Historien et historien d’art, Laurent Thurnherr assure depuis 2017 la direction de la Maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles et celle du musée départemental de la Guerre de 1870 et de l’Annexion à Gravelotte. Complémentaires, ces deux sites du conseil départemental de la Moselle assurent une fonction pédagogique, scientifique et citoyenne.
Vous avez bouclé ce dimanche 12 mai 2019 la deuxième édition de la Semaine de l’Europe à la Maison de Robert Schuman. Quel est le but de cette initiative ?
Le site a vocation à faire connaître Robert Schuman, instigateur de l’Europe, mais aussi l’Europe elle-même, son histoire, sa culture, ses racines et son développement. Au cours de la Semaine de l’Europe, nous avons organisé une série de conférences et de spectacles d’art vivant dans les jardins de la Maison. L’objectif était de faire débattre des experts aussi bien avec des eurosceptiques qu’avec des pro-européens, d’échanger des idées, de sortir du débat intrafamilial du dimanche ou des convictions basées sur les seuls réseaux sociaux.
Le public se montre de plus en plus curieux et intéressé. Les gens en ont assez que l’on se serve de l’Europe comme repoussoir pour expliquer des erreurs stratégiques et politiques. L’abstention ne sera peut-être pas moindre au cours des prochaines élections, mais ils est certain que les gens se posent plus de questions et veulent des réponses.
L’une des conférences s’intitulait « Et si l’Europe se reconstruisait par la culture ? ». Pourquoi avoir posé cette question ?
Parce qu’elle se pose souvent, et depuis très longtemps ! Victor Hugo, Stefan Zweig ou Romain Gary évoquaient déjà dans leurs livres le caractère fondamental de la culture. Aujourd’hui, on a tendance à mettre en avant l’économie ou l’industrie. La chose culturelle et sociale paraît mise à l’écart. Pourtant, Robert Schuman a évoqué la culture tant dans son discours du 9 mai 1950 que dans son ouvrage « Pour l’Europe ». Il estimait que l’Europe est avant tout une construction humaine et que si elle était à refaire, il faudrait peut-être commencer par la culture. Plus récemment, lors de son discours à la Sorbonne le 26 septembre 2017, le président Emmanuel Macron a surpris tout le monde en citant la culture dès le deuxième point de son discours sur l’Europe.
L’Europe, c’est une culture qui diffère, mais avec des racines communes depuis l’Antiquité. Le festival de micro-théâtre présenté dans nos jardins par la compagnie Kalisto début mai en constituait un exemple flagrant : 12 compagnies de spectacle du Grand Est et 6 compagnies européennes donnaient la vision de l’Europe propre à chaque pays, mais on voyait bien qu’il suffirait de pas grand-chose pour que la culture unifie et pacifie tout le continent.
Comment comptez-vous développer la vocation européenne de la Maison de Robert Schuman ?
Départementalisée en 2000 et complétée en 2009 par un nouvel espace muséal et un auditorium, la Maison de Robert Schuman n’a cessé de se développer et nous prévoyons un renouvellement constant au cours des prochaines années. Nous avons accueilli 12.000 visiteurs en 2018 et constatons une progression de 50 % de cette fréquentation depuis de début de cette année. Nous avons ouvert le 9 mai l’exposition numérique et participative « A voté », qui démontrera jusqu’à la fin de l’année l’importance du vote européen.
Nous participons au programme d’apprentissage des langues SesamGR en recevant des classes franco-allemandes et en organisant des médiations et des échanges. Nous faisons également partie du réseau des Maisons des pères de l’Europe mise en place par l’Union européenne. Le circuit regroupe les maisons des pères fondateurs – Robert Schuman, Konrad Adenauer, Jean Monet, Alcide de Gasperi -, mais aussi celles d’hommes et de femmes politiques ayant rallié leur pays à la cause européenne comme Winston Churchill en Grande-Bretagne ou Bronislaw Geremek en Pologne.
Existe-t-il des liens entre la Maison de Robert Schuman et le Musée de Gravelotte, que vous dirigez également ?
Oui. Les deux institutions sont complémentaires, tant pour les scolaires que pour les visiteurs individuels, et renvoient l’une vers l’autre. Ensemble, elle couvrent plus d’un siècle de l’histoire de la Moselle, un département bringuebalé par une annexion, la Première guerre mondiale, une tentative de reconstruction, la Deuxième guerre mondiale et une seconde reconstruction économique et industrielle, avec toutes les conséquences de ces soubresauts pour la population.
Nous constatons un regain d’intérêt pour la guerre de 1870, qui reviendra au programme des manuels scolaires dont elle était écartée depuis quelques années. Depuis deux ans, de plus en plus d’éditions et de publications se consacrent à cette période. Napoléon III et le Second Empire sont redevenus à la mode, peut-être à cause d’une certaine lassitude vis-à-vis des commémorations des deux Guerres mondiales, ou parce que l’on prend conscience du rôle charnière de cette époque. Le conflit de 70 est la mère des deux autres guerres. C’est là que commence le jeu de frontières qui va définir la configuration de la France et de l’Allemagne. Nous ne sommes plus dans les guerres napoléoniennes, mais dans un conflit faisant appel à des techniques et technologies contemporaines, comme les obus. La presse est en plein essor, et la propagande aussi. Pour la première fois, on se soucie des hommes qui font la guerre : on dénombre les morts, on érige des cimetières militaires, on transmet des informations aux familles, on prend conscience de l’humain.
Tous les ans, de nouveaux travaux de recherche s’engagent sur l’histoire, sur les beaux-arts, ou sur les civils durant l’Annexion. Le musée de Gravelotte coopère avec les musées des Armées de Paris et de Dresde, ainsi qu’avec les musées de Berlin et de Sarre et d’Orsay.
Comment la coopération transfrontalière entre musées se passe-t-elle ?
Nous n’avons vraiment pas à nous plaindre. Nous travaillons en bonne intelligence avec les musées étrangers. J’en veux pour preuve l’exposition que le musée Georges de la Tour de Vic-sur-Seille a consacrée à Käthe Kollwitz en 2012. Cette artiste, considérée comme la mère de l’expressionnisme allemand, était très peu connue en France. L’exposition « la vérité des sens » a connu un grand succès, avec plus de 20.000 visiteurs. A partir du moment où un projet scientifique tient la route, avec des perspectives de médiation spécifiques ou de publications, les échanges sont simples et se passent bien.
Propos recueillis par Pascale Braun
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Dans l’émission sur la guerre de 1870, j’ai regretté la ”confusion” entre Prusse et Allemagne. L’Allemagne n’existe qu’après 1871.
On pourrait aussi souligner davantage que le chancelier Bismarck a ”voulu” cette guerre pour unifier les états allemands autour de la Prusse. Ce qui a donné naissance à l’Allemagne.
Regrettable aussi qu’on n’ait pas parlé des 5 milliard de Francs Or qu’a du verser la France.