coeur à l’appel à projets Ecoquartiers 2009 et a décroché le label au titre de la mobilité.
Confiés à l’Equipe de recherche sur les processus innovatifs (Erpi) et de NIT Inocité, plateforme collaborative issue de l’Institut national polytechnique de Lorraine, la Fabrique s’est implantée sur 250 mètres carrés au rez-de-chaussée de l’immeuble République, lui-même constitutif d’une nouvelle entrée de gare. Le lieu a accueilli durant trois saisons 300 participants individuels à raison d’un à deux ateliers thématiques par semaine. Sous l’égide de la sociologue Valérie Bretagne, alors enseignante à l’université de Nancy spécialisée dans la démocratie participative et l’innovation sociale, une équipe d’architectes et de sociologues a animé des ateliers centrés sur la mobilité – dans une acception très large du terme – pour poser des diagnostics et faire émerger des solutions innovantes.
Fin 2011, le schéma de Nancy Grand Cœur était abouti en matière de mobilité, de composition, de mixité et d’espaces publics. Nous avions besoin de concertation pour percevoir la manière dont les gens voulaient vivre, habiter, travailler, et intégrer leur réflexion dans le cahier des charges que nous allions présenter aux architectes et aux promoteurs.
Annabelle Ferry, directeur de projet à l’Arep
Outre les discussions collectives et les conférences, la Fabrique a produit des expositions photo et des maquettes en 3 D et des promenades urbaines. Très dense, la première saison a donné lieu à 72 cahiers de transcription réalisés par l’université. La saison 2 a porté sur l’aménagement de la place Charles III, située en-dehors du périmètre de Nancy Grand Cœur. La création d’une station de mobilité en sous-sol de la place a permis à la Fabrique d’expérimenter le « bodystorming », un exercice de mise en situation consistant à tester l’ergonomie des lieux dans un environnement reconstitué en carton. La troisième saison, plus courte, s’est proposé d’affiner les propositions en matière d’usage des espaces publics, tout particulièrement au long du quai vert qui reliera la place Thiers à l’avenue du général Leclerc.
Au début, nous avons vu quelques élus et représentants institutionnels, mais très vite, ce sont les associations et surtout des citoyens qui ont occupé l’espace. Il s’agissait de particuliers très impliqués, qui arrivaient directement de leur travail et prenaient sur leur temps libre pour participer aux discussions, parfois passionnées. Certains techniciens de la collectivité sont également venus apporter bénévolement leurs connaissances, en s’exprimant plus librement que dans le cadre de leur travail. Nous avons vu émerger de bonnes idées et les participants sont sortis des ateliers avec la sensation d’avoir été écoutés et entendus.
Nathalie Skiba
La jeune femme, qui préparait alors une thèse sur le processus d’innovation centré sur l’utilisateur, intervenait en tant qu’observatrice.
Les comptes rendus des rapports de la saison 1 témoignent à la fois de la rapidité des mutations sociétales – les participants se préoccupaient notamment des usagers ne possédant pas de smartphone – et de questionnements restés très actuels, voire anticipateurs. Polémique par nature, la question de la place de la voiture a donné lieu à des débats passionnés et à des solutions magistralement innovantes. Les ateliers ont mis en exergue des besoins multiples et des usages temporels différents. Certains salariés ont absolument besoin d’une voiture pour aller travailler, d’autres disposent d’un véhicule de service mais souhaitent conserver leur propres voiture pour des besoins ponctuels, tandis que des habitants affirment y renoncer sans regret, Nancy Grand Cœur constituant le quartier le mieux desservi de la ville. Ces réflexions ont accéléré la création de G-Ny, application numérique d’aide à la mobilité lancé par le Grand Nancy en août 2013. Elles ont également pointé le risque de voir les parkings publics saturés en journée, mais vides la nuit, les emplacements résidentiels restant à l’inverse vides la journée et pleins durant la nuit. Une belle idée est venue bousculer le schéma classique consistant à creuser sous les immeubles des parkings dont les rampes d’accès auraient empiété sur les espaces publics. Le projet urbain prévoyant de réduire de moitié le pont des Fusillés, l’Arep a proposé d’implanter un parking partagé partiellement souterrain au long des 6 mètres de dénivelé ainsi libérés. Aménageur du Grand Nancy, la Solorem a pris en charge la maîtrise d’ouvrage de cette solution inattendue pour en assurer le financement, en partie grâce à l’amodiation auprès des promoteurs.
Dimensionné en fonction des besoins actuels, le parking d’une capacité de 400 places sera réservé aux habitants de Nancy Grand Cœur. A terme, les besoins de stationnement devraient diminuer. Lorsque le système de calcul aura confirmé le nombre de places définitivement vacantes, le parking s’ouvrira partiellement au stationnement public. Certaines parties pourraient même s’ouvrir à d’autres usages, en offrant par exemple aux habitants une espace de stockage supplémentaire. Le principe de réversibilité s’applique également aux logements, qui peuvent se transformer en bureaux et réciproquement.
Les citoyens se sont également montrés inventifs et exigeants en matière de mobilité douce et d’accessibilité. Leurs interventions ont notamment conduit les promoteurs à prévoir des remises à vélos sécurisées en rez-de-chaussée. Dans l’espace public, les participants aux ateliers ont rappelé l’importance des détails tels des trottoirs larges et suffisamment bas pour être franchis par des fauteuils roulants électriques ou des revêtements facilitant la circulation des personnes non-voyantes. Très impliqué dans la problématique du handicap, le Grand Nancy a intégré ces conseils. Les demandes visant à privilégier le végétal par rapport au minéral ont également été prises en compte. Le paysagiste Michel Desvigne a ainsi intégré à son projet des jardins partagés, des espaces accessibles en toiture et des arbres fruitiers plantés au long du quai vert.
Les discussions n’ont pas été exemptes de polémiques. La suppression pure et simple du boulevard Joffre au profit de cheminements alternatifs n’a pas fait l’unanimité. La création de l’étang Saint-Jean sur la place du même nom a donné lieu à d’enrichissantes confrontations entre partisans d’un plan d’eau dégagé et techniciens rappelant l’obligation de poser des barrières de protection au-delà de 20 centimètres de profondeur. Une dizaine d’heures de discussions a permis d’aboutir à un consensus autour de pente aux abords contrôlés.
Un grand acquis de la Fabrique a été de créer une ingénierie collaborative permettant à chacun de devenir contributeur. Les architectes qui ont l’habitude de la toute-puissance, les techniciens qui abordent d’ordinaire les questions sous leur propre angle et les simples citoyens ont su trouver un vocabulaire commun pour coproduire la ville. La concertation ne résout pas tous les problèmes, mais elle constitue une aide à la décision précieuse à une époque où plus personne ne peut travailler seul.
Laurent Dupont
Laurent Dupont, co-fondateur et responsable scientifique de Lorraine Fab Living Lab (Ingénierie Collaborative – Innovation par l’usage – Smart City), l’ingénieur de recherche s’est impliqué dans les ateliers de la Fabrique dès leur démarrage et en a assuré la responsabilité scientifique à compter de 2012. Des nombreuses publications témoignent de l’intérêt porté par la recherche aux thématiques de la concertation.
Soigneusement consignées, les synthèses des ateliers font toujours office de documents de référence. La Fabrique est restée dans les mémoires et n’a peut-être pas encore dit son dernier mot. La concertation a par exemple engendré des embryons d’habitats en autopromotion susceptibles de voir le jour au cours des prochaines années. Les réflexions sur l’énergie ont également ouvert la voie un concept novateur d’énergie solaire ou éolienne produite et utilisée sur place – selon un mode d’exploitation et de facturation qui reste à inventer. Depuis l’arrêt de la Fabrique, cinq années de latence ont permis au Grand Nancy de mener à bien d’autres projets urbains tout en préparant les voiries et réseaux de Nancy Grand Cœur. A l’heure où les premiers immeubles sortent de terre, les pionniers de la Fabrique estiment que le temps est venu de reprendre la concertation sous une forme renouvelée.
Références :
Deux articles scientifiques :
Dupont L., Guidat C., Morel L., Skiba N., The Role of Mock-ups in the Anticipation of the User Experience within a Living Lab: an Empirical Study. 2015 International Conference on Engineering, Technology and Innovation (ICE), Belfast, Northern Irland, 22-24 june 2015.
Dupont L., Morel L., Hubert J., Guidat C., Study case: Living Lab Mode for urban project design. Emergence of an ad hoc methodology through collaborative innovation. 2014 International Conference on Engineering, Technology and Innovation (ICE), Bergamo, Italy, 20-22 june 2014.
Les acteurs de Nancy Grand Coeur
Maîtrise d’ouvrage : Métropole du Grand Nancy
Aménageur et concessionnaire : Solorem
Maîtrise d’œuvre urbaine : Arep
Ville Urbaniste-concepteur : Jean-Marie Duthilleul
Paysagiste : Michel Desvigne
Bureau d’études techniques et VRD : Sefiba
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