Exposés à des conditions de travail dangereuses et insalubres dans les années 1980, plus de 3.000 mineurs tentent aujourd’hui de faire reconnaître la faute inexcusable des Houillères à leur encontre.
Dix ans après la liquidation de Charbonnages de France (CDF), le local de la CFDT-mineurs de Freyming-Merlebach n’a pas baissé le rideau. La vaste bâtisse regroupe sur deux niveaux une équipe d’une quinzaine de retraités militants. Cinq d’entre eux travaillent presque à temps plein pour défendre les dossiers de quelque 2.500 anciens mineurs souffrant de plaques pleurales, de silicose, de leucémies, de cancers du nasopharynx, du rein, de la peau, de la vessie…
Nous avons été de la viande à charbon. Les houillères ont envoyé au casse-pipe des jeunes de vingt ans. Nous ne cesserons pas de nous battre tant que nous n’aurons pas obtenu la reconnaissance collective de cette ignominie.
François Dosso, porte-parole de la cellule maladies professionnelles de la CFDT
Préjudice d’anxiété
En juillet 2017, 755 anciens mineurs de l’Est mosellan ont pourtant encaissé une sévère déconvenue : la cour d’appel de Metz les a déboutés à la fois de leur demande d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété et de leur plainte contre Charbonnages de France (CDF) pour violation de l’obligation de sécurité.
Les plaignants avaient obtenu partiellement gain de cause le 30 juin 2016 devant le tribunal des prud’hommes de Forbach , qui leur a accordé un préjudice d’anxiété – jusque-là réservé aux victimes relevant du dispositif spécifiquement dédié aux victimes de l’amiante – avec une indemnisation de 1.000 euros contre les 15.000 demandés.
Ils ont décidé de se pourvoir en cassation, mais tous ne seront peut-être pas au rendez-vous. Entre juin 2013, date de la première instance aux prud’hommes, et le lancement de la procédure en appel en septembre 2015, 14 des 844 plaignants sont morts, à l’âge moyen de 61 ans. La décision de la cour est attendue courant 2019.
« Deuxième bataille du charbon »
Ces deux procès ont fait remonter à la surface l’histoire oubliée de la « deuxième bataille du charbon ». A partir du choc pétrolier déclenché en 1973 par la guerre du Kippour et jusqu’à la catastrophe du puits Simon de Forbach en 1985, les houillères du bassin de Lorraine (HBL) ont imposé aux mineurs une productivité très élevée.
Les rendements ont progressé de manière spectaculaire, passant de 4,4 tonnes par homme et par jour en 1974 à 6 tonnes par homme et par jour en 1990. Les embauches ont repris à un rythme soutenu – jusqu’à 3.000 mineurs par an, avec un turnover atteignant parfois les deux tiers – jusqu’à l’arrêt brutal des recrutements en 1983. A cette date, les effectifs, passés de 47.000 mineurs en 1947 à 23.000 en 1973, étaient remontés à 25.000 personnes.
Accidents et maladies
Sur le plan sanitaire, cette période s’est avérée funeste. Les syndicats se sont d’abord inquiétés des accidents – 16 morts lors de la catastrophe de Merlebach en septembre 1976, mais aussi 15 morts et 600 blessés graves en moyenne chaque année hors accidents collectifs. Le souci des maladies n’est apparu que plus tard.
Je travaillais dans les ateliers centraux de Carling, où étaient réparées les locomotives et les machines utilisées au fond. Notre travail consistait à décoller l’amiante des mâchoires de freins, à les remplacer par de nouveaux colliers, puis à les meuler. Nous utilisions également de la peinture de minium de plomb. Un de mes collègues, qui peignait au pistolet, est mort à quarante ans, sans qu’il y ait eu de plainte. Il y avait des masques à sa disposition, mais il ne les utilisait pas.
Roger Sauer, président de la Carmi (Caisse régionale de la Sécurité sociale dans les mines) de l'Est
La catastrophe du puits Simon
Les revendications de la CGT portent surtout sur des primes de poussière ou de chaleur. Héritière de la Jeunesse ouvrière catholique, traditionnellement soucieuse de la santé, la CFDT est la première à alerter sur le risque de perdre sa vie à la gagner, mais ne rencontre pas grand écho. Le 25 février 1985, la catastrophe du puits Simon à Forbach fracasse cette atonie.
Charbonnages de France est reconnu civilement responsable de l’accident qui a causé 22 morts et 130 blessés. Deux responsables du chantier sont condamnés pour homicides et blessures involontaires.
La catastrophe a démontré que tout ce que nous disions était vrai. Dès lors et jusqu’à la fin de l’exploitation, l’entreprise a effectué de gros progrès en matière de sécurité. Nous sommes en quelque sorte morts guéris.
François Dosso
Pas de manquements à la sécurité
CDF assure avoir appliqué la consigne « poussières nocives », qui fixait le taux d’empoussiérage à 6 mg/m3. Devant la cour d’appel de Metz, l’entreprise a fait valoir de multiples suivis médicaux spécifiques, plans de formation et campagnes d’information. En appui à la défense, d’anciens mineurs assurent que leurs observations en matière d’empoussiérage étaient prises en compte. CDF atteste par ailleurs avoir acquis des centaines de milliers de masques jetables.
Ses arguments ont convaincu la cour, qui, tout en relevant « la pénibilité manifeste des conditions extrêmes de travail », ne relève aucun manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité.
Exposition aux produits cancérigènes
Pourtant, les mineurs sont tombés malades. Pour l’année 1992, considérée comme ordinaire, les affiliés au régime minier présentent un taux de prévalence de maladies professionnelles 144 fois plus élevé que pour les affiliés au régime général. Au fond des puits, ils utilisent massivement des huiles minérales ou bitumineuses et du trichloréthylène. Ils respirent des vapeurs de gazole, des fumées de tirs d’explosifs et des fibres de roche.
En fonction des sites et des métiers, ils ont pu entrer en contact avec 24 produits cancérigènes ou pathogènes. Les plaignants de la cour d’appel ont été exposés en moyenne à 11 d’entre eux au cours de leur carrière.
Troisième bataille
La dernière mine de Lorraine ferme en 2004 . Quatre ans plus tard, CDF est liquidé et relayé par l’Agence nationale pour la garantie des mineurs (ANGDM). Disparaît ainsi un employeur qui régna en maître dans le bassin houiller durant un siècle et demi. Les langues se délient.
Peu avant la liquidation, certains médecins et cadres communiquent aux syndicats des informations jusqu’alors inédites sur la toxicité des produits utilisés. S’engage alors la troisième bataille du charbon, visant à faire reconnaître et à indemniser les victimes sanitaires d’une exploitation hors norme.
Le combat sans concession commence par l’amiante. Dans un premier temps, CDF conteste l’exposition elle-même. Déboutée jusqu’en cassation, l’entreprise attaque systématiquement toutes les demandes de reconnaissance de faute inexcusable, mais se voit presque immanquablement condamnée, au terme d’une guérilla juridique évaluée à 5.000 euros par cas, soit un coût de plus de 15 millions d’euros.
Aujourd’hui, entre 10 et 15 dossiers sont plaidés et gagnés chaque semaine au tribunal des affaires sanitaires et sociales de Metz.
Faute inexcusable pour la silicose
A ces quelque 3.500 plaintes en cours se sont ajoutés au moins 500 dossiers portant sur la silicose et les maladies respiratoires inscrites aux tableaux 30 et 30 bis de la Sécurité sociale .
Les premières condamnations pour faute inexcusable dans ces derniers cas remontent à 2012. Depuis, les dossiers portés par les syndicats et d’autres associations, telle Adeva à Saint-Avold, s’égrènent au rythme d’un à deux par semaine, pour ne pas saturer le tribunal. La reconnaissance de faute inexcusable est moins systématique pour la silicose et les affections respiratoires que pour les maladies de l’amiante. Il faut prouver la maladie et son caractère professionnel, ce qui n’est déjà pas facile, puis, le cas échéant, faire valoir une faute inexcusable – ce qui n’est pas mécanique en dehors de l’amiante.
Pendant des décennies, nous avons échoué à contrer le raisonnement communément admis selon lequel on ne peut extraire du charbon sans générer de la silice. Nous sommes ensuite parvenus à démontrer que les houillères n’avaient pas respecté les mesures de sécurité qu’elles avaient elles-mêmes mises en place. Mais chaque dossier constitue un gros travail, car les mineurs ont exercé à des époques différentes, dans différents puits et à différentes tâches.
Michel Ledoux, avocat parisien spécialisé en santé et sécurité au travail
L’enjeu de la reconnaissance
De nouvelles batailles se profilent pour faire reconnaître le lien entre produits toxiques et cancers du rein, de la peau, du sang ou de la vessie et inscrire ces pathologies sur les listes de maladies professionnelles.
Ces sommes considérables indemnisant les maladies sont payées par les entreprises cotisant à la branche AT-MP du régime général . Le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante ( Fiva ) intervient en cas de faute inexcusable.
Le dossier des mines est moins spectaculaire que celui de l’amiante, mais elles ont causé d’énormes dégâts que nous continuons à payer aujourd’hui.
Lucien Privet, médecin expert et auteur, en 1986, d'une thèse sur les conditions de travail et de santé dans les mines de Lorraine
Les anciens mineurs lorrains militent aujourd’hui pour la reconnaissance morale et l’indemnisation financière de conditions de travail d’une dangerosité et d’une toxicité sans équivalent.
Dans un bassin dialectophone isolé et paupérisé, leur cause n’a trouvé que peu de relais politiques. Mais les anciens mineurs investis dans la lutte sont encore assez jeunes et ont acquis d’impressionnantes compétences en droit, en médecine et en sociologie. Motivés par la question : « Si on ne se bat pas aujourd’hui, qui défendra nos veuves ? », ils démontrent une détermination sans faille.
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