Référence européenne de l’architecture écologique, le land autrichien du Vorarlberg développe un urbanisme rural de haute qualité, qui structure son développement économique et conforte son attractivité.
Enclavé entre la Suisse et l’Allemagne, le Vorarlberg, le plus petit land d’Autriche, s’impose au fil des décennies comme une référence européenne de l’architecture en bois et de l’éco-construction. L’actuelle prospérité de la région, où de petits villages s’offrent des équipements communaux à faire pâlir d’envie nombre d’intercommunalités françaises, trouve son origine dans les années 70. Revenus au bercail après leurs études, de jeunes architectes insufflèrent dans la montagne l’esprit des « Baukünstler », artistes de la construction.
Ces fervents partisans de l’autoconstruction ont buté sur les moyens limités des maîtres d’ouvrage. Ils ont donc naturellement valorisé le bois, seul matériau de proximité, et créé une écriture architecturale sobre et fonctionnelle évitant l’esthétisme gratuit.
Bertrand Barrère, urbaniste au bureau d'études Ressources pour le développement durable (Redd) de Strasbourg
Les habitants du Vorarlberg, dont la devise proclame « travaille, travaille, construis ta maison », se passionnent pour les techniques constructives de pointe – énergie solaire, photovoltaïque et géothermique, isolation passive -, tout en préservant leur tradition paysagère. Les trois quarts d’entre eux sont propriétaires de leur logement. Vue de l’extérieur, une maison trentenaire ne se distingue d’une habitation récente que par les nuances des toitures en bois non traité, qui passent au fil des ans des tons rouille au gris bleuté.
Construire dans la concorde
Construire doit rester un acte libre. Chacun a la possibilité d’innover, mais nous veillons à conserver la cohésion d’ensemble.
Josef Mathis, maire de Zwischenwasser (3 200 hab.)
La commune a recruté deux architectes pour encadrer les projets des habitants. Ce duo, formé de jeunes actifs, est renouvelé tous les deux ou trois ans. L’instruction commence par une rencontre avec le maître d’ouvrage sur le site concerné pour discuter du meilleur usage du foncier, des proportions du futur bâtiment et de son insertion paysagère. Plus de la moitié des opérations obtiennent le feu vert dès la première demande. En cas de litige, les architectes discutent avec le porteur de projet, communiquent leurs objections ou réserves par écrit et aboutissent toujours à un compromis.
Accéder à la propriété
Le même pragmatisme prévaut à Schwarzenberg (2 500 hab.), dont le plan local d’urbanisme tient sur quatre pages mais où la construction fait l’objet de toutes les attentions.
En dix ans, le prix du foncier est passé de 40 à 300 euros le mètre carré. Pour faciliter l’accès à la propriété, nous avons aménagé un lotissement communal où les parcelles sont vendues 200 euros le mètre carré. Seuls l’habitat groupé et la volumétrie des maisons sont imposés. Pour le reste, nous intervenons par le biais d’aides et de conseils.
Armin Berthold
Subventionnées par le land, qui prend en charge 30 % des surcoûts et, dans certains cas, par la commune, les techniques d’éco-construction font largement leurs preuves. Dans cette région, où les températures atteignent 30° l’été et tombent à – 25° l’hiver, l’usage conjugué de l’isolation passive (triple vitrage, murs en bois massif de 50 cm d’épaisseur, 35 cm d’isolation à la dalle, chauffage double flux) et des énergies solaire et géothermique maintient la facture annuelle de chauffage à 150 euros ! A noter : la grande majorité des 90 entreprises installées sur le territoire relève des industries du bois et de la construction.
La commune de Bizau (1 000 hab.) a confié la réalisation de tous ses bâtiments à l’architecte Hermann Kaufmann, grand nom européen de l’architecture en bois. La vaste salle polyvalente accueille aussi bien les mariages que les compétitions sportives ; le stade de football surprend par le design des tribunes en bois ; la chapelle funéraire renvoie, par un jeu de lumières, à la croix qui surplombe la vallée. Ce souci poussé de l’esthétisme contribue certainement à l’attractivité du petit village, qui a gagné 13 % d’habitants en dix ans, bien qu’il ne dispose pas d’attraits touristiques particuliers. La mairie réserve aux natifs de Bizau et aux personnes installées depuis plus de cinq ans l’accès à un lotissement communal de 17 parcelles, raccordé à une chaufferie collective, laquelle est, bien sûr, alimentée par du bois.
Une filière fédératrice
Occupant une place centrale dans les aspirations personnelles et dans la vie collective, la construction implique une chaîne d’acteurs de proximité. Les forestiers et les conducteurs de grumiers du village s’organisent en filières certifiées afin de fournir du bois présentant une qualité conforme aux exigences des artisans. Les menuisiers s’appuient sur les plans des architectes pour assembler leurs ossatures et assurent parfois la maîtrise d’oeuvre globale des constructions publiques ou privées.
L’organisation de ce circuit intégré, souple et efficace intéresse au plus haut point les parcs naturels régionaux des Ballons des Vosges, des Vosges du Nord et du Haut-Jura, qui ont chacun organisé des voyages d’étude au Vorarlberg l’an dernier.
l’intérêt tout particulier des communes forestières, qui cherchent à comprendre comment le Vorarlberg a su valoriser le bois et lui conférer une valeur ajoutée.
L'urbaniste Bertrand Barrère
Près de quarante ans après s’être levé, le souffle des « Baukünstler » s’apprête à franchir les frontières.
La méthode
- Soutenir la qualité architecturale et l’éco-construction.
Les enjeux
- Préserver et valoriser le cadre de vie pour contrer l’exode rural.
- Assurer le développement économique et touristique de la région.
- Encourager le développement de la filière bois-construction et la création de groupement d’artisans.
Avis d’expert: « Ranimer la notion de projet urbain »
Le Vorarlberg est réputé pour son architecture contemporaine, mais la manière de construire, le choix des matériaux et le respect des paysages comptent au moins autant que les plans. C’est ce que nous voulons montrer aux élus et techniciens pour lesquels nous organisons des visites sur place. Séduits, les participants sont aussi conscients que l’expérience n’est pas immédiatement transposable. Dans les Vosges, le bois de construction provient généralement de Scandinavie. Le savoir-faire, les traditions et la ?culture de l’architecte? ont régressé. Les élus abordent la construction avant tout sous son angle technique et réglementaire, suivant le Code de l’urbanisme. Cela ne favorise guère la notion de projet urbain, que la loi SRU devait pourtant encourager.
Aurélie Tournier, chargée de mission pour les affaires juridiques et l'urbanisme au parc naturel régional des Ballons des Vosges
Et le logement social ?
Combrimont (Vosges, 169 hab.) a renoncé à créer un lotissement en périphérie et a choisi de densifier le centre du village. Ce projet a valu à son concepteur, l’atelier parisien Cité Architecture, une mention au prix du projet citoyen 2005 de l’Union nationale des syndicats français des architectes. Six habitants de la commune ont visité le Vorarlberg en mai 2006.
Il est rassurant de voir un modèle de développement basé sur la qualité architecturale fonctionner à l’échelle d’une région. Mais nous n’avons pas vu d’exemple de logements locatifs et sociaux que nous souhaitons développer pour aider les jeunes à s’installer et permettre aux personnes âgées de rester dans la commune.
la maire, Chantal Mathis
Le Vorarlberg, Autriche
- Population : 350 000 hab.
- Superficie : 2 600 km2.
- Effectifs : 1 600 fonctionnaires employés par le land.
- Budget : 1,234 milliard d’euros en 2005.
- Taux de chômage : 6,7 %, contre 7,2 % de moyenne nationale.
- Tourisme : 3,23 millions de nuitées en été 2005 ; 1,75 million à la saison d’hiver 2005 / 2006.
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