Après soixante et un ans d’existence, l’établissement public des Charbonnages de France sera dissous le 1er janvier. La dernière mine en activité avait déjà fermé en 2004. Les mineurs tournent la page d’une aventure charbonnière qui a marqué l’histoire industrielle du pays.
L’épilogue tient en quelques lignes. Un décret, publié le 23 décembre, stipule que l’établissement public des Charbonnages de France sera « dissous le 1er janvier 2008 et mis en liquidation à la même date ». Une oraison funèbre, pour le moins laconique, pour sceller le sort d’une industrie qui a accompagné l’histoire industrielle de la France après 1945 et qui, à son apogée, employait 358.000 salariés.
Certes, la « grande famille des mineurs », que le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, a saluée à l’occasion, se préparait depuis longtemps à l’échéance. Pour les « gueules noires », l’événement symbolique a déjà eu lieu il y a un peu plus de trois ans. En avril 2004 précisément, lorsque la dernière mine des Charbonnages, celle de la Houve à Creutzwald (Moselle), a définitivement fermé.
Depuis, le temps a peu à peu atténué l’amertume. Mais le souvenir de l’âge d’or des houillères des années 1950 demeure. En Lorraine, on évoque encore le temps où les mineurs, logés et chauffés gratuitement à vie, disposant de leurs propres hôpitaux, d’une sécurité sociale spécifique et de coopératives puissantes, se transmettaient fièrement le flambeau de père en fils en dépit de la dureté et des risques du métier.
Créé en 1946, l’établissement public des Charbonnages fédère alors neuf houillères de bassins (Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, Loire, Cévennes, Blanzy, Aquitaine, Provence, Auvergne, Dauphiné) et la production bat des records chaque année. Jusqu’à atteindre le niveau historique de 59 millions de tonnes en 1958. La France du général de Gaulle encourage l’exploitation de cette ressource énergétique stratégique, également utilisée dans la fabrication de la fonte et de l’acier. De nouvelles installations sont décidées, d’autres modernisées. Les Polonais, Roumains, Italiens et Allemands arrivés au début du siècle, avant la nationalisation des houillères, sont rejoints dans les années 1960 par les ouvriers maghrébins.
Concurrence des autres sources énergétiques
La grande « bataille » du charbon français commence à s’essouffler dès le début de la décennie 60. Les contraintes d’exploitation font exploser les coûts, qui dépassent de loin ceux pratiqués aux États-Unis, en Australie, en Afrique du Sud. Surtout, le charbon subit la concurrence des autres sources énergétiques, pétrole, gaz naturel puis, en France, nucléaire. Le déclin annoncé se lit dans le rapport établi dès 1960 par le ministre de l’Industrie et du Commerce, Jean-Marcel Jeanneney, qui prévoit une réduction de la production.
Gigantesque travail de dépollution
Le premier choc pétrolier de 1973, puis les promesses de la gauche arrivée au pouvoir en 1981, entretiennent un temps le mirage d’une relance. Mais la dette des Charbonnages s’alourdit, et l’établissement ne survit qu’à coups d’aides massives. Les fermetures de sites se succèdent. Les bassins entrent dans des années noires, ponctuées par les manifestations rageuses de mineurs désespérés.
Je me souviens d’une réunion durant laquelle des barres à mine envoyées de l’extérieur ont traversé de part en part les bureaux de la direction générale. À titre personnel, je souffrais de voir l’image des mineurs se détériorer. Mais nous n’avons jamais rompu l’unité syndicale, de même qu’aucun élu du bassin ne s’est jamais désolidarisé des mineurs.
Jean-Marc Mohr, ancien délégué CFTC à la Houve et ex-vice-président du conseil économique et social de Lorraine
La messe sera finalement dite en 1994. Gérard Longuet, alors ministre (lorrain) de l’Industrie, paraphe avec les syndicats le pacte charbonnier qui scelle la fermeture progressive des mines et organise la disparition de l’entreprise. Le tout avec un accompagnement social d’ampleur. Un gigantesque travail de dépollution, de réhabilitation et de reconversion des bassins houillers s’ouvre. Il n’est toujours pas clos. Même si certaines régions réussissent tant bien que mal à recréer les emplois perdus, quelques-unes restent paupérisées par la disparition des houillères.
Les mineurs, eux, cultivent désormais le souvenir de l’épopée charbonnière. À l’image du musée de la mine du Carreau Wendel à Petite-Rosselle, près de Forbach, un des rares témoignages du gigantisme des équipements miniers. Quant à l’État, il va reprendre des mains du dernier président des Charbonnages, Daniel Cadoux, nommé en juin 2006, le solde de la dette de l’établissement (2,4 milliards d’euros) ainsi que ses derniers actifs. Une structure de liquidation sera chargée de les céder.
--Télécharger l'article en PDF --