Ouvert au public le 2 juin prochain avec l’exposition Cultures du travail, le carreau Wendel entièrement restauré conservera un siècle et demi de mémoire minière dans l’Est mosellan. La conversion complète de l’ancien carreau en musée permanent de la mine pourrait atteindre 100 millions de francs. Le bassin houiller lorrain tourne la page de la mono-industrie et aborde l’après-charbon avec confiance.
Décidée en mai 1999 à l’occasion des célébrations de l’an 2000, la restauration du carreau Wendel constitue la plus grande reconversion de friche industrielle jamais engagée en Lorraine. La réfection du lavoir a d’ores et déjà mobilisé 35 millions de francs (5,3 millions d’euros) répartis entre le ministère de la Culture, le conseil régional de Lorraine, le conseil général de la Moselle, les fonds européens et le syndicat mixte du futur musée. Inscrite au contrat de plan Etat-région, la conversion complète de l’ancien carreau Wendel en musée permanent de la mine pourrait atteindre 100 millions de francs (15,4 millions d’euros).
L’exposition Cultures du travail – des outils et des hommes, présentée par le centre de culture contemporaine de Barcelone jusqu’au 1er novembre pour un montant de 25 millions de francs (4 millions d’euros), doit conférer au site une dimension nationale et internationale. Cette reconversion a connu une bien longue gestation.
Les pouvoirs publics ont mis près de quinze ans à adopter ce projet de réhabilitation jugé pharaonique.
Laurent Hoellinger, directeur du site
Depuis la fermeture du puits de charbon Wendel en 1986, une poignée de militants de la mémoire du bassin houiller, regroupés au sein du Comité culturel, scientifique et technique industriel (CCSTI) ont animé vaille que vaille l’idée d’un musée au coeur du site à l’abandon. Le lavoir tombant en ruines, les bâtiments administratifs déserts, les voies ferrées enherbées constituaient pour le bassin houiller le rappel douloureux d’une époque ouverte en 1856 qui touche à sa fin.
Vouées à la fermeture en 2005, les Houillères du bassin de Lorraine (HBL) emploient aujourd’hui encore 7.022 salariés. A leur apogée au lendemain de la Seconde Guerre, les HBL emploient jusqu’à 46.000 mineurs dans le cadre d’une stricte mono-industrie. Logés et chauffés gratuitement à vie, disposant de leurs propres hôpitaux, d’une sécurité sociale spécifique et de coopératives puissantes, les mineurs, ces « héros de la classe ouvrière » salués par Maurice Thorez, se transmettent fièrement le flambeau de père en fils en dépit de la dureté et des risques du métier. Les travailleurs polonais, roumains, italiens et allemands arrivés au début du siècle sont rejoints dans les années 60 par les ouvriers maghrébins – essentiellement marocains – qui apprennent comme leurs collègues le francique, patois mosellan dans lequel sont rédigées les consignes du fond. Mais le traité franco-allemand du 27 octobre 1958 prive les HBL des veines charbonnières du Warndt, en Sarre, qui assurent 35 % de sa production.
Inéluctable déclin
En 1960, alors que les mineurs lorrains viennent de décrocher un record de production avec 15 millions de tonnes de charbon, le rapport Jeanneney, qui passe presqu’inaperçu, annonce l’inéluctable déclin de l’industrie minière. Créée en 1967, la Société de financement pour la réindustrialisation des régions minières (Sofirem) amorce la reconversion du bassin. A compter de 1973, de nouvelles industries viennent s’implanter en Moselle-est. Les investisseurs – essentiellement allemands – apprécient la main-d’oeuvre mosellane souvent bilingue et réputée dure à la tâche. Le chauffagiste Viessmann, le fabricant de pneus Continental, les pompes hydrauliques Grundfos, le fabricant de téléviseurs Grundig, l’équipementier américain Delphi, créent au total 10.000 emplois durant cette période.
En mars 1981, François Mitterrand, en visite à Freyming-Merlebach, promet aux mineurs de relancer l’activité minière s’il est élu.
En 1981, nous avions tous envie d’y croire. La mine est un métier de passion où l’analyse objective s’avère difficile.
Bernard Jully, actuel président des HBL
Profitant pleinement de cet appel d’air inespéré, les Houillères placent leur dispositif de reclassement en veilleuse et lancent de nouvelles campagnes de recrutement. En 1984, la volte-face gouvernementale en matière d’énergie crée un profond traumatisme. Suite au second choc pétrolier, les coûts de production du charbon sont passés au-dessus de leur prix de vente. Les houillères, qui emploient alors 24.631 salariés, interrompent brutalement les embauches et évoquent pour la première fois leur cessation d’activité. Les pouvoirs publics accordent vingt et un ans aux Houillères pour orchestrer leur propre déclin en ne procédant à aucun licenciement. L’antenne lorraine de la Sofirem, la mission industrialisation des houillères, l’Association pour l’expansion industrielle de la Lorraine (Apeilor, antenne de la Datar), le comité d’expansion du conseil général de la Moselle, la société de développement régional Lordex, Attelor (Association pour le transfert de technologie en Lorraine) unissent leurs efforts de reconversion. La campagne de création d’entreprises constitue un échec.
Implantations envisagées
Les HBL subventionnent les mineurs acceptant de quitter leur emploi et soutiennent des projets de restaurants, de commerce de vêtements, voire même, de boutiques de bonsaïs qui tournent souvent au fiasco. De même, les effectifs de l’usine de téléviseurs Grundig de Creutzwald, passés de 918 salariés en 1993 à 240 aujourd’hui sous l’enseigne Cofdur après maints déboires juridiques, constituent un sérieux revers de la réindustrialisation. En revanche, EDF accueille 1.100 agents des houillères. Les pouvoirs publics encouragent les implantations en Moselle-est par des aides pouvant atteindre 17 % de l’investissement. L’arrivée de nouvelles entreprises – le fabricant de climatiseurs pour automobiles Behr en 1993 et l’usine Smart MCC en 1994 à Hambach, le producteurs de freins ITT en 1998 à Creutzwald, la Fonderie lorraine, filiale du groupe allemand Honsel à Grossbliederstroff en 1997 – amorce une réelle reconversion, mais fait craindre un retour à une mono-industrie orientée vers l’automobile. Les dernières implantations en date témoignent de la volonté de diversification du bassin. Les groupes verriers britannique Pilkington et suisse Interpane ont choisi fin 1999 la zone districale de Freyming-Merlebach pour implanter une usine de verre au terme d’un investissement de 1,5 milliard de francs. Le centre-ville de Forbach doit prochainement accueillir un call-center allemand susceptible de créer 240 emplois à temps partiel.
L’ère des gros projets tels la Smart, qui a généré près de 2.000 emplois, est révolue. Les implantations récentes portent sur des projets plus capitalistiques générant moins d’emplois. Mais le gouvernement nous a autorisés en 1997 à étendre nos aides aux entreprises du secteur tertiaire. Depuis, nous avons enregistré de belles réussites, notamment en matière de logistique.
Henri Mertz, directeur de l'antenne lorraine de la Sofirem.
De 1984 à 1999, l’organisme a ainsi contribué à la création de 24.500 emplois grâce au pilotage de projets et à l’octroi de prêts bonifiés. Depuis 1996, 2.575 agents des HBL ont bénéficié du contrat charbonnier qui permet un départ à la retraite à 45 ans au terme de vingt-cinq années d’ancienneté. En 2005, les quelque 2.000 employés des houillères n’entrant pas dans ce dispositif devraient être affectés à des travaux de fermeture des puits ou partir pour des filiales de Charbonnage de France. Le pari de la reconversion est donc presque gagné. Les élus locaux abordent l’après-mines avec confiance.
Nous bénéficions d’une situation privilégiée au coeur d’un bassin de population d’un million d’habitants répartis entre le nord-est de la Moselle et le sud de la Sarre. Au cours des prochaine années, l’actuel parc à bois des houillères situé à cheval sur la frontière accueillera une Eurozone franco-allemande dédiée au secteur tertiaire et aux nouvelles technologies. Cette première zone d’activité binationale constituera l’emblème de la reconversion des versants sarrois et mosellan d’un même bassin houiller.
Charles Stirnweiss, maire de Forbach
L’empreinte des houillères et les séquelles de la mono-industrie subsistent néanmoins.
Le bassin souffre encore d’un déficit de formation. Les HBL ne formaient les techniciens qu’en fonction de leurs propres besoins.
Jean Michels, secrétaire général du district de Forbach
L’est mosellan s’est donc doté de pôles techniques, scientifiques et universitaires pour développer de grands axes technologiques. Le pôle de plasturgie créé en 1990 élabore de nouvelles techniques destinées notamment à l’industrie chimique.
Site pilote Créé en 1995, le pôle de l’Hôpital entend faire jouer des synergies transfrontalières entre industries et services médicaux et paramédicaux. A Forbach, le pôle Prestiméca fédère les activités liées à l’industrie mécanique tandis que le centre de veille technologique Alphéa devient une référence en matière d’hydrogène. Alphéa participe, en partenariat avec EDF-GDF, Alstom Ballard et les HBL, à l’implantation d’une pile à combustible en 2001. Ce site pilote, réalisé au terme d’un investissement de 16,5 millions de francs (2,5 millions d’euros), servira dans un premier temps à chauffer le lavoir du carreau Wendel. La technique de la pile à combustible s’adresse également à des industriels tels la Smart, qui travaille à la motorisation électrique, ou au fabricant de batteries Delphi.
La reconversion industrielle du bassin ne réussira que si elle s’accompagne de projets culturels forts, tels que la création de la scène nationale de Forbach en 1996 et la création du musée de la mine sur le carreau Wendel aujourd’hui.
Charles Stirnweiss
De toutes les commémorations organisées par la mission an 2000, le carreau Wendel constitue le seul projet pérenne. Le thème de l’exposition illustre remarquablement le site et permet une expérience inédite : il est rare qu’une manifestation d’envergure internationale se tienne dans une petite ville.
Jérôme Loeb, chargé par l'agence de communication parisienne Serge Kirzbaum de monter les partenariats culturels avec des entreprises régionales
Les PME locales, telles les assurances Kieffer, l’agence mosellane du groupement de TP Eurovia, le producteur forbachois d’épices Van Hess ont largement sponsorisé l’exposition, apportant les trois quarts des 3 millions de francs (460.000 euros) escomptés. Les banques régionales, qui avaient financé 70 % des manifestations commémorant le centenaire de l’Ecole de Nancy l’an dernier, ont en revanche boudé l’événement mosellan. Une douzaine d’entreprises régionales ont réhabilité le lavoir en moins d’un an.
Reconstruite en composants ciment-verre avec l’aval des Bâtiments de France, la façade de 4.500 m2 constitue une réplique parfaite des anciens panneaux de paille compressée, mais des grains de silice noir confèrent au bâtiment un miroitement nouveau. Au terme de l’exposition Cultures du travail, Uwe Burghard, ex-chercheur à l’institut central d’histoire des techniques minières à Berlin et nouveau conservateur du carreau Wendel, se chargera de la muséographie dans un volume de 78.000 m3.
La livraison du lavoir ne constitue qu’une première étape. Situé à moins de 20 kilomètres des aciéries de Volklingen, site sarrois inscrit à l’inventaire de l’Unesco, le carreau Wendel s’inscrit dans un contexte transfrontalier et constitue le premier grand projet culturel européen. Mémoire de la mine, le site témoigne également de la vocation de l’est mosellan à demeurer une terre d’énergie.
Philippe Jean, architecte parisien et maître d'oeuvre passionné du projet depuis 1990
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