La Cour de cassation a rappelé, le 21 janvier, aux entreprises utilisatrices de contrats intérimaires, que les missions doivent rester exceptionnelles et motivées par un surcroît temporaire d’activité.
Un rappel de la loi s’avère souvent nécessaire. Un exercice dont a l’habitude la chambre sociale de la Cour de cassation. Plus rares : ses interventions sur le travail intérimaire. C’est pourquoi les deux arrêts qu’elle a rendus, le 21 janvier dernier, ont été très remarqués, puisqu’ils ont imposé la requalification en contrat à durée indéterminée du contrat de 19 intérimaires mis à disposition dans deux entreprises utilisatrices : la Sovab, constructeur des véhicules utilitaires de Renault, basé à Batilly (Meurthe-et-Moselle), pour 18 d’entre eux, et l’entreprise aéronautique Latécoère, basée dans la région toulousaine.
Recours ponctuel
Sans en condamner le principe,« les juges ont, ainsi, voulu rappeler les règles du recours au travail intérimaire, à savoir que le contrat de travail temporaire ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice », explique Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris-1 et à l’Institut d’études politiques de Paris, considérant cette jurisprudence non comme un revirement mais comme une précision appréciable.
Le CDI reste la norme
Les juges, en caractérisant les missions exceptionnelles, motivées par un surcroît temporaire d’activité, sont donc restés sourds aux conclusions de l’avocat général, qui avait mis en avant les avantages du travail intérimaire : « une forme d’exercice du travail […] moderne », qui « donne de la souplesse ».
l’occasion était trop belle pour les juges de s’aligner, avec l’intérim, sur une jurisprudence déjà établie en matière de CDD, et de rappeler que la norme reste le CDI. L’entreprise ne peut, pour son activité permanente, avoir recours à des contrats précaires, et certainement pas des mois durant, pour l’exercice d’un même emploi.
Catherine Nahmias-Ferrandini, avocate au sein du département droit social du cabinet Lovells
L’abus était donc manifeste à la Sovab, qui a fait travailler des intérimaires pendant plusieurs années. Les rappels à l’ordre n’avaient toutefois pas manqué. Le tort de la Sovab a alors été de se pourvoir en cassation, arguant que les 18 intérimaires avaient été missionnés pour faire face à un accroissement d’activité, et qu’au début de l’augmentation de la charge de travail, il était impossible de savoir si cette hausse serait durable ou non. En effet, cette filiale de Renault, devant le succès de son modèle Master, a dû tripler ses effectifs entre 1991 et 2001 et avoir recours jusqu’à 950 travailleurs intérimaires, fin 2000, soit 30 % d’un effectif global de 3 400 salariés, contre une moyenne de 15 % pour l’ensemble du groupe Renault, à cette période.
En décembre 2000, 44 travailleurs intérimaires, soutenus par la CGT, alertent alors les tribunaux et obtiennent des prud’hommes de Briey (Meurthe-et-Moselle) soit une réintégration définitive dans l’entreprise, soit des indemnités, comprises entre 4 500 et 13 700 euros, pour rupture abusive de leur contrat de travail. Encouragés par ce premier succès, d’autres intérimaires portent plainte par vagues successives, obtenant régulièrement gain de cause en première instance, puis en appel. Pour la seule année 2001, Sovab est condamné à verser plus de 760 000 euros d’indemnités.
En février 2002, la CGT assigne Louis Schweitzer, Pdg de Renault, et le directeur de Sovab devant le tribunal correctionnel de Briey à titre personnel pour « emploi de main-d’oeuvre temporaire en dehors des cas autorisés », et, à titre de personne morale, pour « fourniture illégale de main-d’oeuvre à but lucratif et marchandage ». Louis Schweitzer ne comparaîtra pas, mais le directeur de Sovab sera condamné – avant de bénéficier d’une amnistie. L’entreprise écope d’une amende de 15 000 euros et son directeur obtient une mutation en Chine.
Zéro intérim
Il faudra attendre 2003 pour voir l’entreprise diminuer ses collaborations avec les sociétés de travail temporaire, jusqu’à atteindre le point zéro, aucun intérimaire – sauf remplacement de salariés absents – n’étant en poste, en mai 2003. Cinq mois plus tard, l’entreprise remonte une équipe de nuit en intérim pour une durée de six mois, avec l’aval de l’inspection du travail et des syndicats, qui reconnaissent le caractère temporaire de ce surcroît d’activité.
Aujourd’hui, nous disposons de prévisions commerciales fiables à 10 % près. En tablant sur une production annuelle de 100 000 véhicules par an, nous pouvons évaluer nos besoins en personnel à 3 000 salariés, avec une marge de variation de 10 %. Après une crise de croissance, liée à une explosion des besoins de main-d’oeuvre, nous revenons à un fonctionnement normal.
Jean-Luc Gérard, chef du service Progrès et communication de l'entreprise
Elle a ainsi procédé à 10 embauches en CDI en fin d’année dernière.
Reste que cette jurisprudence va laisser des traces. François Roux, délégué général du Syndicat des entreprises de travail temporaire (Sett), reste pourtant serein :
Ces requalifications en CDI sont extrêmement rares et ne remettent certainement pas en cause l’utilité réelle de notre métier.
François Roux
Il n’empêche que :
les entreprises qui pensaient que les agences de travail temporaire constituaient un paravent confortable, puisque véritables employeurs des travailleurs intérimaires, vont devoir reconsidérer les choses.
Philippe Thomas, associé du cabinet Lovells
Et, à n’en pas douter, d’autres affaires risquent de mobiliser les tribunaux dans les mois à venir.
Déjà, le constructeur automobile PSA Peugeot Citröen doit faire face à une centaine de plaintes émanant de ses sites de Metz, de Trémery, mais aussi de Poissy, de Valenciennes, de Sochaux et de Mulhouse.
Nouvelle charte
Les violations de l’article L. 152-2 du Code du travail sont encore plus nombreuses chez PSA, où certains intérimaires enchaînent quinze contrats, alors qu’un seul renouvellement est autorisé.
Ralph Blindauer, défenseur des salariés pour l'ensemble de ces dossiers
Pas étonnant, donc, que le groupe automobile ait signé, le 12 septembre dernier, une charte relative «aux conditions d’emploi du personnel temporaire» avec sept entreprises d’intérim. Au programme de ce code de conduite : la limitation à deux du nombre de missions successives, avec une présence continue maximale de onze mois.
Reste que cette affaire tombe à point nommé, quelques jours après la proposition de la commission de Virville de créer des contrats de travail dits de projet, certes, réservés aux cadres, mais utiles à l’introduction d’une plus grande flexibilité sur le marché de l’emploi.
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