La Lorraine commence à appliquer un accord-cadre avec son voisin allemand le land de Sarre afin de stimuler la formation en alternance de part et d’autre de la frontière.
En octobre dernier, la nuée des journalistes présents au 20e anniversaire de Smart France à Hambach (Moselle) a été invitée à saluer un jeune ouvrier un peu particulier : cet Allemand, apprenti mécatronicien, réalise son stage pratique dans l’usine automobile lorraine, mais suit des cours théoriques au centre de formation de Sulzbach, en Sarre. À partir de la rentrée 2015, en sens inverse, les magasins sarrois des enseignes Globus et Möbel Martin accueilleront en stage pratique une quinzaine de jeunes français du BTS en alternance négociation relation client du lycée professionnel Henri-Nominé de Sarreguemines. L’usine de Michelin en Sarre prépare un montage analogue.
Contrat de droit allemand
Ces apprentis français signeront un contrat de droit allemand, leur temps de travail et leur rémunération varieront selon l’entreprise et/ou les règles de branches. Chez Globus et Möbel Martin, par exemple, ce sera 40 heures par semaine, pour une rétribution mensuelle de 765 euros la première année et de 867 euros la seconde. Des montants comparables à ceux qui auraient été perçus chez un employeur français. L’apprenti de Smart France décrochera un diplôme allemand de mécatronicien spécialisé, inconnu en France, mais pouvant correspondre à un niveau validable en CCI et reconnu dans des accords de branche.
Qualifications élevées recherchées
Ces exemples constituent les premières applications de l’accord-cadre de juin 2014, conclu entre le conseil régional de Lorraine, le land de Sarre et une dizaine d’autres partenaires, visant à développer les formations en alternance des deux côtés de la frontière afin de « faciliter l’intégration des deux marchés du travail de Sarre et de Lorraine ».
L’accord sarro-lorrain cible en particulier les qualifications élevées dans l’industrie, ainsi que dans le commerce et le tourisme, mais il ne s’est pas donné d’objectif chiffré. Les trois premiers exemples peuvent sembler bien ténus au regard des 20 000 Lorrains qui travaillent chaque jour en Sarre. Pourtant, le texte représente une vraie avancée, tant les différences en matière de formation en alternance sont nombreuses entre les deux pays. Ainsi, dans le fameux système dual allemand, la taxe d’apprentissage n’existe pas : les entreprises assument l’intégralité du financement.
Accord global bien bordé juridiquement
Par ailleurs, la formation des apprentis allemands s’étale sur trois ans et demi, et non deux comme souvent en France. Enfin, les diplômes allemands sont reconnus partout outre-Rhin, mais n’ont pas d’équivalence en France. Ces constats ont impliqué quelques précautions dans la rédaction de l’accord.
Dans le contexte d’un marché du travail sarrois très demandeur, nous ne souhaitions pas cautionner des arrangements particuliers entre une entreprise et un centre d’apprentissage. Nous voulions un accord global, bien bordé juridiquement, qui puisse déboucher sur du concret.
Philippe Schwartz, adjoint au directeur général des services du conseil régional de Lorraine
La collectivité régionale veut ainsi éviter de voir les stagiaires français recrutés dans le cadre de mini-jobs allemands à 400 euros par mois, ou de les laisser se perdre dans les questions d’équivalences de diplôme. À Smart France, en tout cas, on se félicite de participer à une telle expérimentation :
Construire un système d’alternance avec des centres de formation allemands afin de recruter des stagiaires formés nous intéresse particulièrement. Car, dans certains services, nous avons du mal à trouver en France les compétences techniques et linguistiques pour des postes de maintenance. Mais le mode de recrutement d’apprentis allemands s’avère bien plus complexe que celui d’un apprenti français.
Joëlle Bonnet, responsable de la formation à la DRH de Smart France
Pour ce jeune, le constructeur automobile a dû construire un parcours de formation en entreprise sur mesure, impliquant des tuteurs internes et des organismes extérieurs. Dont la CCI de Sarre, qui veille à l’adéquation de ce parcours avec les exigeants référentiels d’outre-Rhin.
Handicap de la langue
Reste que l’expérimentation sarro-lorraine, comme celle menée entre l’Alsace et le Bade-Wurtemberg, est confrontée à deux écueils. Premièrement : le faible niveau des candidats en allemand se révèle handicapant et parfois rédhibitoire. Les employeurs allemands se sont ainsi montrés très exigeants, tant sur le plan linguistique que sur celui du savoir-être, lors du recrutement des stagiaires de la plate-forme transfrontalière “métiers de l’hôtellerie et de la restauration”, montée en 2013 par le Greta de Sarreguemines.
En revanche, la seconde plate-forme créée par le même Greta a été plus souple pour combiner mise à niveau en allemand et cursus classique débouchant sur une double qualification : CQPM (1) et Fachkraft, diplôme certifiant la compétence professionnelle. La politique de formation linguistique du sidérurgiste allemand BSW traduit cette prise de conscience.
Durées différentes
Deuxième problème : la non-concordance des durées de formation (18 mois de plus dans le système allemand) pourrait devenir un facteur bloquant majeur pour les expérimentations en Lorraine comme en Alsace : quand l’apprenti français décrochera son diplôme au bout de deux ans, que fera-t-il alors ? Quittera-t-il son employeur allemand comme il en aura le droit ? Ou ira-t-il au bout des trois ans et demi-prévus outre-Rhin, par exemple pour décrocher le diplôme allemand correspondant ? En manque de main-d’œuvre, les entreprises d’accueil allemandes souhaitent vivement le second scénario, mais elles n’ont aucune garantie sur sa réalisation.
(1) Certification de qualification paritaire de la métallurgie.
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