« Le manager de demain est une femme, êtes-vous prêt(e)s ? » Un tantinet provocante, l’association Est’elles exécutive, qui compte 150 adhérentes dans le Grand Est, réaffirme ce postulat et repose cette même question pour une quatrième édition qui se tiendra ce mercredi 18 juin à Nancy. Placée sous le thème « les femmes qui comptent », la journée réunira une demi-douzaine d’intervenant(e) qui évoqueront l’histoire de pionnières telles Olympe de Gouge, la création d’entreprise au féminin, le bilan des réseaux professionnels (suivre le lien).
Docteure en sciences de gestion, professeure associée au département Ressources humaines et comportement organisationnel à l’ICN Business School Nancy-Metz,et co-fondatrice d’Est’elles executive, Krista Finstad-Million revient sur l’émergence et la raison d’être des réseaux professionnels féminins.
Comment les réseaux se développent-ils en interne ou à l’externe ?
Depuis le début de la décennie, nous assistons au développement de réseaux internes qui ont pour objet de favoriser la mixité aux postes de responsabilité. C’est le cas de Mix’in Pertuy au sein de la filiale du groupe Bouygues Pertuy Construction, du cercle Interp’Elles à EDF, de Strong Her à Alcatel Lucent ou encore, des Elles du réseau à GRT Gaz. Ces groupes réunissent des femmes à tous les niveaux de qualification, des secrétaires aux ingénieures, et s’ouvrent aux hommes pour aborder des questions sociétales comme la parentalité ou le bien-vivre ensemble. Ces réseaux essaiment de région et bénéficient souvent de l’appui des DRH. Il est très important de savoir si l’entreprise va leur accorder un budget et des moyens, si les réunions peuvent avoir lieux dans les locaux de l’entreprise et durant le temps de travail.
Les réseaux internes et externes s’interconnectent entre eux. A titre d’exemple, notre réseau Est’Elles executive entretient des relations très concrètes avec Entreprendre en Lorraine, spécialisée dans la création d’entreprise, avec l’ONG internationale Soroptimist ou avec des réseaux de femmes belges, allemandes ou luxembourgeoises. Nous intervenons au long du sillon mosellan, qui constitue le principal axe économique régional. Nos 150 adhérentes se déplacent pour participer à nos manifestations. Le réseau encourage cette mobilité et la rend plus lisible.
Quels enseignements tirez-vous de vos échanges transfrontaliers et internationaux ?
La France est peut-être un peu en retrait par rapport aux pays anglo-saxons, où les premiers réseaux féminins se sont constitués dès les années 80, justement pour faire pendant aux « boys clubs » auxquels les femmes n’avaient pas accès. Les Français jugent parfois les réseaux féminins discriminatoires et doutent de la solidarité entre femmes. Mais les mentalités changent et l’idée que l’on ne peut progresser que collectivement gagne du terrain. En Belgique et au Luxembourg, nous avons constaté un haut niveau d’organisation et la facilité avec laquelle les réseaux accèdent aux instances de décision. En Allemagne, les femmes ont plus de mal à se faire une place dans l’entreprise et les réseaux sont surtout focalisés sur la politique locale.
Pourquoi créer des réseaux professionnels explicitement dédiés aux femmes ? L’équivalent n’existe pas chez les hommes…
Détrompez-vous, les réseaux d’hommes sont très nombreux ! Ils ne revendiquent pas cette particularité, mais les cercles d’affaires, les associations de chasseurs, les clubs de golf ou de course automobile sont de facto des « boys clubs », pour la simple raison que leurs activités se déroulent après le travail. Les femmes ont moins facilement accès à cette plage de temps libre. Leur temps social n’est pas le même que celui des hommes. Lorsque l’on propose aux femmes des sorties professionnelles en soirée, leur première question est « ça finit à quelle heure ? », parce qu’elles se posent les questions de garde d’enfant ou d’organisation domestique. Elles programment leur vie sociale en fonction de leur famille et de leurs amis proches, mais ne prennent pas sur leur temps de loisirs pour faire progresser leur carrière. Les hommes ne se fixent pas les mêmes impératifs. Il leur paraît naturel de concilier activités ludiques et relations professionnelles ou d’affaires.
Que recherchent les adhérentes des réseaux féminins ?
Ces femmes sont souvent issues de milieux où la parité n’est pas encore une réalité, comme le bâtiment, les transports ou l’énergie. Elles sont décidées à progresser et viennent chercher du soutien, des astuces, des idées utiles dans leur propre travail. Il arrive fréquemment qu’elles soient repérées par d’autres femmes qui les aident à trouver un emploi ou à monter leur entreprise.
L’approche des réseaux féminins est moins utilitaire et plus solidaire que celle des hommes, qui espèrent surtout rencontrer des clients ou des fournisseurs potentiels dans leurs réseaux professionnels. Les femmes cherchent à donner, à exprimer leurs rêves et leurs envies. Elles aspirent à une bouffée d’oxygène et apprennent à oser. Le réseau leur permet de prendre la parole, d’organiser des ateliers, de participer à des discussions qui les concernent. Les rencontres qu’elles y font leur servent parfois de source d’inspiration. Les femmes ont besoin de modèles de réussite féminins.
Les réseaux féminins sont-ils sollicités par les entreprises ?
Très fréquemment, à tel point qu’ils ont souvent du mal à répondre à toutes les sollicitations ! L’accès des femmes aux postes de responsabilité constitue une demande sociétale. Les entreprises aspirent à accompagner cette volonté de parité, mais elles ont besoin d’accompagnement. Il leur faut des éléments tangibles pour évaluer l’impact de la féminisation des postes, tant pour les femmes que pour l’entreprise. Elles sont confrontées aux préoccupations liées à la grossesse, à la parentalité ou tout simplement, au sexisme ordinaire.
Les DRH ont du mal à recruter et à fidéliser les femmes. Le recours aux clubs et aux réseaux féminins leur permet de rendre leurs secteurs plus attractifs. Les entreprises apprennent ainsi à mettre en valeur certains métiers qui intéressent beaucoup les femmes, tels le marketing ou le management de projet. En mettant en valeur des femmes ayant réussi dans ces secteurs, elles contribuent à lutter contre les stéréotypes et montrent des modèles qui donnent envie. Cette ouverture leur permet également de créer des liens avec des lycées, des grandes écoles, des associations qui encouragent la féminisation des métiers techniques.
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